Un carrelage beige, un robinet, des urinoirs et dans un coin, une table et ses deux chaises. Au commissariat de Bondy (93), les sanitaires font office de bureau pour les entretiens des gardés à vue avec leurs avocats, mais aussi de cabinet médical. « Bonjour l’hygiène...», maugrée l’avocat Maître Arnaud Dilloard. En cause, un manque de place suite à l’arrivée de nouveaux effectifs au sein du commissariat.

L’installation perdure depuis juillet, au grand dam des avocats qui, conformément à la loi, doivent pouvoir s’entretenir avec leur client de manière confidentielle lors des passages en garde à vue. « La situation va bien au-delà de l’égo personnel », souligne Maître Dilloard qui a déposé le 6 décembre un référé devant le tribunal administratif.

En garde à vue, on a parfois des types stressés, c’est difficile d’établir un rapport de confiance dans ces conditions

« Cela montre que le droit de la défense n’est pas bien considéré et que la dignité humaine n’est pas assurée », poursuit l’avocat. « En garde à vue, on a parfois des types stressés qui ne savent pas ce qu’on leur reproche. C’est difficile d’établir un rapport de confiance dans ces conditions », pointe Maître Dilloard.

Après plusieurs mois d’alerte, les avocats de Seine-Saint-Denis et la Bâtonnière du barreau, Maître Stéphanie Chabauty, ont déposé un référé « mesures utiles » (RMU). Dans leurs demandes, ils réclament un local dédié aux avocats, mais également « le nettoyage quotidien » des cellules, le prêt de « couverture individuelle et propre » pour les gardés à vue, ou encore la mise à disposition d’un robinet dans chaque cellule et la distribution « systématique » de kit d’hygiène. « Nous sommes rationnels, on ne demande pas la lune », fait remarquer Maître Dilloard.

La mobilisation des avocats du 9.3

L’audience du Tribunal administratif, le mercredi 6 décembre, se déroule en l’absence des représentants du ministère de l’Intérieur. Sur les bancs, des avocats revêtent leurs robes pour assister au référé. « Dans cette affaire, j’ai toute la profession derrière moi », souligne Maître Dilloard.

Obligés de travailler au beau milieu des toilettes, les avocats réclament en premier lieu le retour de leur ancien local. Car depuis juillet, la pièce qui faisait office de salle de contrôles éthylotest, cabinet médical et local pour les avocats est utilisée par des policiers venus grossir les rangs du commissariat. Leur arrivée est intervenue quelques jours après « la mort du jeune Nahel » et les révoltes urbaines.

Le ministère de l’Intérieur, lui, ne s’explique pas sur ce sureffectif qui n’a pas pris en compte la petitesse des lieux. Les autorités assurent que des travaux d’agrandissement sont prévus pour le premier trimestre 2024. « Il n’y a pas d’urgence à prononcer de mesures conservatoires », conclut le mémoire de défense mentionné à l’audience. Ce dernier met également en doute le bien-fondé des demandes des avocats à la vue « des délais très longs mis à contester les mesures litigieuses ».

Des précédentes alertes ignorées

Dans les faits, la situation a été remontée au procureur de Bobigny dès le 19 juillet 2023 par un mail envoyé par la Bâtonnière. En dépit d’une relance deux mois plus tard, « selon la tradition administrative », l’alerte est restée sans réponse. Le signe, « dun mépris généralisé », pour Maître Dilloard.

Le commissariat de Bondy n’a d’ailleurs jamais été connu pour son attention à l’hygiène. Il y a 10 ans déjà, un rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté « soulignait un certain nombre de problèmes, mais la situation s’est aggravée depuis », précise l’avocat.

En 2013 déjà, le rapport du Contrôleur notait l’absence du kit d’hygiène prévu pour les gardés à vue. Ce kit comprend des lingettes rafraîchissantes, du dentifrice à croquer et des serviettes hygiéniques pour les femmes. Le Conseil d’État avait rappelé au gouvernement ses obligations lors de la crise du Covid-19. Les kits d’hygiène doivent être « automatiquement proposés aux personnes gardées à vue dans les plus brefs délais », rappelle la juridiction administrative.

Concrètement, quand des femmes sont placées en cellule, ce sont les policières qui leur prêtent un tampon

Mais ces manquements ont toujours cours. En 10 ans, toujours pas l’ombre d’une serviette hygiénique pour les gardées à vue. « Concrètement, quand des femmes sont placées en cellule, ce sont les policières qui leur prêtent un tampon », indique Maître Dilloard.

Le ministère de l’Intérieur a mis à disposition des 26 commissariats de Seine-Saint-Denis 3 120 kits rien que pour l’année 2023, ont répondu les autorités. « Il y a 2 500 garde-à-vue par an rien que dans la ville de Saint-Denis », s’impatiente l’avocat du Barreau.

« Ces gens ne se lavent de toute façon pas chez eux » : le dérapage d’un commandant

Des kits d’hygiène ont pourtant bien été trouvés au commissariat de Bondy, à l’occasion d’une visite surprise en 2023. « Ils étaient neufs, mais périmés car les policiers ne les distribuent pas », affirme Maître Dilloard.

Depuis un changement législatif de 2021, les Bâtonniers disposent d’un droit de visite dans des lieux de privation de liberté. Quelques semaines après les révélations de Mediapart, en décembre 2022, sur la présence de photos à caractère sexiste et sexuel dans les bureaux du commissariat de Bondy. La Bâtonnière s’y rend le 25 janvier 2023.

« Un relevé de température est effectué. Il y fait 15,2°C », observe-t-elle, dans son rapport. En termes d’hygiène, la Bâtonnière note que « les constats réalisés par Monsieur le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Libertés en 2013 sont toujours d’actualité ». 

La visite réserve néanmoins quelques surprises. Après avoir interdit aux Magistrats de s’entretenir seuls avec les gardés à vue, un commandant se démarque. « Au cours de l’échange, le commandant adjoint du commissaire indique que ‘ces gens ne se lavent de toute façon pas chez eux’ ».

Des changements législatifs en faveur des gardés à vue

Le commissariat de Bondy n’est pas un cas unique. Au printemps dernier, le tribunal administratif avait infligé un camouflet à l’État. Des travaux et le nettoyage quotidien des cellules du commissariat de Nice (Alpes-Maritimes) devaient être réalisés sous peine de pénalités de retard.

En France, on a un traitement de la délinquance qui ne respecte plus les grands principes

Le Conseil Constitutionnel aussi s’est positionné en faveur du respect des personnes placées en garde à vue. Le 6 octobre dernier, l’institution a décidé que « le procureur de la République [devait] contrôler l’état des locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’[estimait] nécessaire et au moins une fois par an ». « En cas d’atteinte à la dignité de la personne », précisent les Sages, le procureur peut « ordonner sa remise en liberté ».

Maître Dilloard voit dans ce texte quelque chose « d’ambitieux, mais inapplicable ». « J’attends de voir le jour où on libérera un gardé à vue, car les conditions sont indignes », ironise-t-il.

« En France, on a un traitement de la délinquance qui ne respecte plus les grands principes de présomption d’innocence et de dignité humaine », analyse l’avocat. « Cela doit nous interroger. Dans quel pays veut-on vivre ? », poursuit-il, grave. Le tribunal administratif devra répondre à cette question le 13 décembre prochain.

Méline Escrihuela

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