« J’ai dessiné une école pour dire aux gens que j’ai vraiment envie d’apprendre », explique Moussa, en pointant du doigt son œuvre affichée au mur. « J’ai aussi fait une petite maison pour montrer que j’ai besoin d’un endroit où dormir. » Ce soir, le temps du vernissage, Moussa est un artiste. Mais une fois les portes fermées, le jeune mineur venu seul de Guinée-Conakry se retrouvera à nouveau, comme depuis plusieurs mois, dans une situation d’extrême instabilité.

Les mineurs non-accompagnés, souvent arrivés en France au péril de leur vie, font face une fois sur place à la méfiance, à la violence, à la précarité. « Depuis que je suis là, ça se passe mal. Je dors dehors, dans la rue », confie l’adolescent. La semaine dernière, les températures à Paris étaient négatives. « On s’accroche, même si ce n’est pas facile. Mais heureusement, les associations nous accompagnent » positive-t-il.

Les collectifs associatifs auxquels il fait référence, les Midis du MIE, Utopia56, Tara et Timmy, sont à l’origine de cette exposition qui rassemble les œuvres issues de collaborations entre artistes et une trentaine de jeunes. « L’idée a vu le jour au moment de l’occupation de l’école Erlanger », se rappelle Maria*, bénévole aux Midis du MIE. De mars à juin 2023, ils étaient plus de 600 jeunes sans abri à s’être réfugiés dans l’établissement scolaire désaffecté.

« On dessinait avec eux sur les murs, et on s’est dit que ça pourrait être bien de faire une exposition, pour sensibiliser le maximum de monde à leur situation. » Ils contactent alors galeries et mairies jusqu’à tomber sur Jean-Marc, le fondateur d’Échomusée. « Il a été très motivé dès le départ, et il nous a d’ailleurs beaucoup aidés sur un temps très court », se réjouit la jeune femme.

« J’ai tout de suite été touché par leur idée »

« J’ai tout de suite été touché par leur idée », raconte Jean-Marc. « La jeunesse des bénévoles, et celle des mineurs dont ils s’occupent, le travail d’accompagnement de ces mômes qu’on croise dans la rue, je trouve ça génial. » Sa galerie, à la façade jaune qui brille comme un soleil au milieu du quartier de la Goutte d’Or, attire amateurs de projets et spectateurs curieux.

« Ce quartier, ça va au-delà de ce qu’on en montre, la drogue, la prostitution, les faits divers… C’est un croisement de cultures », raconte-t-il, visiblement passionné par l’endroit. « Ici, tout le monde est bienvenu, et nous, on travaille avec tous les profils. »

La richesse de la programmation témoigne du foisonnement culturel du lieu. « Une à deux expositions thématiques par mois, des ateliers avec des associations, avec les retraités, les femmes, les enfants… On est bien ancrés dans le sol où l’on se trouve », sourit-il, en invitant les visiteurs à entrer.

Raconter des histoires, en images et en sons

Emma Gautier, jeune photographe, y expose pour l’occasion sa première série documentaire, réalisée en accompagnement des MNA. « J’ai voulu travailler sur les mouvements des jeunes. Ils n’ont pas la possibilité de savoir combien de temps ils peuvent rester dans un abri, et ne savent pas où ils seront demain », raconte-t-elle. « J’ai décidé de documenter comment ça affecte leur manière de vivre leur enfance et leur adolescence. » Elle poursuit : « C’est assez bien retranscrit dans l’expo dans sa globalité d’ailleurs. Il y a quelque chose de très pur, dans leur dessin notamment, qui côtoie une situation extrêmement précaire ».

Les œuvres exposées frôlent l’intimité, et lèvent le voile sur l’innocence et les rêves des adolescents. Et parviennent à éviter tout voyeurisme. En accès libre à l’entrée de la galerie, les témoignages de certains jeunes sont diffusés dans un casque. Pour quiconque écoute, l’exposition n’existe plus, un être humain se confie. L’écoute est dure, mais nécessaire. L’idée n’est pas uniquement de montrer leur réalité, mais surtout de leur donner la parole.

On a collecté ces échanges entre les jeunes et les bénévoles. Ils sont beaux et tragiques à la fois

Les dessins, aux traits hésitants, ressemblent à tous les dessins d’enfants : drapeaux, maisons aux toits pointus, portraits d’une naïveté graphique touchante. Sur un mur, des photographies accompagnent des captures d’écran de messages Whatsapp, certains émouvants, drôles. D’autres, décrivant les réalités difficiles du quotidien des jeunes, sont bouleversants, voire révoltants. « On a collecté ces échanges entre les jeunes et les bénévoles. Ils montrent très bien la connexion entre eux », explique Maria. « Ils sont beaux et tragiques à la fois. »

De l’art et surtout un message : « On a tous envie d’aller à l’école, et on a tous besoin d’aide »

Au fond d’une salle, près d’une vidéo qui diffuse les portraits vidéos de jeunes du collectif Qui Conte et les images de Dario Nadal, un visage inattendu apparaît. Emmanuel Macron, représenté au pochoir, assis sur un banc, fait la lecture à un enfant. Avec une phrase, comme une flatterie : « Merci Macron, tu expliques si bien ! ».

Mohamed, l’auteur de cette œuvre en collaboration avec l’artiste Éléphant, raconte. « C’est un message lancé au président pour nous aider et nous sortir de la rue parce que ça dure depuis trop longtemps. L’été n’a pas été facile, et l’hiver non plus », explique-t-il, bonnet bleu vif vissé sur la tête. Comme Moussa, il est reconnaissant de l’opportunité et du soutien des associations. « Je suis accompagné par les Midis du MIE. On peut y aller certains jours, pour des cours de français, de dessin, de musique. Même de danse ! Ça soulage », sourit-il.

Mais comme son camarade, lui aussi n’a qu’un rêve, incarné dans cette œuvre qu’il délivre comme un vœu. « Dessiner, c’est une manière de lancer mon message. Et mon message, c’est qu’on a tous envie d’aller à l’école, et qu’on a tous besoin d’aide. »

Ramdan Bezine

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