Mi-août aux Terrasses solidaires de Briançon. Des tables sont disposées en L entre les tentes plantées sur le toit terrasse du bâtiment. « On fait un tour du refuge pour réunir les mineurs », prévient un des bénévoles. Quelques minutes plus tard, le toit terrasse se remplit. Plus de 50 personnes attendent silencieusement les informations. Les mines sont fatiguées.

La plupart sont mineurs et ont traversé à pied la frontière italienne dans les heures et les jours qui précèdent. « Les Terrasses Solidaires offrent un accueil inconditionnel aux personnes exilées à Briançon », explique Jean, administrateur du lieu. Ici, femmes, hommes et enfant trouvent un peu de repos, un lit, des repas, un accès aux soins et de précieux conseils pour la suite de leur route d’exil.

Sur le toit terrasse, le brief commence, animé par deux militants du Groupe sans nom. Un collectif briançonnais qui fait de l’information pour les personnes exilées de passage aux Refuges Solidaires autour des thèmes du droit d’asile, des droits des sans-papiers. 

La montagne-frontière 1/2. Des centaines d’exilées risquent leur vie pour rejoindre la France depuis le Piémont en Italie

« Si vous êtes mineurs, vous avez le droit d’être logés, soignés et d’aller à l’école, expose Bento*. Mais vous allez devoir prouver à l’État français que vous êtes mineurs et l’État français va essayer de prouver le contraire. » Et de prévenir : « En France, environ 80 % des jeunes qui se présentent à l’examen ne sont pas reconnus mineurs. » Ces jeunes peuvent déposer un recours, mais entre-temps, c’est la précarité et, bien souvent, la rue qui les attend. Les bénévoles conseillent aux jeunes d’éviter les grandes villes, particulièrement Paris et Marseille. « Là-bas, il y a trop de monde et peu de places, des mineurs dorment dans la rue », avertit Bento.

« C’est très important de faire ces réunions plusieurs fois par semaine, souligne Bchira, salariée aux Refuges Solidaires. Surtout qu’en ce moment, beaucoup de mineurs non accompagnés arrivent à Briançon et c’est très difficile d’établir le contact avec tout le monde. » Elle affirme que les dernières semaines, le refuge est presque monté à 40 % de MNA hébergés, une situation inédite.

Inquiétude chez les jeunes présents à la réunion

Dans l’assistance, l’inquiétude se lit sur les visages. « Ça fait un peu peur, je suis venu en France parce que je parle français, mais ça a l’air très compliqué, réagit Abdoulaye, originaire de Guinée. J’ai peur de ne pas être reconnu mineur et de dormir dans la rue. »

J’ai passé plusieurs années en Tunisie, mais j’ai dû partir, ça devenait trop dangereux là-bas

Les jeunes qui viennent d’arriver en France sont exténués après une longue route d’exil. « Je suis parti du Cameroun en 2019. J’ai passé plusieurs années en Tunisie, mais j’ai dû partir, ça devenait trop dangereux là-bas, il y a beaucoup de racisme », témoigne Aziz. Ce dernier a entrepris par quatre fois la traversée de la Méditerranée avant d’atteindre l’île de Lampedusa. « La première fois, on a fait naufrage et j’ai été sauvé par des pêcheurs tunisiens. Ensuite, on s’est fait arrêter deux fois par les gardes côtes. »

Refuges Solidaires tirent la sonnette d’alarme

Après un tel périple et avant de traverser un pays inconnu, le suivi et l’orientation du refuge est crucial pour les mineurs comme les adultes. Pourtant, la tâche s’est compliquée avec la surpopulation du lieu depuis le mois de mai. Moon, responsable des bénévoles, parle d’une « crise humanitaire ». 

Ouvert en 2017, le dispositif a accueilli 21 000 personnes durant ses cinq premières années et servi plus de 155 000 repas. À l’origine, la mairie avait mis à disposition des associations un local dans le centre-ville de Briançon. Mais après les dernières élections municipales, le nouveau maire a n’a pas renouvelé le bail.

Les associations gestionnaires du lieu ont dû monter une SCI citoyenne qui a levé presque un million d’euros pour acheter un bâtiment. Les refuges solidaires ont alors posé leur valise dans cette ancienne clinique sanatorium. Un lieu à l’origine destiné à accueillir des malades de la tuberculose qui venaient y faire une cure de soleil. Sur les larges terrasses prévues à cet effet, les tables ont, durant l’été, laissé place à des dizaines de tentes.

