Simon Duteil se tient droit, le regard déterminé. Sur l’estrade, le co-délégué de Sud-Solidaires ouvre le meeting pour un plan d’urgence éducative en Seine-Saint-Denis. « Face à ces dégradations, notre solidarité et notre unité intersyndicale est centrale. Elle peut renverser des montagnes, elle peut être exceptionnelle », lance-t-il, sous les applaudissements de ses camarades.

À la bourse du travail de Bobigny, jeudi 21 décembre, l’intersyndicale du 93 est réuni dans l’auditorium. Entre les sièges verts pétants, les drapeaux des différents syndicats se font voisins. CGT, FSU ou Sud, tous sont là pour dénoncer le traitement réservé aux élèves du département le plus pauvre de la France hexagonale, spécialement en matière d’éducation.

Tout commence, quelques semaines plus tôt, Gabriel Attal à dévoiler une série de mesures pour le primaire et le secondaire. Brevet indispensable pour entrer directement au lycée, révision des conditions de redoublement, création de groupes de niveau… Ces annonces n’ont manqué pas de faire réagir les syndicats de la Seine-Saint-Denis. En ligne de mire, l’absence de mesures pour réduire les inégalités socio-économiques.

Un plan d’urgence pour des moyens égaux

« Les moyens attribués à l’école dans notre département doivent être immédiatement alloués à hauteur des besoins », s’insurge l’intersyndicale dans son communiqué du 8 décembre. La CGT-CNT-FSU et SUD éducation 93 appellent les établissements du département à chiffrer leurs revendications dans un questionnaire.

Dans l’auditorium, à demi rempli, deux jeunes filles se font remarquer pour leur jeune âge. Marjan et Lahna sont collégiennes, stagiaires à la bourse du Travail de Villetaneuse. Participer à cette soirée-meeting est une occasion d’en apprendre davantage sur le milieu éducatif. D’autant plus qu’elles considèrent être les premières concernées par les problématiques évoquées. À commencer par les absences de professeurs non remplacées.

« Quand j’étais en 6ᵉ, à Épinay-sur-Seine, j’ai eu cours avec ma prof d’anglais pendant deux semaines, puis elle n’est plus jamais revenue. Durant tout le reste de l’année, je n’ai pas eu de cours dans cette matière », se souvient Lahna. Ce qui lui porte préjudice une fois entrée en classe de 5ᵉ, puisqu’elle rencontre de nombreuses difficultés dans la discipline. Au total, les élèves de Seine-Saint-Denis perdraient environ un an de cours sur l’ensemble de leur scolarité.

Renforcer le pôle médico-social

En ce qui concerne le personnel médico-éducatif, une fois encore, les deux collégiennes se sentent directement concernées. « L’année dernière, il n’y avait pas d’infirmière dans mon collège. C’est la vie scolaire qui s’occupait de nous », rajoute Lahna. Dans un territoire marqué par le désert médical, 40 % des établissements scolaires du département n’ont pas de médecins scolaires. « Nous, en tant qu’élèves, on est conscients que ces situations ne sont pas normales. Mais on s’y est tellement habitué que ça en est devenu banal », confie Marjan.

Un manque de moyen humain

Du côté des professeurs présents dans l’auditorium, c’est la pénurie d’enseignants qui inquiète. Un manque de moyen humain qu’Orlane, enseignante d’art appliquée dans un lycée professionnel à Saint-Denis, ressent dans ses classes. « On est passé d’un effectif de 24 à 30 élèves selon les sections. On ne peut pas ouvrir d’autres classes parce qu’on n’arrive pas à recruter d’autres professeurs pour assurer les cours. »

Résultats : le nombre de professeurs contractuels monte en flèche, au même titre que les enseignants jeunes et inexpérimentés. Dans le 1ᵉʳ degré, en 2023, 22 % d’entre eux avaient au maximum trois ans d’ancienneté. En conséquence, « une perte de chance pour tous les élèves » d’après les syndicats.

