C’est la première fois, en Europe, qu’une enquête empirique atteste d’une différence, en fonction de la race et du genre, dans la prise en charge des patients dans les services d’urgences.

1 500 soignants, de 159 villes entre la France, la Belgique, la Suisse et Monaco y ont participé. L’objectif était de trier les patients selon la gravité de leurs symptômes sur une échelle de 1 à 5. Tous présentaient une douleur thoracique, représentée par une main sur la poitrine. Il était demandé, aux professionnels de santé, de faire un diagnostic visuel, à partir d’images générées par l’Intelligence Artificielle.

Il leur fallait ainsi jauger de la gravité du cas présenté. On retrouvait huit profils de patients, quatre hommes et quatre femmes, de quatre ethnies différentes : Asiatiques, Maghrébins, Blancs et Noirs.

Les résultats de ce test de grande ampleur laissent apparaitre un constat sans équivoque. Les femmes seraient moins prises au sérieux que les hommes et les Blancs plus au sérieux que les Noirs.

Dans 58 % des cas, l’urgence vitale a été associée à une image d’apparence ethnique blanche, contre 47 %, quand l’apparence était noire

« Dans 62 % des cas, le cas clinique a été considéré comme une urgence vitale quand l’image associée était celle d’un homme, contre 49 % quand c’était une femme », soulève les chercheurs.

« Dans 58 % des cas, l’urgence vitale a été associée à une image d’apparence ethnique blanche, contre 47 %, quand l’apparence était noire. Il s’agit d’un diagnostic d’urgence vitale dans 63 % des cas lorsque l’image associée était une image d’homme blanc contre 42 % pour une femme noire », pointent-ils, par ailleurs.

Interroger la force des préjugés socio-culturels dans le diagnostic

Xavier Bobba, professeur en médecine urgentiste au CHU de Montpellier, est à la tête de cette étude. Son ambition est claire : interroger la force des préjugés socio-culturels durant le diagnostic du médecin. Les médecins sont ainsi considérés comme membres d’une société. Lorsqu’ils font le tri, ils procèdent à une sélection intuitive. Sauf que ces intuitions ne sont jamais neutres.

Le professeur a parlé, ce vendredi 12 janvier chez Franceinfo, d’un « fond de racisme et de sexisme inconscient lié à notre histoire et à notre culture » chez les soignants. Le serment d’Hippocrate ne fait donc pas foi d’une objectivité pure dans le triage des patients.

Ces différences de traitement peuvent engendrer des conséquences dramatiques. Sous-estimer les symptômes peut conduire à des erreurs de diagnostics. Dans l’actualité, plusieurs affaires ont déclenché la polémique et interroger la profession sur ses biais racistes. Le sort tragique de Naomi Musenga en fait partie.

Cette jeune femme noire souffrait d’intenses douleurs au ventre et n’a pas été prise au sérieux par l’opératrice du SAMU de Strasbourg. Elle est décédée quelques heures après l’appel. Les femmes noires représentent les patientes les plus à risque selon cette étude, elles se trouvent à l’intersection de discriminations raciste et sexiste.

Lire aussi. Mort de Naomi Musenga : « Nier la dimension raciste, c’est passer à côté du fond du problème »

Cette étude appelle à réfléchir en profondeur aux biais sexistes et racistes en médecine, et à des solutions pour garantir un traitement identique pour tous. Les scientifiques appellent à informer et à former les professionnels.

Notre réflexion médicale est sexiste et raciste

« Notre réflexion médicale est sexiste et raciste. C’est comme cela partout. Elle s’appuie sur l’expérience, le vécu, le ressenti et aussi les convictions », affirme Xavier Bobba. Les biais dans le domaine médical reflètent ceux présents dans notre société. Pour que chacun puisse avoir accès à une qualité de soins égale, il ne faudrait donc pas se limiter au secteur de la santé, mais lutter contre les préjugés de manière plus globale.

Florine Dievart-Spakowski

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