Contexte : Depuis mai 2022, des mineurs étrangers occupaient la place de la Bastille. Une manifestation permanente pour dénoncer leur situation et réclamer des solutions. Le 23 septembre dernier, la place a été évacuée pour permettre l’installation d’une manifestation sportive. Utopia 56 a saisi le tribunal administratif pour dénoncer cette évacuation. 

L’association Utopia 56 vient en aide aux mineurs non accompagnés, de jeunes exilés venus en France sans leurs parents. Ces derniers espèrent, comme le prévoit la loi, être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), afin d’être scolarisés et logés. 

Leur minorité doit d’abord être « reconnue » par les départements, sous l’autorité desquels est placée l’ASE. En cas de refus, il leur est possible de faire un recours auprès du juge. Durant plusieurs mois, administrativement ni majeurs ni mineurs, ils se retrouvent bien souvent livrés à eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle Utopia 56 a décidé, le 28 mai 2022, d’installer un campement sur la place de la Bastille, déclaré comme une manifestation permanente. Une manière de faire voir leur situation et de faire entendre leurs revendications. 

Date : 22 – 23 septembre 2022

Lieu : Paris 

Objet : Évacuation du campement de mineurs isolés

Jeudi 22 septembre – 19h30

Nikolaï Posner, responsable de la communication d’Utopia 56, n’en revient pas. Après quatre mois d’occupation sur la place de la Bastille sans être inquiété, voilà qu’il faut replier les tentes à la hâte. Et avec lui, toutes les tentes dans lesquelles dorment, depuis le 28 mai, la petite centaine de jeunes exilés que l’association accompagne.

Motif de l’arrêté préfectoral ? La menace de « troubles à l’ordre public » en raison de la « recrudescence de cas de gales infectieux » signalés par l’Agence régionale de Santé.

La préfecture de police fait l’amalgame entre plusieurs campements parisiens, pour pouvoir déloger celui de Bastille

Faux, selon Nikolaï. « Il y a eu un cas de gale sur ce campement, il a été détecté par Médecins du Monde et le jeune a aussitôt été orienté vers un centre médical pour être soigné. La préfecture de police fait l’amalgame entre plusieurs campements parisiens, pour pouvoir déloger celui de Bastille », soutient Nikolaï. Il pense savoir pourquoi.

Quelques minutes après la réception dudit arrêté, Utopia 56 reçoit un appel, émanant d’un agent du service des manifestations de la préfecture de police. Ce dernier lui aurait demandé de « s’engager à ne pas déclarer de manifestation ou d’occuptation, pendant la période du 4 au 10 octobre, sur la place de la Bastille, en raison du déroulement d’un événement en perspective des jeux paralympiques ».

Nikolaï est furieux : « C’est donc ça, la vraie raison de l’évacuation ? ». Dès le lendemain, Utopia 56  a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Paris.

Nikolaï Posner, responsable de la communication d’Utopia 56 – © NnoMan

Mardi 27 septembre – 11h37

Tribunal administratif de Paris, Salle 3

Avec quelques minutes de retard, la juge des référés, Françoise Versol, fait son entrée dans la salle d’audience numéro 3 du tribunal administratif de Paris. Au fond de la salle, les sièges sont occupés par des membres d’Utopia 56. Ils sont habitués à ce type d’audience. L’ambiance est presque détendue.

 11h48

Début de l’audience. Dossier 2219791/9 : Utopia 56 contre le préfet de police.

L’association demande la suspension de l’arrêté du 22 septembre qui a permis l’évacuation. Ils réclament aussi une « évaluation individuelle de chaque jeune et l’orientation vers un dispositif d’hébergement adapté et pérenne ». L’avocat d’Utopia 56, Me Questiaux, rappelle que le rassemblement de la place de la Bastille n’est pas un « campement sauvage » mais bien une manifestation, qu’elle décrit comme « essentielle » puisque visant « à la conservation des droits » des mineurs isolés.