Pour pallier ce manque et ces turnovers réguliers, l’intersyndicale 93 demande la création de près de 2 000 postes, permettant un abaissement dans tous les effectifs à 20 élèves maximum.

Rénover les bâtiments

Au moment d’évoquer l’état du bâtiment, de nombreux chuchotements se font entendre dans l’auditorium. Les données chiffrées apparaissent sur le projecteur. En Seine-Saint-Denis, 60 % des lycées dénoncent une mauvaise isolation, ventilation, un manque de volets, de stores et d’ordinateurs. Une problématique à laquelle Orlane, une fois encore, est confrontée au quotidien.

Il m’est déjà arrivé d’autoriser les élèves à garder leurs manteaux et leurs bonnets en classe

Dans la plupart des salles de son lycée, le double vitrage est aux abonnés absents. Conséquences premières, une forte chaleur l’été, un froid intense l’hiver. « Il m’est déjà arrivé d’autoriser les élèves à garder leurs manteaux et leurs bonnets en classe. À un moment donné, pour qu’ils puissent travailler correctement, il y a des règles que l’on ne peut même plus appliquer », explique-t-elle.

Ces conditions de travail délétères ont un véritable impact sur le bien-être des élèves et leur rapport à l’école. C’est le constat que fait Lucas Marchand, professeur d’histoire géographie, après avoir vu ses élèves participer à la trend TikTok “le pire lycée de France”. Le but ? Montrer en vidéo l’état de son lycée. Le plus souvent, insalubre, du sol jusqu’au plafond. « Forcément, il n’y a pas de sentiment d’appartenance vu qu’ils ne s’y sentent pas bien. Les élèves se rendent compte qu’ils n’ont pas les mêmes enseignements que tout le monde », déplore-t-il.

Face à ces situations, pour certaines signalées depuis des années, l’intersyndicale réclame au plus vite le début des travaux de rénovation.

Une inclusion dans de meilleures conditions

Le manque de moyens s’observe au-delà du système éducatif ordinaire. En Seine-Saint-Denis, ils sont presque 12 000 élèves en situation de handicap. Les équipes se retrouvent seules et sans formation pour gérer comme elles le peuvent l’inclusion de ces élèves, aux besoins spécifiques.

Agnès, enseignante primaire en réseau d’aide au Pré-Saint-Gervais en est témoin : « Je travaille dans une école où il y a un dispositif ULIS (offre une organisation pédagogique et des enseignements adaptés). Comme on n’a pas assez d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), les enfants se retrouvent dispatchés dans des classes qui ne sont pas adaptées. Certains enfants ne viennent même pas à l’école. »

Dans le second degré, 1 700 AESH manquent à l’appel pour couvrir l’ensemble des besoins du territoire. Avec le plan d’urgence, l’intersyndicale demande un recrutement massif de ce type de personnel, disposant cette fois-ci d’un « vrai statut de la fonction publique et d’un salaire décent ».

Insuffler de la combativité

Dans l’assemblée, certains sont venus de loin pour assister à cet événement. C’est le cas de Michael Barbut, professeur de SES à Stains, syndiqué à Sud Éducation. À travers ce plan d’urgence, il espère que l’intersyndicale construise un mouvement offensif, dans l’optique de mobiliser encore plus de collègues. « Que les enfants de la Seine-Saint-Denis aient une journée de cours en moins, [le gouvernement] ça ne leur pose pas de problème. Mais si on va faire du bruit devant les lycées qui forment « l’élite »,  ça peut marcher. » Son objectif est clair : faire pression pour se faire entendre.

Les conditions de travail des personnels et les conditions d’apprentissage des élèves se sont fortement dégradées en cette rentrée scolaire. Lors d’un sondage, 75 % des effectifs ont noté que la période a été difficile, voire très difficile, et expriment même un mal-être au travail.

Coralie Chovino

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