Contexte : Depuis quelques semaines, le quartier de La Chapelle a, une nouvelle fois, changé de visage. Sous le métro aérien une poignées de tentes se sont installées, puis des dizaines, jusqu’à former un campement qui s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. 

Un changement relatif, dans ce quartier du nord parisien, on connaît le refrain. Voilà plus de cinq ans que des demandeurs d’asile ou des sans-papiers s’y installent, faute de mieux, pour des durées variables. Le Bondy Blog s’est rendu sur place régulièrement depuis le 19 octobre. Carnet de bord à la rencontre de ses occupants et de celles et ceux qui leur viennent en aide. 

Date : 19 octobre – 30 octobre 2022

Lieu : quartier de La Chapelle, sous le métro aérien

Mercredi 19 octobre – 12 heures

Hakim prend son service à La Chapelle. Comme chaque jour, il est venu nettoyer les quatres cabines de sanitaires mobiles mises à disposition des riverains – et désormais des occupants des tentes. « Ce sont les mêmes qu’au festival Rock en Seine », signale-t-il. La société qui l’emploie, prestataire de la mairie de Paris, fournit en effet pour divers événements des sanitaires mobiles, et « équipe » également les campements parisiens. 75 euros la vidange effectuée chaque jour, 1 000 euros pour la pose. « Enfin, ça ne va pas dans ma poche, hein ! », plaisante Hakim.

Campement d’exilés sous le métro aérien de La Chapelle. En France, à Paris, le 21 octobre 2022. ©Nnoman

13 heures

Un groupe d’Afghans tue le temps, assis sur un matelas. L’un d’eux explique avoir servi l’armée américaine et fait défiler les photos en treillis sur son smartphone. D’abord, des visages souriants de soldats, qui posent le genou fléchi sur les sac à dos. Puis les accolades cèdent leur place aux clichés des combats, puis à ceux des cadavres. « Ça, c’était mon ami », dit-il.

Des clichés pris après le retour des Talibans au pouvoir, durant l’été 2021. Comme lui, ses camarades d’infortune sont arrivés il y a quelques mois, et ne connaissent de la France que Paris, les tentes et les ponts.

Ils sont « dublinés », c’est-à-dire que leurs empreintes ont été enregistrées dans un pays européen autre que la France avant leur arrivée. Ce pays est devenu, comme le stipule le protocole européen Dublin III, responsable de leur accueil.

14 heures

Au campement de La Chapelle, également dit du « Skate Park », même dormir est un luxe. Difficile de fermer l’œil sous les rames qui traversent de part et d’autre le pont entre 5h30 et 00h40 la semaine, à raison d’un métro presque chaque minute durant les heures de pointe.  « Tu en voudrais, toi, d’une vie comme ça ? », interroge un homme en anglais.

Environ 400 migrants vivent parfois dans des tentes, parfois sur des cartons, depuis 4 mois, sous le métro aérien de La Chapelle. ©Nnoman

Vendredi 21 octobre – 13h30

Sanjar* patiente, accoudé sur une rambarde. Il attend « un camarade » afghan. Contacté par Whatsapp, cet employé dans le bâtiment s’est déplacé depuis Asnières, où il réside, afin de « rendre service » à son compatriote. Comment, il ne sait pas encore, mais il est venu quand même. Il croise Mehran*, 17 ans et Afghan lui aussi, qui suit une formation de cuisinier depuis quatre mois. Lui aussi dit avoir été contacté pour venir en aide à un nouvel arrivant – le même, comprennent-ils rapidement.

17h35

L’heure où la lumière décroît est aussi celle où le campement change d’atmosphère. Les riverains, déjà peu nombreux à s’aventurer sur l’esplanade durant la journée, lui préfèrent désormais tous les trottoirs qui longent la voie ferrée. À l’exception d’un petit groupe, badge autour du cou, qui entame une traversée.

Entre 350 et 400 personnes dormiraient sous le pont de La Chapelle, les conditions de vie sont déplorables

Ce sont des membres de France Terre d’Asile, une association chargée par l’État de coordonner diverses missions liées à l’accueil et l’intégration des exilés en France. Selon leur décompte, entre 350 et 400 personnes dormiraient, en date du 19 octobre, sous le pont de La Chapelle.

« On vient, on compte les gens et on renvoie ensuite les informations à la mairie de Paris, à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, ndlr) et au préfet de la région », explique un bénévole. Et ces derniers temps, les nouvelles ne sont pas bonnes. « Les conditions de vie sont déplorables », commente-t-il.

Partout, des matelas rongés par la moisissure s’empilent entre les palettes de bois et les sacs à dos. Les cordelettes utilisées pour rafistoler les tentes jonchent le sol au milieu des déchets plastiques. Les vêtements, quand ils ne traînent pas sur le bitume, sont suspendus aux armatures métalliques.

Au milieu de ce spectacle de désolation, la plupart des occupants se grattent. La gale s’est invitée sur le campement et tourmente tout le monde. Parmi les hommes que nous rencontrons, nombreux affirment en tout cas en souffrir. Pour les autres, les plaies aux chevilles et sur les mains parlent d’elles-mêmes. Alors que les bénévoles de France Terre d’Asile s’éloignent, un homme coud ses chaussettes à son survêtement.

21h40

Un homme se lève, suivi par un autre, puis bientôt une dizaine, qui se dirigent en hâte en direction de Barbès. Tout près du campement, le camion blanc de l’association Au coeur de la précarité a coupé le moteur et déployé son barnum.