11h52

« Il paraîtrait qu’il y aurait plusieurs cas de gale », poursuit Me Questiaux. Peut-être, mais la preuve n’a pas été apportée concernant le camp de Bastille, affirme-t-elle. « Il y a un billet argumentaire introduit par la préfecture de police qui consiste à amalgamer le camp de Bastille avec d’autres campements », défend l’avocate. Et de rappeler qu’un unique cas a été signalé puis traité à Bastille.

L’évacuation du campement d’Utopia 56 a été réalisée en même temps que celle d’autres campements franciliens. « Certains jeunes mis à l’abri dans des centres d’accueil et d’examen vont être mis dans des dortoirs, en contact avec des gens qui ont la gale », soulève l’avocate.

12h00

Me Questiaux fait mention du coup de fil de la préfecture de police à Utopia 56 et de la mention de la prochaine d’une manifestation sportive en vue des Jeux paralympiques. Serait-ce le motif non assumé de l’évacuation ? L’avocate interroge.

C’est au tour du représentant de la préfecture de police, M. Vérisson, de prendre la parole. « Des termes absurdes. C’est le mot qui me trotte dans la tête depuis qu’on travaille sur ce recours », s’élance-t-il, moquant « l’argumentaire habituel » d’Utopia 56. « Sur 11 pages de requête, on a six pages de militantisme », lance-t-il. Suspendre l’exécution de l’arrêté du 22 septembre ? Il n’en est pas question pour l’avocat de la préfecture.

Le conseil de la préfecture rappelle l’existence d’un rapport de la Croix-Rouge, daté du 20 septembre, qui atteste de l’existence de « flux (épidémiques) entre les différents campements ». Il cite ensuite le rapport de l’ARS (agence régionale de santé), commandé par le préfet de police et remis le 21 septembre au préfet de région.

D’après l’ARS, la prévalence de la pathologie de gale atteint jusqu’à 50% sur certains campements. Un mineur aurait également été hospitalisé pour une septicémie, une complication due à l’infection. Les conclusions de Médecins du Monde qui s’opposent à ce rapport ne sont pas fiables pour l’avocat de la préfecture. « C’est une association amie d’Utopia 56 », fait-il valoir.

Campement Utopia 56, place de la Bastille – © Julie Déléant

 12h08

Confusion autour du mineur atteint de septicémie. Appelée à la barre, Mme Colomb, de Médecins du Monde, indique que la situation de ce jeune a été signalée le 14 septembre. Il a ensuite été orienté pour un traitement, tandis qu’Utopia 56 était invité à renouveler l’intégralité des tentes, vêtements et sous-vêtements des jeunes du campement.

 12h25

Le procès touche à sa fin. Le temps de déterminer combien de jeunes étaient effectivement présents sur la place parisienne au moment de l’évacuation. Nikolaï Posner joue sa dernière carte, sous forme de rappel des faits : il assure que la Croix-Rouge, lors de sa venue, s’est contentée d’une « évaluation opérationnelle » consistant à comptabiliser le nombre de personnes présentes sur place, et « aucunement d’une évaluation médicale ».

Après l’évacuation, des jeunes de nouveau à la rue

La juge des référés, qui a rendu sa décision le jour-même, a rejeté la requête de l’association Utopia 56. Sur les quelque 80 jeunes en recours de minorité mis à l’abri le 23 septembre, certains se trouvent toujours dans les centres d’hébergement vers lesquels ils ont été orientés. D’autres sont retournés à la rue. 

La manifestation sportive visant à promouvoir les Jeux paralympiques de 2024 s’est bien tenue le samedi 8 octobre, en présence de plus de 160 athlètes et un public de « plusieurs milliers de personnes », selon le comité Paris 2024. Anne Hidalgo, la maire de Paris, s’est réjouit du succès de l’évènement. « Un temps fort dans le compte à rebours vers les Jeux de Paris 2024 », souligne-t-elle, qui concrétiseront les engagements « d’une ville profondément transformée, plus belle, plus agréable [et] plus accessible ».

Julie Déléant et Nnoman

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