Ils se sont lancés à la fin de l’année 2022. Abdelaali El Badaoui, Sanaa Saitouli, Féris Barkat et Youssef Soukouna ont fondé l’association Banlieue Climat. Une aventure aussi accompagnée par le rappeur, Sefyu. Face à l’urgence climatique et ces conséquences, ils se sont fixés un objectif : mobiliser les habitants des quartiers populaires pour qu’ils se saisissent de la question climatique.

L’association organise des formations autour des enjeux environnementaux et accompagne des jeunes vers les métiers de la transition écologique. À leur actif, ils ont formé plus de 360 jeunes.

Originaire de Cergy, Sanaa Saitouli vit pour le terrain. Elle est engagée depuis plus de 20 ans, ancienne élue chargée de la petite enfance et de la jeunesse, Sanaa Saitouli est aussi la co-fondatrice du collectif “Cergy demain”. L’engagement de Féris Barkat démarre, lui, dans sa ville natale, Strasbourg. Actif sur le terrain et en ligne, il créé du contenu cumulant près de 50k sur Tik Tok, où il vulgarise des données scientifiques auprès de son audience.

Sanaa et Féris nous parlent de l’importance d’intégrer l’écologie aux luttes historiques des quartiers populaires. Entretien croisé.

Pourquoi les banlieues sont-elles plus affectées par le réchauffement climatique ?

Féris : Je commencerai par rappeler la canicule de 2003. Un classement des villes où le taux de mortalité était le plus élevé a été fait. On y retrouve en première position le Val-de-Marne, ensuite la Seine-Saint-Denis. On voit clairement que c’est dû à la configuration des villes. Le manque d’espaces verts, mais aussi la forte bétonisation… La nuit, le béton relâche la chaleur concentrée durant la journée. Ce qui fait que même le soir, les habitants ne peuvent ni se reposer ni bien dormir et cela affecte tout particulièrement les personnes âgées.

Il y a aussi l’agencement du territoire. Les banlieues, telles qu’elles sont aménagées, ne peuvent pas supporter certaines pressions. S’il y a des inondations, par exemple, on va se retrouver avec des grandes crues qui vont tout renverser. Tu rajoutes l’isolation de mauvaise qualité dans les HLM, les conditions sociales et c’est sûr que la vulnérabilité, d’un point de vue strictement climatique, est plus grande.

Sanaa : En 2003, j’étais en première ligne. J’avais 20 ans, j’étais très investie localement, et la canicule m’avait marquée. J’étais au contact des chibanis et chibanias de mon quartier qui ont souffert de cette canicule. Les décès qu’on a pu vivre pendant cette période-là étaient hyper violents.

J’ai perdu mon père en 2004 de la tuberculose. J’ai fait le lien bien plus tard entre sa maladie et son travail en usine. On sentait bien qu’un truc allait arriver, on en était très conscients. Mais je me suis posée la question de savoir si j’étais suffisamment légitime pour commencer à creuser les sujets en lien avec l’écologie ?

De par notre condition sociale, on a grandi avec la sobriété

Pour seuls exemples, on avait les ateliers de tri de déchets qui s’organisaient dans nos quartiers et qui, je trouvais, étaient très humiliants. En réalité, on s’est toujours saisi de ces questions, on les a juste moins revendiquées. De par notre condition sociale, on a grandi avec la sobriété, on a toujours fait et vécu avec peu. Comme le dit Aya Cissoko, nous étions « les écolos de la hess ».

De nombreuses études soulignent le fait que la pauvreté sera amplifiée par les changements climatiques. Comment intégrez-vous la question sociale dans vos actions ?

Féris : Pour nous, le social et l’écologie sont éminemment liés. Les inégalités sociales et les inégalités environnementales sont provoquées par le même système. Si on donne des outils de compréhension sur la question climatique, on donne aussi des outils sociaux parce qu’ils vont être des moyens d’émancipation. Par exemple, des personnes peuvent trouver un emploi dans les secteurs de la transition écologique.

En les formant, on permet aux jeunes de remettre en question le statu quo social, mais aussi le schéma de réussite ultra-matérialiste. Notre but n’est pas de faire que tout le monde devienne post-matérialiste, “bobo” ou je ne sais quoi. Notre but est de montrer qu’avec les enjeux environnementaux, le monde va changer.