Comme tous les vendredis, samedis et dimanches, une poignée de bénévoles assure la distribution alimentaire. Entassés entre les barrières, une cinquantaine d’hommes jouent des coudes dans l’espoir de récupérer un précieux panier-repas, sous les regards mi-dépités, mi-compatissants des « habitués” de la distrib’ ».

« Avant que les Afghans arrivent, on était sûrs d’avoir à manger. Maintenant, on préfère attendre sur le côté. S’il reste à manger, tant mieux, sinon, tant pis. Je ne vais pas me battre », commente Thierry*. Sanjar*, rencontré quelques minutes plus tôt, préfère lui aussi rester en retrait.

Un brin dépassés mais souriants, les bénévoles s’efforcent de garder leur sang-froid : « Notre équipe est là tous les vendredis, donc on a l’habitude, rassurent-ils ». Ce jour-là, les 180 repas chauds préparés dans l’après-midi sont partis en à peine 15 minutes.

Lundi 24 octobre – 16h17

Présence de l’association Médecin du Monde sur le campement d’exiles de la Chapelle. Ils soignent essentiellement des cas de gale. Plus grosse contamination depuis le pic en 2019. Paris, octobre 2022. ©Nnoman

Comme tous les lundis, Médecins du Monde installe, de 13h30 à 17 heures, une unité de soins mobile au numéro 2 de la place de la Chapelle. Depuis plusieurs semaines, la cadence est devenue « infernale », aux dires de Paul Alauzy, chargé de la veille sanitaire et de la permanence psy de l’ONG. Il confirme l’inquiétante progression de l’épidémie de gale : « Il y a urgence sanitaire. L’état du campement est tellement dégradé et tellement déplorable que l’épidémie devient incontrôlable ».

Épidémie de gale : « Si on voulait endiguer l’épidémie, il faudrait que chacun ait accès à une douche médicalisée et à des médicaments »

Selon lui, aucune « prise en charge intelligente » n’est possible dans un contexte de vie à la rue. « Le parasite se niche dans les textiles. Et comme des gens partagent les mêmes tentes et couvertures… », souffle le médecin de MdM.

« Si on voulait endiguer l’épidémie, il faudrait que l’on apporte de nouveaux vêtements, une tente et une couverture pour chaque personne. Il faudrait que chacun ait accès à une douche médicalisée et à des médicaments. Sans cela, c’est impossible. La seule solution, c’est l’hébergement », affirme Paul Alauzy.

En attendant, sous les barnums de l’ONG, les infirmières distribuent des antibiotiques et pansent les plaies. Certains malades se grattent jusqu’au sang, d’autres sont gravement infectés.

ÉpidÉmie de gale dans les campements parisiens, les exilés viennent entre 10 et 15 par jour pour se faire soigner à la Halte humanitaire à Paris. France, 2022. ©Nnoman

19h35

Le soir, les deux membres de l’association Tendre la main prennent le relais. Camille, la directrice, est chargée de l’accompagnement administratif, Audrey des bandage. « La pauvre », s’amuse sa collègue. Parce qu’elle refuse l’argent de l’État, « qui doit prendre ses responsabilités », la structure ne peut s’appuyer que sur les dons des particuliers. 

« Les ressources sont mieux qu’au début, mais ça reste des petits dons. En une semaine, on a déjà dépensé 100 euros, pour quelques bandes, des pansements, du sparadrap et des compresses. » Comme chaque soir, elles compteront celui-ci moins le temps que l’argent, et partiront bien après la nuit tombée.

Jeudi 27 octobre – 12 heures

Le campement de La Chapelle a été partiellement évacué dans la matinée du jeudi 27 octobre. 634 personnes ont été mises à l’abri. Dans un communiqué, les préfectures de police et d’Île-de-France signalent toutefois que « l’afflux soudain et important de nouvelles personnes n’a pas permis la prise en charge de l’ensemble du public présent ».

Campement de la Chapelle le lendemain de l’évacuation. Paris, octobre 2022. ©Nnoman

13h40

Sous le métro aérien, la rampe n’a pas encore retrouvé ses skateurs, mais les piétons se font déjà moins rares. Quelques mètres plus bas, tout autour du square Louise de Marillac, la scène est ubuesque : plusieurs centaines de personnes patientent, adossées aux grilles ou assises sur des cartons à moitié disloqués.

Ces personnes, ce sont celles que les associations appelleront bientôt les « recalées » de La Chapelle. Les forces de l’ordre ont reçu la consigne de leur bloquer l’accès au « Skate Park », alors il a bien fallu dormir quelque part. « Franchement, je ne sais même plus quoi dire. Je ne réalise pas vraiment que je suis ici, en train de vivre ça. Et pourtant… », commente H., la trentaine, une élégante gabardine camel sur le dos.

S’ils se déplacent à plus de deux, même pour aller chercher à manger, la police les bloque

Même consternation pour les associations présentes sur place, Utopia56 et Watizat. « On n’a pas vraiment le droit de rester, mais pas le droit de partir non plus. S’ils se déplacent à plus de deux, même pour aller chercher à manger, la police les bloque », raconte une bénévole. Interrogés, les agents des forces de l’ordre présents sur place bottent en touche, s’en remettant à la hiérarchie. « Nous, on s’assure simplement que tout se passe bien. »

Côté place de la Chapelle, un riverain dépose un carton débordant de bananes aussitôt distribuées par un occupant Afghan à l’ensemble de ses camarades. Un très jeune homme, emmitouflé dans son sac de couchage, ouvre alors un œil, et se redresse pour s’assurer « que tout va bien ».

Depuis le 30 octobre, plusieurs dizaines de tentes, matelas et cartons fleurissent à nouveau sous le “Skate Park” du métro La Chapelle.

Julie Déléant et Nnoman

*les prénoms ont été changés

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