Sur le port de Cherbourg-en-Cotentin (Manche), les terrasses bondées accueillent les premiers rayons de soleil de juillet. Mais derrière les portes du Café du Port, l’ambiance est tout à fait différente. Sandrine Poulain, la gérante du restaurant, et Alae-Eddine Ennaimi, son salarié, ont la mine défaite.

Les jours du jeune serveur en France sont comptés. Ce Marocain de 24 ans fait l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) depuis le 15 juin 2023 pour falsification de papiers d’identité. Depuis le 1ᵉʳ août 2023, Alae-Eddine Ennaimi est assigné à résidence dans l’attente de son expulsion.

Surnommé Aladin par ses collègues, le serveur officie au Café du Port à Cherbourg-en-Cotentin depuis juillet 2022. Ici, le Marocain s’est senti très vite à sa place. « Aladin travaillait bien et était agréable. Tous les collègues l’ont tout de suite apprécié », raconte Sandrine Poulain. Le jeune homme a d’abord été embauché en contrat saisonnier avant de signer pour un CDI à la fin de l’été 2022. « C’est tout naturellement qu’on a décidé de prolonger son contrat », explique la gérante.

L’émotion laisse place à la mobilisation

Depuis l’annonce de son expulsion, clients et salariés se mobilisent. « Tout le personnel et certains habitués du restaurant ont rédigé une lettre de recommandation à destination de la préfecture de la Manche », s’émeut la gérante. « C’est peut-être le petit geste qui va changer la donne », espère-t-elle.

Sandrine Poulain a également demandé de l’aide du maire socialiste de Cherbourg-en-Cotentin, Benoît Arrivé. À trois reprises, ce dernier a contacté le préfet manchois et s’est à chaque fois vu opposer une fin de non-recevoir. « Le préfet lui répond qu’avec des faux papiers, il n’y a pas de retour en arrière possible », rapporte la gérante, désemparée.

Au Café du Port, les clients le connaissent bien. « Je l’appelle mon Aladin. C’est un brave homme qui travaille dur pour être ici. Il ne mérite pas son sort », lâche un habitué assis près du bar avec son café.  « C’est un bosseur. Il ne compte pas ses heures », abonde Peter Lemarquand, cuisinier dans le restaurant depuis six ans. En un an, le cuisinier a tissé des liens avec Aladin : « Après le travail, on allait souvent au sport ensemble ».

Une proximité qui a amplifié le choc et l’incompréhension lorsque, le 15 juin dernier, un contrôle de l’Urssaf met fin au quotidien tranquille de ce restaurant du port de Cherbourg.

Un contrôle « agressif »

Le contrôle était, selon les employés du café, très violent. « Ils sont arrivés en plein service, alors que la terrasse était noire de monde », relate la gérante. « Ils étaient douze, avec deux chiens et des gilets pare-balles, et ont encerclé le restaurant. Ça semblait irréel », poursuit-elle. Accompagnés de la police aux frontières et de la police nationale, les inspecteurs effectuent leur contrôle.

« Il y en a un parmi eux qui ne me lâchait pas. Il était plus agressif verbalement avec moi qu’avec mes autres collègues », souligne Alae Eddine. Ils finissent par contrôler les papiers du jeune Marocain et découvrent qu’ils sont falsifiés. Après 24 heures de garde à vue, où questions, photos et prélèvements d’empreintes sont effectuées, Aladin écope d’une OQTF délivrée par le préfet de la Manche.

Le passeport du Marocain est confisqué. Désormais, il doit se présenter chaque jour devant la direction centrale de la police aux frontières (PAF) pour signaler sa présence auprès des autorités. « Même le samedi et le dimanche », précise-t-il.

Avant le contrôle, la gérante du restaurant assure ne pas avoir eu connaissance de cette histoire. « Je vérifie tout. Mais à l’œil nu, il était impossible d’entrevoir une différence », explique la patronne. Cet écart ne change rien aux yeux de Sandrine Poulain qui estime que son serveur est victime d’une injustice.

Impasse administrative

« Nous avons tout tenté. Avocats, associations, préfecture… Nous sommes face à un mur administratif », se désole Sandrine Poulain. « Un recours pour une OQTF fonctionne rarement », explique l’association Itinérance, qui vient en aide aux réfugiés à Cherbourg-en-Cotentin. Peu de solutions se présentent alors pour le jeune Marocain. « Nous attendons que l’OQTF devienne obsolète (une OQTF a une durée d’un an, ndlr) pour que les jeunes puissent reprendre leur vie », conseille l’association.

Je ne mange plus, je ne sors plus, je fume beaucoup, aussi

Attendre oui, mais à quel prix ? Privé de son travail, Alae-Eddine passe ses journées inquiet de se voir emmener au CRA (centre de rétention administrative) de Rennes : « Je ne mange plus, je ne sors plus, je fume beaucoup, aussi. C’est très dur comme situation. »

Selon les conditions d’une OQTF, Aladin a 30 jours pour quitter le territoire français. Son avocat a fait appel, et le Marocain doit passer devant le tribunal administratif dans les prochaines semaines. Malgré tout, les autorités peuvent demander à Aladin de quitter le territoire avant cette rencontre. « Ils peuvent venir chez moi à tout moment pour prendre mes affaires et me demander de partir », s’inquiète-t-il.

À quelques mois de la demande de nationalité

Avant de déposer ses valises à Cherbourg-en-Cotentin, le jeune Marocain a vécu un périple éprouvant. Dans un premier temps, Aladin quitte le Maroc en avion et atterrit à Istanbul, en Turquie. Il poursuit sa migration vers le nord, à pied, en passant par la côte adriatique : de la Grèce, en passant par l’Albanie, la Croatie, la Slovénie, jusqu’en Italie. « Nous étions dix au départ de la Turquie », raconte le Marocain. Il prend une pause, et ne s’épanche pas davantage sur le “voyage”. « C’était très dur à vivre. »

Après un premier contrôle en 2021 à Nice, dans les Alpes-Maritimes, où le jeune homme s’était installé, Aladin se fait une nouvelle fois contrôler l’année d’après à la gare de Cherbourg-en-Cotentin, où il vivait chez sa compagne. « Je n’avais pas de papiers parce que je savais qu’on allait me refuser ma demande », assure-t-il. « Je préférais attendre et demander la nationalité française au bout des cinq ans. » Alae-Eddine est en France depuis quatre ans et huit mois.

Une pétition pour « Sauver Aladin de l’expulsion »

Impuissante. C’est ce que ressent Sandrine Poulain face au manque d’humanité. « Il n’y a pas de délinquance, pas de casiers. Rien », clame-t-elle, toujours dans l’incompréhension. Contactée, la préfecture de la Manche n’a quant à elle pas donné suite à nos sollicitations.

Avec la loi sur l’immigration qui compte un article sur la délivrance des titres de séjour pour les métiers en tension, Sandrine Poulain espère que son employé soit régularisé. L’examen de la loi devant le Sénat est prévu en septembre. « D’ici-là, on ne lâche rien », promet-elle.

L’histoire d’Aladin touche les Cherbourgeois et a été reprise auprès des journaux locaux tels que La Presse de La Manche, La Manche Libre et Ouest France. En dernier recours, la gérante du café a lancé une pétition, espérant être entendue. Ce dont Alae-Eddine est sûr, c’est qu’il pourra toujours compter sur sa famille française.

Claire Martinez

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