Cinq fois plus de personnes hébergées que la jauge maximale

En théorie, le lieu est prévu pour accueillir 65 personnes. « Depuis le mois de mai, on est en crise constante, on a doublé notre capacité, explique Marjolaine. Il y a quelques jours, on a même dépassé les 300 personnes, un record. » Alors des tentes sont sorties du sol partout où l’espace le permet. Des personnes dorment dans les moindres recoins, les tables du vaste réfectoire ont laissé place à des dizaines de lits de camp.

On met les gens et nos équipes en danger. On a besoin de soutien pour la mise aux normes

« Les gens dorment dans des espaces qui ne sont pas aux normes. C’est dangereux, il y a de l’électricité, s’il y a un incendie, il n’y a pas d’issue de secours », s’inquiète Marjolaine, « On met les gens et nos équipes en danger. On a besoin de soutien pour la mise aux normes. »

Mais le soutien tant attendu n’est jamais arrivé. La préfecture des Hautes-Alpes comme la mairie de Briançon ont préféré fermer les yeux sur la situation de crise. Lors de l’annonce de la fermeture du lieu fin août, l’édile s’est fendu d’un communiqué sur les réseaux sociaux. « Briançon n’est pas, et ne sera jamais tant que je serai Maire, le laboratoire d’expérimentation d’une extrême gauche plaidant pour une immigration massive et incontrôlée », y déclarait-il.

Une position que déplorent les travailleurs et bénévoles des Terrasses Solidaires. « Pointer du droit les migrants, ça ne rime à rien. Ils sont là de toutes manières, fustige Jean Gaboriau, administrateur du lieu. La police à la frontière coute 5 à 6 millions par an d’argent public et elle ne sert à rien ! »

Le réfectoire du refuge transformé en dortoir pour faire face à l’afflux de personnes cet été ©NévilGagnepain

L’inaction des pouvoirs publics

Depuis le mois d’août, la crise humanitaire qui se joue ici est gérée uniquement par la solidarité, par des bénévoles. « Ça, ça devrait les inquiéter. En fait, on joue un rôle de paix sociale », estime Jean Gaboriau. Sans le refuge pour accueillir les exilés, beaucoup risquent de se retrouver en situation d’errance dans la vallée. Les gestionnaires du lieu appellent l’État à prendre ses responsabilités pour mettre à l’abri des personnes en danger.

« Un Sénateur (le centriste, Jean-Michel Arnaud, NDLR) a appelé à “trouver une solution ensemble” j’ai envie de dire chiche. Faisons une table ronde avec le maire, le sénateur, le préfet, tous les acteurs et un médiateur externe afin qu’il y ait une vraie réflexion », propose Jean, sans trop y croire. Pour lui, la solution passe par un accueil digne des exilés qui traversent la frontière depuis l’Italie.

Les Terrasses solidaires fermées jusqu’à nouvel ordre

La situation est telle qu’ils ont dû prendre la décision de fermer le lieu, le mercredi 30 août. « Les Terrasses resteront fermées tant qu’elles ne seront pas remises en état », explique Jean. Nettoyage, désinfection, remise aux normes des installations électriques, un chantier fastidieux s’annonce dans ce lieu rendu insalubre par plusieurs mois de surpopulation. « On a bien fait de fermer parce qu’on ne voyait pas à quel point c’était détérioré et dangereux tant il y avait du monde », constate l’administrateur.

Les gestionnaires du refuge appellent à la solidarité pour récolter des fonds et pour renforcer leurs équipes de bénévoles. Les Terrasses solidaires attendent aussi des fonds pour pouvoir aménager les trois étages encore en chantier dans le bâtiment et augmenter sa capacité. « Il faudrait un million de plus », chiffre Marjolaine.

Depuis la fermeture, les exilés qui traversent la frontière sont accueillis sur les terrains de la paroisse Sainte-Thérèse de la ville. Les personnes les plus fragiles, enfants ou femmes enceintes sont logées dans une salle, les autres dans des tentes. Mais l’association Refuges Solidaires doit rendre le terrain à la paroisse le 14 septembre. Si les Terrasses n’ont pas rouvert d’ici là, les solidaires seront à court de solution, la crise humanitaire sera totale.

Névil Gagnepain

*Les prénoms ont été modifiés

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