Mercredi 26 avril dernier au petit matin, le squat Unibéton sur l’Île-Saint-Denis, qui héberge plus de 400 migrants, est expulsé lors d’une opération policière d’envergure. L’évacuation a lieu à quelques pas du futur village Olympique pour les Jeux 2024. Sous des barnums, les personnels de la préfecture épluchent les situations administratives des habitants avant de les faire monter dans des bus affrétés pour l’occasion.

D’après la préfecture de Seine-Saint-Denis, ce jour-là : « 388 personnes ont été prises en charge. Des solutions d’hébergement en Ile-de-France pour les deux tiers et en province pour un tiers ont été proposées aux occupants. » Sur un des bus destinés à partir en province, une affichette porte la mention “Sas Toulouse”. Les sas régionaux sont un tout nouveau dispositif, imaginés conjointement par les ministères de l’Intérieur et du Logement.

La volonté affichée des services de l’État est de faire face à la crise de l’hébergement d’urgence en Île-de-France. « Dans un contexte de forte arrivée migratoire, il nous est de plus en plus difficile de pouvoir héberger rapidement et dans de bonnes conditions les personnes qui arrivent et qui dorment souvent à la rue les premiers jours », explique George Bos, sous-préfet, conseiller aux affaires intérieures, directeur du pôle migrants auprès de la Dihal (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement).

Trois semaines pour faire « le tour complet de leur situation »

Le dispositif présente une capacité d’accueil de cinquante places par région, dans dix régions de métropole (hors Hauts-de-France, Corse et Île-de-France), pour pouvoir accueillir 500 personnes simultanément.

Des lieux d’accueils créés pour héberger des personnes « logées et nourries » pendant trois semaines. La Dihal promet de mettre en place un examen complet de la situation sanitaire et administrative des hébergés, directement dans ces lieux, afin de mieux les orienter vers des structures ou des hébergements adaptés, à l’issue de ce séjour.

« Les bénéficiaires pourront avoir accès à des services administratifs de manière plus fluide et plus rapide, car ces dispositifs sont moins saturés en région qu’en Île-de-France », avance George Bos. L’occasion pour les services de l’État de faire « le tour complet de leur situation. »

Des promesses qui peinent à convaincre

Mais derrière ces promesses, les associations voient surtout une occasion de massifier les réorientations en région à l’approche des Jeux Olympiques en 2024. « Là, ça va prendre une très grande ampleur, 600 personnes par mois, ça coïncide fortement avec le calendrier d’organisation des très grands événements sportifs, qui vont nécessiter d’évacuer des zones concernées par des aménagements urbains, type Grand Paris express », s’inquiétait Ninon Overhoff, responsable du département “de la rue au logement” du Secours Catholique, début avril. Le lien supposé avec les JOP était justement sur toutes les lèvres lors de l’évacuation d’Unibéton le 26 avril.

Même si George Bos affirme que « derrière les SAS, il y a des places d’hébergement en région en train d’être mis en place pour accueillir », le calendrier laisse à craindre qu’un dispositif cohérent ne soit pas prêt pour que l’accueil puisse être fait de façon appropriée. « On était en attente d’une discussion qui n’a jamais eu lieu pour la mise en place d’un dispositif qui accueille dignement les personnes », dit Ninon Overhoff. 

Pour les associations, peu d’espoir et beaucoup d’inquiétudes

Dans le milieu associatif, les inquiétudes sont légion. Georges Bos affirmait début avril que « les sas [étaient] quasiment tous prêts à accueillir du public. » L’expulsion du squat Unibéton a confirmé que leur utilisation a bien commencé. Mais difficile de savoir avant d’avoir un peu de recul ce que sera exactement ce dispositif. Le gouvernement vante un changement d’approche et promet de donner leur chance aux personnes qui viennent d’arriver en France.

