Contexte : Le 18 avril 2022, le collectif La Chapelle debout a réquisitionné un immeuble inoccupé dans le 9e arrondissement de Paris. Le but : en faire un lieu symbolique pour faire valoir les droits des migrants.

Ce lieu deviendra, durant cinq mois, « l’Ambassade » autoproclamée des immigrés. Venus d’Afghanistan, du Soudan, de l’Érythrée ou encore de Mauritanie, ils réclament une égalité de traitement avec les Ukrainiens. Depuis le 20 septembre, ils sont menacés d’expulsion.

Pour faire pression sur la préfecture de la région Île-de-France et enfin obtenir un rendez-vous, ils ont décidé d’occuper la direction régionale des Affaires culturelles.

Date : Mardi 27 septembre 2022

Lieu : Ambassade des immigrés

Objet : Occupation de la DRAC Île-de-France

12h00

Le ciel est gris et l’air frais comme un 27 septembre. Pour la petite centaine de personnes présente à l’Ambassade des immigrés, la journée n’a pourtant rien d’ordinaire. Dans quelques heures, ils investiront par surprise, un établissement dans lequel ils viendront revendiquer leurs droits.

Expulsables depuis le 20 septembre, ils risquent de se retrouver à la rue. L’huissier vient d’ailleurs d’arriver, pour confirmer que l’évacuation est imminente : la procédure est lancée et pourrait conduire à une expulsion dans la semaine.

Depuis cette annonce, les exilés se heurtent au silence de la préfecture de la région Ile-de-France et restent sans garantie de relogement pérenne. Le collectif La Chapelle debout, qui les accompagne depuis six mois, a pris la décision d’investir un établissement public pour exiger la conduite de négociations.

À quelques heures de l’opération, ni les résidents de l’Ambassade, ni les quelques journalistes présents ne savent où se déroulera l’action.

13h00

Le groupe prend, à pied, la direction du métro Cadet. Une dizaine de personnes dans chaque rame, pour ne pas attirer l’attention. Un premier arrêt se fait quelques stations plus loin, à Stalingrad.

13h50 

En arrivant à proximité, une légère agitation s’empare du petit cortège qui, en traversant la rue La Fayette, n’a plus que quelques mètres à parcourir pour atteindre la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), branche de la préfecture de région. L’établissement choisi par La Chapelle debout pour réclamer un rendez-vous avec la préfecture.

14h20 

Pour les agents d’accueil de la DRAC, le retour de la pause déjeuner s’annonçait, ce jour, des plus banals. À 14h20, deux membres de la médiathèque du patrimoine et de la photographie inscrivent leur nom dans le carnet des visiteurs. À 14h21, le hall est occupé. Les ascenseurs, bloqués. Des membres de La Chapelle debout ont investi le deuxième étage, duquel flotte désormais une banderole « Non au racisme », rédigée en français et en arabe.

Pourquoi on est obligé de travailler au noir, pourquoi on est traité comme des criminels ? On veut être traité comme les Ukrainiens

L’opération, bien huilée, démarre alors. Rassurer les employés : tout le monde est ici pacifiquement. Puis formuler la requête, et s’assurer qu’elle est bien entendue. Enfin, le temps des récits et des revendications politiques. Au mégaphone, les prises de parole s’enchaînent en plusieurs langues :

« Pourquoi est-ce que nous, on n’a pas de logement ? Pourquoi on reste dans la rue, pourquoi on est obligé de travailler au noir, pourquoi on est traité comme des criminels ? On veut être traité comme les Ukrainiens », traduit une membre du collectif.

14h45 

Le temps de l’excitation – s’il fut – semble déjà passé. La politique, c’est une chose, dormir sous un pont en est une autre. Les visages se ferment et les regards se font graves à mesure que s’enchaînent les discours. Quelques femmes et enfants, dans des poussettes, venues en soutien, écoutent assises sur les sièges de la salle d’attente.

La majeure partie du groupe est désormais postée derrière la large banderole déployée dans la rue Le Peletier. « On veut que l’humanité existe. Est-ce que l’humanité existe, quand certains ont droit à des maisons et d’autres dorment dans la rue ? », interpelle un exilé. D’autres distribuent des tracts aux passants.

14h50

Deux employés sortent de l’ascenseur et traversent le hall sans un regard. Derrière le comptoir d’accueil, K. a quant à elle tout filmé depuis le début : « Je suis désolée, mais ça m’émeut de voir ça ». Sa collègue, elle, a peur. Son autre collègue, d’abord désorienté, semble depuis s’être ressaisi, et est sorti s’allumer une cigarette.

Dans les étages, deux membres de La Chapelle debout sillonnent les couloirs depuis leur arrivée pour expliquer leur geste. Verdict : les archéologues du 4e sont « à l’écoute et réceptifs ». Au 3e, la situation est vécue « comme une prise d’otage ». Au premier, un cadre supérieur semble déboussolé. « Rien à déclarer », se contente-t-il de dire.

15h30

Adossé contre une fenêtre près des ascenseurs, Osman, 33 ans, est en retrait. Comme de nombreux immigrés africains, son parcours a été jonché d’embûches : des allers-retours entre plusieurs pays européens, des papiers qui n’arrivent jamais, et d’innombrables nuits à la rue. Est-il fier de participer au mouvement ?

Je ne voulais rien d’extraordinaire en venant en France, des papiers, un travail

« Je ne sais même pas. Je suis épuisé. Je ne voulais rien d’extraordinaire en venant en France, des papiers, un travail, un petit appartement, pour pouvoir aider ma famille. Je ne comprends pas comment les choses peuvent être aussi compliquées ». Il était architecte au Soudan.

Dehors, plusieurs équipes de police arrivent rapidement sur les lieux et bloquent un groupe d’exilés qui tente d’accéder au bâtiment. Le dispositif des forces de l’ordre se déploie désormais jusque dans les rues adjacentes. À l’intérieur, les négociations se poursuivent entre les membres de La Chapelle debout et les représentants de l’État.

16h35

Annonce au mégaphone, aussitôt suivie de cris de joie et d’une salve d’applaudissements : un mail de la préfecture vient de tomber. Le rendez-vous avec le cabinet du préfet de région, Marc Guillaume, est fixé à jeudi, 14h30. Comme promis, la bonne nouvelle déclenche le départ des manifestants. Malgré la pluie battante, c’est joyeux que le groupe s’engouffre dans les couloirs du métro, en direction de Cadet et de l’Ambassade. On chante dans les rames.

On peut sauver notre peau, mais il faut le faire collectivement

17h00 

À peine de retour à l’Ambassade, une assemblée générale se tient au rez-de-chaussée. « En huit heures d’action, on a eu le rendez-vous. C’est la preuve que des gens ordinaires peuvent obtenir quelque chose. Il faut juste être organisé, lance un membre du collectif au mégaphone. Il faut continuer à s’organiser. On peut sauver notre peau, mais il faut le faire collectivement. »

Update 

Par voie de communiqué, la Chapelle debout informe qu’une délégation a été reçue, le 29 septembre, par la sous-préfète, Cécile Guilhem, la cheffe du service des urgences sociales, Agnès Arabeyre-Nalon et le chargé de la mission plan migrants, Clément Chevalier.

Un rendez-vous à l’issue duquel ces représentants se sont engagés à reloger une partie des habitants de l’Ambassade des immigrés, selon le collectif. « Elles ont refusé de s’engager sur le fait que les personnes ne seraient pas remises à la rue avant d’être pris en charge », indique cependant La Chapelle debout. Et le collectif de préciser que la mairie de Paris reste aux abonnés absents pour l’heure.

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