Au cours de l’année 2021, 122 femmes sont mortes entre les mains de leur compagnon ou ex-conjoint, selon le ministère de l’Intérieur. Des chiffres en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente.

Ces chiffres justifient à eux seuls l’existence de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. Une structure créée il y a tout juste 20 ans.

60 000 femmes victimes de violences conjugales, l’équivalent de la ville de Pantin

En 2007, la première étude de l’Observatoire établissait qu’une femme sur 10 était victime de violences dans son couple, soit 36 000 femmes. « Vingt ans après, on est à 60 000 femmes, l’équivalent de la ville de Pantin. »

Pour ses 20 ans, l’Observatoire a réuni les actrices et acteurs institutionnels de la lutte contre les violences faites aux femmes. Sous l’amphithéâtre de la Maison de la culture du 93 (MC93, Bobigny), officiels et associatifs sont réunis en ce 10 novembre. Une centaine de personnes y assiste, l’occasion de faire le bilan des activités de cette structure modèle créé par le département.

Sur l’estrade, le président conseil départemental constate : « Une dynamique qui fonctionne encore 20 ans plus tard ». Stéphane Troussel salue « les synergies que les équipes ont su installer, entre l’ensemble des professionnels qui travaillent auprès des femmes victimes de violences et leurs enfants ».

L’Observatoire, pionnier sur la lutte contre les féminicides

L’observatoire fait en effet figure de poisson-pilote dans les dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ce fut le cas pour l’installation du Téléphone Grand Danger mis à disposition des femmes menacées par leur compagnon ou leur ancien conjoint.

Sur le modèle espagnol, cet outil a été pensé par l’Observatoire, le parquet de Bobigny, la police et SOS Victime. Muni d’un bouton d’appel, il permet d’alerter les policiers en urgence. Ce téléphone, indispensable pour prévenir les féminicides, a été généralisé à tout le territoire.

« Ce que nous expérimentons en Seine-Saint-Denis se généralise à la France entière »

« On dit de nous que nous sommes un laboratoire d’innovation. Ce que nous expérimentons en Seine-Saint-Denis se généralise à la France entière », observe, satisfaite, Ernestine Ronai. La direction de l’Observatoire lui a été confiée en 2002 et elle tient la barre de cette structure depuis.

Pure produit de la banlieue rouge, Ernestine Ronai, 75 ans, a fait ses armes au Parti communiste. Très tôt, l’institutrice de formation saisit l’enjeu que représente les violences conjugales, notamment pour les enfants. Elle développa, avec le ministère de l’Intérieur, un questionnaire à destination des forces de l’ordre pour détecter ces violences. Un travail de formation qui se poursuit à ce jour.

Une politique publique ne se construit pas qu’avec des directives issues du gouvernement

« Une politique publique ne se construit pas qu’avec des directives issues du gouvernement. Elle se nourrit aussi de l’imagination, des idées créatrices qui viennent du terrain », salue, à ce titre, François Molins, procureur général près la Cour de Cassation.

Le travail d’Ernestine Ronai est également reconnue par la ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Isabelle Lonvis-Rome la célèbre : « Vous avez transformé les mots en action. Vous avez fait de votre observatoire, un laboratoire d’innovation ».

Si les tensions existent entre les associations œuvrant pour les droits des femmes et le gouvernement, les échanges sont cordiaux à la MC93. Nombre d’associations reprochent, en effet, le manque de financement pour lutter contre les violences faites aux femmes. Sur le plan politique, la présence de Gérald Darmanin au gouvernement interroge. Le ministre de l’Intérieur a été accusé d’avoir profité de sa position dominante d’élu pour obtenir des faveurs sexuelles auprès de deux administrées.

Prostitution des mineurs : fléau durable d’une société en mutation

Au cours de son intervention, la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a annoncé le lancement d’un plan gouvernemental portant sur l’égalité femmes-hommes. Selon elle, il sera déployé à partir de 2023 et se concentrera sur la lutte contre les violences, la culture de l’égalité et la santé des femmes.

En ce 20e anniversaire, l’accent a d’ailleurs été mis sur l’éducation des jeunes à la sexualité. Car la prostitution des mineures représente désormais un sujet majeur. Ce phénomène en expansion tient à plusieurs facteurs : difficultés socio-économiques, influence des réseaux sociaux… (lire notre enquête).

Nouvelle époque. Les smartphones et réseaux sociaux changent les rapports sociaux et, par ricochets, la manière dont s’exercent le sexisme. Harcèlement en ligne, diffusion de vidéos intimes contre le gré de l’intéressée (etc.), ces nouvelles formes de violences sont légion. En plus de ses missions historiques, l’Observatoire fait donc face à de nouveaux défis.

Un Observatoire international des violences contre femmes

Le président du conseil départemental entend continuer à « innover et adapter l’action en permanence ». « Depuis plusieurs années maintenant, il y a l’initiative “Jeunes contre le sexisme”. L’an dernier, nous avons initié un brevet contre le sexisme dans les collèges du département », indique Stéphane Troussel.

L’Observatoire a aussi vocation à s’étendre et « à diffuser son savoir-faire au-delà de ses frontières ». En effet, un Observatoire international des violences contre femmes vient d’être lancé. Pour l’instant, il compte deux collectivités partenaires : l’île de Ngazidja aux Comores et la municipalité de Jénine en Palestine.

Hervé Hinopay

Articles liés