Hamad* vient d’avoir 18 ans et attend les résultats du bac. « Je suis admis pour une licence à la Sorbonne Paris I, en administration économique et sociale », précise-t-il au juge d’une voix mesurée. Ce samedi 1ᵉʳ juillet, il est 21 heures, quand le jeune homme comparaît devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Comme lui, ce jour-là, 40 majeurs et 18 mineurs doivent être jugés. Un tempo exceptionnel pour des comparutions immédiates, alors que ces dernières n’ont généralement pas lieu le week-end.

Depuis la mort de Nahel M., mardi 27 juin, plusieurs centaines d’interpellations ont eu lieu partout en France. Un afflux que le ministère entend rapidement « réguler ». Dans une circulaire diffusée vendredi 30 juin, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a appelé à une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ».

Dès l’ouverture des audiences en début d’après-midi, le procureur de la République de Bobigny, Éric Mathais, se défend de vouloir « faire des exemples ». Mais il appelle les juges à mesurer l’importance de ses décisions pour « envoyer un message fort » et « rétablir l’équilibre social vis-à-vis des intéressés et de la société ». Et d’assèner : « Les raisons [de ces actes] sont complètement futiles ». Il ne prononcera jamais le prénom Nahel.

Des prévenus tout juste majeurs

Dans la foulée, les quatre premiers prévenus, tous âgés de 18 à 21 ans, entrent dans le box. Ils comparaissent pour leur participation à un « groupement en vue de commettre une infraction, violences volontaires ou destruction de bien » lors du pillage d’un magasin Carrefour à Saint-Denis, le soir du 30 juin 2023.

Tout juste majeure, Lena* est la seule femme parmi eux. Elle tente de justifier sa présence dans le Carrefour. « J’ai vu le petit frère d’une copine, je voulais le raisonner », soutient la jeune fille qui se plaint d’une clef de bras violente lors de son interpellation.

« Quand on exploite les données de son téléphone portable, on la voit cagoulée et en train de filmer », la rembarre le procureur avant de dérouler ses antécédents judiciaires. « Elle devait se voir poser un bracelet électronique pour une précédente condamnation », rappelle-t-il. Son parcours est aussi évoqué. Plus jeune, Léna a fait l’objet d’un placement à l’aide sociale à l’enfance.

Lire aussi. « Quand on parle, ils nous écoutent pas donc on se fait entendre autrement »

À ses côtés, Alassane* reconnaît immédiatement les faits qui lui sont reprochés. Il explique avoir suivi l’effet de foule, avoir eu peur de décevoir ses amis. « Je n’ai pas de problèmes, je ne fais pas de bêtises d’habitude, se défend-il. J’étais bien dans ma vie, j’ai tout gâché. » L’enquête sociale indique qu’il est en CDI, au smic.

« Je trouve ça stupide de piller un magasin, mais je n’ai pas réfléchi, j’ai suivi le mouvement, tête baissée », embraye le dernier prévenu. Mohammed* a quitté l’école à 18 ans et travaille depuis sur des chantiers « au black ». Lui est également poursuivi pour la tentative de vol d’une télévision. La veille de la mort de Nahel, le jeune homme venait de s’inscrire dans une agence d’intérim.

Des peines « complètement disproportionnées »

Le procureur requiert dans cette affaire des peines qui vont de 6 à 8 mois de prison fermes. Seule avocate pour les quatre prévenus, Me Malika Ibazatene, s’étonne de réquisitions « complètement disproportionnées ». Elle appelle « à ce que l’on ne rajoute pas de l’injustice sur de l’injustice », celle de la mort de Nahel. Tous écopent de six mois fermes avec mandat de dépôt, alors que l’un avait un casier judiciaire vierge. À l’énoncé des sanctions, un « Justice pour Nahel » est crié des bancs du public.

La salle se vide une première fois et une mère explose en sanglots dans les bras de ses filles. Ce samedi, la salle des pas perdus est en ébullition. Les avocats de permanence courent d’une salle à l’autre. Des militants venus en soutien échangent avec les proches des prévenus. « On dirait que c’est le Carrefour à leur mère », peste l’un des soutiens, pour railler l’attention des juges envers le supermarché.

Entre deux audiences, les avocats disent tour à tour leur exaspération de voir la circulaire du ministre de la Justice « fidèlement reproduite dans la salle d’audience ». Les dossiers reposent en majorité sur l’exploitation des téléphones des prévenus ou des délits aux contours flous, comme la participation à groupement en vue de commettre une infraction.

De manière générale, c’est difficile, on a très peu de temps pour travailler les dossiers, mais là…

En réaction, un comité de soutien juridique spécifique au département de Seine-Saint-Denis a été monté par des militants pour mettre en lien des avocats et des jeunes interpellés.

« De manière générale, c’est difficile, on a très peu de temps pour travailler les dossiers, mais là… », souffle une avocate familière du tribunal de Bobigny. Dans la même journée, 18 mineurs ont également comparu devant le juge des enfants pour des faits de vol ou de participation à un attroupement. « Ils ont de 14 à 17 ans », renseigne Me Christelle Hertaux.

La défense dénonce des violences policières lors d’une interpellation

Devant la 17ᵉ chambre, les prévenus s’enchaînent. Ramzy* a une blessure sous l’œil droit, visible depuis les bancs du public. « Une légère éraflure », ont décrit les policiers de la BAC de Drancy sur le procès-verbal. Le jeune homme est accusé d’avoir jeté un bidon d’essence dans les flammes d’un brasier, à Drancy, la veille. Employé dans les services de La Poste, Ramzy a déjà effectué une peine de prison. « Il a attisé le feu », insiste le procureur de la République qui souligne la version des policiers, obligés « d’amener au sol un individu récalcitrant et hostile ».

Ses menottes étaient trop serrées et un fonctionnaire s’est mis à le pousser

Le conseil de Ramzy, Me Camille Vannier, dénonce une « interpellation d’une violence rare » et demande « l’exploitation de la vidéosurveillance ». Des violences qui se seraient poursuivies au dépôt. Avant l’audience, devant son avocate et une magistrate, Ramzy a dit « j’ai mal », raconte l’avocate. « Ses menottes étaient trop serrées et un fonctionnaire s’est mis à le pousser », poursuit-elle. Selon elle, cette situation illustre « le sentiment d’injustice » auxquels sont confrontés ces jeunes. Le délibéré tombe : Ramzy part pour 7 mois en prison.

Son profil tranche avec celui d’Hamad, à ses côtés, dans le box. Ce dernier suit une scolarité prometteuse. Il fait partie d’un club de football et est engagé dans une association d’aides alimentaire. « J’avais justement une maraude de prévue aujourd’hui », indique-t-il.

Son casier judiciaire est vierge. De l’aveu même du procureur, son dossier repose en grande partie sur « l’exploitation de ses données téléphoniques. » On reproche au jeune homme d’avoir partagé des captures d’écran d’un snap appelant à « niquer le plan 93 Grand Paris » et le commissariat de Saint-Denis.

Malgré un dossier léger, le procureur de la République requiert six mois de prison ferme aménageables en travaux d’intérêt général. Hamad finit relaxé. Toutes les poursuites à son encontre sont abandonnées. Cette nuit, tous les prévenus dormiront en prison, sauf lui.

Méline Escrihuela et Héléna Berkaoui 

*Les prénoms ont été modifiés

Articles liés