Jeudi 23 mars, à six heures et demi du matin, des policiers pénètrent de force dans un squat de Montreuil. À l’intérieur, une dizaine de personnes dorment à l’étage de cet ancien centre de formation médical. La grande majorité sont sans domicile fixe et sans papiers.

Boubou s’apprêtait à aller passer son épreuve de bac, quand ils croisent les policiers dans les escaliers. « Au début, ils étaient très agressifs, mais je suis resté calme », se souvient le jeune homme de 21 ans, qui explique s’être tout de même fait menotter.

« Un policier m’a dit que si je n’étais pas content, je n’avais qu’à retourner chez moi »

Devant la mairie de Montreuil, où se sont réunies une trentaine de personnes pour les soutenir, quatre occupants sortent tout juste du commissariat où ils ont passé plusieurs heures en garde à vue.

« C’était violent. » Fousseyni est encore secoué. Ce matin même, il dormait quand il a entendu les policiers. « J’ai demandé ce qu’il se passait, mais ils m’ont dit de la fermer et que j’allais au commissariat », relate-t-il ému, avant d’expliquer avoir été mis à terre. « Un policier m’a dit que si je n’étais pas content, je n’avais qu’à retourner chez moi », témoigne-t-il, la voix tremblante. « Je lui ai répondu que chez moi, j’étais en danger. Il m’a dit qu’il s’en foutait. » 

Une association d’intérêt général

Peu de temps après l’arrivée des policiers, Fédo arrive très vite sur les lieux. Son association En Gare 93 occupait les lieux depuis près d’un an. « Ce lieu est important parce qu’il contribue à un projet d’émancipation », nous explique-t-il. Dix-sept personnes y étaient hébergées, dont trois femmes.

L’association propose non seulement de l’hébergement, mais organise également des maraudes, propose des colis alimentaires et de l’accompagnement administratif. Dans ce lieu, des événements socio-culturels sont également organisés et elle accueille plusieurs collectifs comme celui de la Timmy, qui accompagne les mineurs isolés.

Portés par des jeunes habitants de Montreuil, le squat n’avait rien d’un lieu délabré. Locaux propres et organisation rodée, l’association proposait d’être un tremplin. « Notre but était de leur offrir un endroit où dormir et de les accompagner vers des structures plus pérennes », développe Inès en service civique dans l’association.

Fédo, un des responsables de l’association En Gare 93 @Nnoman

Un lieu de transit pour une population vulnérable

« Grâce à En Gare, j’ai pu être au chaud, avoir des cours de français, de l’aide pour mes démarches administratives », explique Fousseyni, hébergé dans le squat depuis près de six mois. Le jeune homme est arrivé de Côte d’Ivoire il y a quelques années, seul. « Ce n’est pas possible pour moi d’y retourner, il y a des problèmes qui m’y attendent, raconte-il, bouleversé. Pour les éviter, mes parents m’ont fait sortir. Si j’y étais resté, je serais peut-être déjà mort. »

Boubou, lui, est en France depuis maintenant cinq ans. Après avoir été expulsé d’un foyer de travailleurs, il a été pris en charge par En Gare l’an dernier. Le jeune malien est scolarisé dans un lycée professionnel où il est en passe d’obtenir son baccalauréat. « Aujourd’hui, j’avais une épreuve, je n’ai pas pu y aller du coup… Mais ma professeure a dit que je pouvais le rattraper plus tard. » Certains de ces professeurs sont d’ailleurs venus les soutenir. Une quinzaine d’entre eux se sont réunis devant la mairie de Montreuil.

Boubou, habitant du squat et lycéen @Nnoman

OQTF et placement en centre de rétention

Au commissariat, sept d’entre eux se sont vu délivrer une Obligation de quitter le territoire français (Oqtf) sans délai. Secoué, Fousseyni a du mal à contenir ses larmes. « Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas où partir », répète à plusieurs reprises le jeune homme de 18 ans. « Je ne sais pas où dormir. Je n’ai personne ici, je n’ai pas mes parents. »

Plus tard dans la journée, un petit groupe se réunit devant le squat. Les bénévoles essaient de négocier avec les agents de sécurité du propriétaire pour que les jeunes hommes puissent récupérer leur affaire. Boubou a pu récupérer ses sacs. Près de lui, son ancienne professeure de lycée est en larmes. « Boubou a toutes les qualités du monde », nous confie-t-elle. Grâce à elle, Boubou a pu dormir au chaud ce weekend.

Les habitants repartent avec les quelques affaires qu’ils ont pu reprendre @Nnoman

Une expulsion « illégale »

L’association était mise en cause dans un procès, dont le délibéré devait avoir lieu le 19 juin prochain. Pour son avocat Mattéo Bonaglia, la mesure d’expulsion est ainsi « parfaitement illégale ». « Sous couvert d’une procédure pénale, ils ont en réalité procédé à une expulsion », dénonce l’avocat, qui considère qu’il s’agit d’un « détournement de la loi ». Il pointe par ailleurs le « peu de cas » que fait le parquet pour « l’autorité du siège, en cours de délibéré » dans cette affaire.

Ils ont été interpellés dans des conditions parfaitement déloyales et en plus certains sont l’objet de mesures coercitives

« C’est la triple peine pour ces mal-logés, estime Maître Bonaglia. Ils ont été privés du bénéfice d’une procédure judiciaire classique, ils ont été interpellés dans des conditions parfaitement déloyales et en plus certains sont l’objet de mesures coercitives de séjour avec un risque d’expulsion forcée. » 

Suite à l’expulsion, aucune proposition d’hébergement n’a été émise. « Il n’y a eu aucun audit de la situation de ces personnes, précise l’avocat, aucune appréciation de leur éventuelle vulnérabilité. » 

Maria Aït Ouariane

Photos ©Nnoman

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