Que fait Banlieue Climat sur le terrain ?

Féris : On essaye d’avancer par étapes. La première étape, c’est la formation pour donner des connaissances, on cherche à outiller les gens sur ces questions-là. De ces connaissances-là, on essaye à la fois de pousser nos formés vers des opportunités en lien avec la gestion du dérèglement climatique. La deuxième étape, c’est l’engagement local. Vu qu’on agit sur des territoires, on mobilise des structures locales.

Sanaa : On ne veut plus laisser les gens parler à notre place. Avec Banlieue Climat, on met un point d’honneur à ce que les solutions viennent des personnes issues des quartiers. En plus des formations, on organise aussi des séjours de reconnexion avec la nature. Par exemple, on prépare notre premier séjour à la Clusaz en collaboration avec l’association Yambi. Il y aura des mères qui viennent de Grigny, car elles nous ont sollicités pour partir avec nous, et des jeunes de notre dernière promotion.

Le but est qu’ils mettent en pratique leur apprentissage avec nous en formant à leur tour les jeunes de l’association Yambi. Avec le recul, on se dit que c’est une sacrée réussite, sans en parler sur les réseaux, beaucoup de personnes voulaient se joindre au projet. C’est incroyable de se dire que ces jeunes veulent venir avec nous, en montagne, pour parler du climat !

Est-ce que vous rencontrez des résistances ou des réticences de la part des habitants et habitantes de quartiers populaires vis-à-vis de ce que vous proposez ?

Sanaa : On a une recette magique qui fait qu’on ne rencontre jamais de réticents. Quand on arrive dans une ville, on entre en contact avec les associations qui sont déjà bien implantées. Notre travail de terrain et notre expérience font qu’on a des portes d’entrées, des contacts, on nous “valide” déjà un peu quoi.

On montre qu’on est vraiment dans une démarche de co-construction et qu’on a envie de voir ce qui existe pour le renforcer. On prend le temps de valoriser, d’écouter, de recenser et de respecter les quartiers dans lesquels on vient. Chaque quartier a ses spécificités et ses engagements. En conséquence, et de manière automatique, nos formations ont toujours été bien accueillies. On est même demandés dans certaines villes.

Vous mettez l’accent sur le fait de donner la parole aux habitants. Pourquoi c’est important ? Quels réflexes ou initiatives existent déjà dans les quartiers populaires ?

Sanaa : Récemment à Bagnolet, j’ai découvert qu’au centre social de la Noue, des mères se réunissaient pour faire des ateliers cuisine. Cela peut paraître anodin, mais en les écoutant, je me suis rendu compte qu’elles avaient une vraie démarche écologique.  Elles n’utilisent que les restes pour leurs ateliers. En discutant avec elles, on leur a dit que ce qu’elles faisaient correspondait à un engagement écologique. C’est important parce que ça crée des modèles auxquels d’autres peuvent s’identifier.

Féris : Si ça ne vient pas de nous-mêmes, ça ne viendra pas parce que les réalités ne seront pas prises en compte. On tomberait dans la culpabilisation des gens et personne n’est mobilisable via la culpabilité. Ça ne touche pas les gens quand on leur parle de choses qui ne les concernent pas, comme l’empreinte carbone. On sait tous que les classes populaires ne sont pas celles qui polluent le plus.

Sanaa : J’ai un dernier exemple qui me vient à l’esprit, celui de la ville des Mureaux. Nous sommes intervenus dans la ville peu de temps après le décès de Nahel M. C’était prévu depuis un moment.

Avec les révoltes, on s’attendait à ce que ce soit annulé, mais ils nous ont quand même demandé de venir et nous ont même autorisés à filmer. C’était un moment fort. On sentait que la formation était une soupape de décompression et on a pris le temps de faire une minute de silence. C’était important pour eux qu’on vienne, ils nous ont dit qu’ils voulaient montrer que malgré le deuil, les quartiers populaires continuaient à s’organiser et à se mobiliser pour des questions qui leur sont cruciales.

Propos recueillis par Hajar Ouahbi

Crédits photos : ©Safaphoto

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