C’est une histoire qui finit mal. Dans une ville tranquille de l’Isère, à Saint-Marcellin, Mouhssine Zouine, 43 ans, comptait couler des jours heureux. Il y a deux ans et demi, l’ancien routier s’installe dans près de cette commune de 8 000 habitants et y ouvre une boulangerie. Une passion devenue profession après avoir appris le métier auprès de ses beaux-frères.

Mais très vite, les choses se gâtent. Mouhssine Zouine dit essuyer un harcèlement raciste dont il se décide à faire part sur les réseaux sociaux. Une journaliste du Dauphiné libéré couvre l’affaire, puis, une vidéo réalisée par AJ+ retraçant son calvaire devient virale sur les réseaux sociaux.

Mais après la vidéo, les attaques contre lui, sa famille et son commerce ont continué, rapporte le boulanger. Il a déposé de plainte pour des dégradations, des menaces et des injures. Parallèlement, la baisse du nombre de clients a creusé un trou béant dans ses finances. Le 18 juin dernier, Mouhssine Zouine s’est résigné à baisser le rideau. Il a accepté d’en parler avec le Bondy blog. Interview. 

Pouvez-vous revenir sur les événements qui vont ont poussé à fermer votre boulangerie ?

Malgré le Covid, la première année s’est plutôt bien passée, et puis à partir d’octobre 2021 les choses ont commencé à se dégrader. Certaines personnes m’apostrophaient et me demandaient pourquoi je faisais des pâtisseries orientales alors qu’on est en France. D’autres ironisaient sur le fait qu’un « Arabe » fasse du pain. Ce sont des idiots qui ignorent que le pain existait déjà dans l’Égypte antique.

Un jour, une dame m’a même dit qu’elle détestait les Marocains. Mes parents sont originaires du Maroc… Une autre fois, un client m’a demandé un jambon beurre et une bière, produits que je ne propose pas, puis m’a balancé : « C’est quoi cette boulangerie de salope. »

Je suis passé de 200 baguettes par jour à 50

Pour moi, c’étaient des gamineries, même si les personnes qui tenaient ces propos avaient tous plus de 50 ans. Mais les choses ont empiré.  J’ai constaté des dégradations : crachats, poubelles et excréments sur ma terrasse, urine sur ma vitrine… Certains clients m’ont confié avoir reçu des pressions pour ne plus venir acheter chez moi, un appel au boycott qui a très vite fait son effet. Je suis passé de 200 baguettes par jour à 50.

En juin 2022, vous dénoncez ce que vous subissez d’abord dans un article du Dauphiné libéré puis sur AJ+. Pouvez-vous nous raconter ?

Tout est parti d’un post Facebook sur un groupe consacré aux habitants de Saint-Marcellin, début juin 2022. J’y faisais part de mon exaspération et j’ai dénoncé ces attaques racistes. Après ce post, j’ai été contacté par une journaliste du Dauphiné libéré et puis par AJ+ qui a fait une vidéo qui est devenue virale.

À la suite de cette vidéo, j’ai reçu du soutien du monde entier, ça a vraiment fait chaud au cœur, mais si ça apporte le réconfort moral, malheureusement ça n’a pas évité le boycott.

Avez-vous déposé plainte ?

Oui. Au début, je ne voulais pas déposer plainte parce que ce n’est pas dans mes habitudes. Et puis je pensais qu’après la médiatisation de l’affaire ça allait se tasser, mais non.

Je me suis décidé à déposer plainte en décembre 2022 suite à des dégradations sur ma vitrine durant la nuit. Mais la gendarmerie m’a prévenu : sans vidéo, une plainte contre X n’aboutira à rien

Quelles ont été les conséquences sur votre vie personnelle ?

Depuis février, j’ai perdu énormément de poids. En rentrant chez moi, j’évite de parler de mes problèmes à ma famille pour ne pas les inquiéter, mais moralement, c’est très dur.

Il y a des jours où c’est très compliqué de se lever le matin

Même si c’est quelque chose qu’on a du mal à évoquer, je suis au bord de la dépression. Il y a des jours où c’est très compliqué de se lever le matin. Ils m’ont enlevé le goût du travail.

Il m’a fallu dire stop. Je préfère mettre la clef sous la porte et garder le peu de santé qu’il me reste. Financièrement, j’ai épuisé toutes mes économies. Je vais être saisi, mais je préfère perdre mon matériel que de perdre ma santé.

Pourquoi vouloir témoigner aujourd’hui ?

J’ai voulu raconter ce que j’ai subi parce que cette situation est révélatrice de ce qui se passe dans ce pays pour les musulmans. On leur prête tous les maux.

Pourtant, je suis né en France, j’y ai grandi, je n’ai aucune attache au Maroc. Quand je pars là-bas, je suis comme n’importe quel touriste. Je suis un immigré des deux côtés.

Je travaillais 150 heures par semaine, je paie plus d’impôts que la plupart de ceux qui m’ont insulté. Mais on me considère comme un Arabe qui n’a pas sa place ici et qui, de plus, avait le tort de pas venir de Saint-Marcellin. Heureusement, certains clients ont continué à m’apporter leur soutien, mais cela n’a pas suffi.

Propos recueillis par Céline Beaury

Articles liés