La nécessité d’un premier accueil mieux réparti sur le territoire semble aller de soi. Pascal Brice, Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), veut y croire : « Tout ce qui permettra que la prise en charge des personnes soit améliorée significativement sera bon à prendre étant donné la situation en Île-de-France qui ne nous satisfait pas, explique-t-il. Nous considérons qu’un accueil digne passe probablement par une capacité à mieux accueillir un peu partout dans le pays. »

On sait qu’on n’est pas devant une administration bienveillante sur ces questions-là aujourd’hui 

Mais du côté d’Utopia 56, les arguments manquent leur cible. « Même si de prime abord, on est devant une démarche qui peu paraître cohérente, sur la mise en place, il va falloir être vigilants. On sait qu’on n’est pas devant une administration bienveillante sur ces questions-là aujourd’hui », estime Nikolaï Posner, coordinateur communication pour l’association. Ni dans un contexte où les politiques gouvernementales iraient vers un meilleur accueil des exilés.

Dans un article publié sur son site, la FAS soulève six aspects à surveiller au plus près. « Ce que nous mettons en avant, ce sont des points de vigilance. Que va-t-il se passer au point de départ ? Au point d’arrivée ? Il y a une préparation préalable nécessaire, c’est une affaire de l’État », prévient Pascal Brice.

L’accueil en région déjà existant depuis Calais

La réorientation en région en tant que telle n’a rien de nouvelle. Un dispositif du genre avait déjà été mis en place en octobre 2016, lors de l’évacuation de « la jungle » de Calais. À cette époque, selon les associations, plus de 8 000 exilés vivaient dans le plus grand bidonville de France, sur les côtes du Pas-de-Calais. Venus principalement d’Afghanistan, du Soudan et d’Érythrée, ils espéraient pouvoir entreprendre la traversée de la Manche pour se rendre au Royaume-Uni. Près de 2 000 d’entre eux avaient été “pris en charge” pour être envoyés dans 450 centres d’hébergement partout sur le territoire.

En ce qui concerne la région parisienne, le processus existe aussi depuis plusieurs années. « Ils ont commencé à communiquer dessus en décembre 2020 », rappelle Nikolaï Posner, membre de l’association Utopia 56. Marlène Schiappa, à l’époque Ministre déléguée chargée de la citoyenneté, présentait alors son Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés 2021-2023.

Une stratégie de “dispersion” qui ne porte pas ses fruits

Depuis, lors des évacuations de squat et de campements, la préfecture met à disposition des bus pour envoyer les expulsés en régions de manière récurrente. Sur ce point, rien de nouveau. Mais les sas doivent changer la donne, ne pas reproduire les mêmes erreurs. « Ce qui est fait actuellement, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. C’est plus de la dispersion que de la prise en charge des personnes. C’est contraire à la dignité », soulève Pascal Brice.

Les personnes montent dans les bus sans savoir où elles vont. C’est sacrément violent

Lors des évacuations de campements, les hommes et les femmes expulsés montent souvent dans des bus sans leur consentement éclairé. « Les personnes montent dans les bus sans savoir où elles vont. C’est sacrément violent », pointe Nikolaï Posner. Une façon de procéder contre-productive, qui ne résout aucun problème. « Nos fédé régionales nous font remonter régulièrement des situations où des gens arrivent, sans savoir ce qu’ils font là et repartent très vite vers Paris », relate le président de de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).

De plus, les attaches préexistantes ne sont pas suffisamment prises en compte. Les habitants des squats et des campements peuvent être établies en Île-de-France depuis des années, être suivies par des associations, travailler, avoir des enfants scolarisés. « Pour ces familles déracinées, il faut tout recommencer à zéro, on ne peut pas faire ça à l’aveugle. C’est dramatique pour les personnes et contre-productif pour les administrations et associations », s’agace Ninon Overhoff.

Inquiétude pour les personnes en situation irrégulières

Dans le cadre des sas régionaux, la Dihal promet de changer d’approche et de prendre en compte tous ces critères. Ce dispositif va être proposé comme « une opportunité » aux concernés et sera accessible « sur la base du volontariat ». Les services de l’État comptent sur le soutien des associations pour les aider à « sensibiliser, pour expliquer aux personnes quel est l’intérêt d’un sas. » 

La plus grande vigilance sur le fonctionnement des sas dans les mois à venir est de mise. L’inquiétude monte aussi sur le traitement réservé aux migrants en situation irrégulière. Ces sas intègrent un examen des situations juridiques. « L’hypothèse la moins optimiste serait que cet examen des situations administratives facilite l’expulsion des personnes sans titre de séjour », explique Ninon Overhoff. Et de rappeler que le contexte politique actuel autour des questions migratoires « nous invite à la plus grande prudence. »

Névil Gagnepain

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