Les feuilles mortes volent dans la cour, les murs sont décorés de dessins à la craie, plusieurs fenêtres sont cassées. C’est dans ce décor, celui d’une école abandonnée du 16e arrondissement de Paris, que plus de 300 mineurs exilés vivent depuis trois semaines. Entourés de plusieurs associations (Utopia56, La Timmy, Solidarité migrants Wilson, Les Midis du Mie), ils ont pu quitter la rue pour dormir sous un toit, en attendant une solution.

« Cette action a vu le jour en dernier recours face à une situation exceptionnelle : dans la perspective des Jeux olympiques 2024, une politique de “zéro tente” semble avoir été mise en place par le Préfet de Paris », expliquent les associations dans un communiqué.

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Cette occupation a pour but de visibiliser le sort de ces jeunes en recours de minorité. Tant que la minorité d’un mineur non accompagné n’est pas établie, ce dernier ne peut bénéficier d’une protection de l’État. C’est la raison pour laquelle, les associations demandent la mise à l’abri immédiate de ces jeunes, mais aussi l’inscription de la « présomption de minorité » dans la loi.

Un abri sans eau courante ni électricité

« Ici, c’est mieux que dans la rue, mais on ne dort pas bien », souffle Koné-Mamadou, 16 ans. Il souffre d’une hernie qui lui fait mal à chaque mouvement et qu’il ne peut pas faire soigner tant qu’il n’a pas ses papiers. Les conditions dans l’école désaffectée ne lui facilitent pas la vie. Comme tous les autres, il n’a pas de matelas et dort à même le sol avec un plaid à moitié rongé par les mites. Si les associations qui occupent l’école lancent régulièrement des appels aux dons, il n’y a pas assez de couvertures pour tout le monde.

En ce mois d’avril, les nuits sont encore longues et froides, on entend le vent siffler et s’engouffrer à l’intérieur du bâtiment. Les plafonds manquent de s’effondrer dans plusieurs salles, les portes sont cassées et les murs ne sont pas isolés. Impossible de se réchauffer avec une douche, puisqu’il n’y en a pas. « C’est dur psychologiquement », avoue Salif, qui a passé un mois dans la rue à son arrivée en France, tout seul. Il est depuis accompagné par La Timmy, une association qui vient en aide aux mineurs exilés.

L’entrée d’une ancienne salle de classe transformée en dortoir / ©OlorinMaquindus

Dans le chaos, la fraternité

Depuis qu’ils sont réunis dans cette école, « la solitude a disparu », s’accordent à dire les jeunes. Ils sont reconnaissants de pouvoir vivre en communauté. « Ils s’entendent tous bien, ils se disent frères et se supportent les uns les autres », remarque Angi, bénévole de La Timmy. Dans la cour, ceux qui ne vont pas à l’école la journée, jouent au foot, ornent les murs de dessins – ceux de l’avenir dont ils rêvent. On peut lire “futur doctor” sous le portrait d’un jeune habitant de l’école.

Koné-Mamadou renchérit : « Ça fait du bien d’être entouré de gens comme nous. » Les parcours migratoires sont différents, mais empreints de la même douleur, celle d’avoir risqué sa vie en espérant un avenir meilleur. Un rêve qui se heurte à la réalité de la rue.

Dans certaines salles de classe, aménagées en dortoirs collectifs, une hiérarchie s’est créée parmi les jeunes. « Dans cette chambre, ils ont désigné un chef et un sous-chef », explique Angi. « Les jeunes m’ont dit qu’ils veillaient à ce que la chambre soit toujours propre et rangée ! » Quand on y entre, on constate que la promesse est tenue. Les couvertures sont pliées et les lits de fortune sont alignés. Chaque jeune a son espace personnel bien délimité, et tous semblent respecter l’intimité de chacun.

Les murs de l’école décorés par les mineurs exilés / ©OlorinMaquindus

Un accueil mitigé par les habitants du quartier

« On a reçu des menaces, des insultes racistes, on nous a collé des affiches de Zemmour quand on est arrivés », déplore Angi. Des habitants du quartier ont même déposé plainte pour nuisances sonores… la même raison pour laquelle l’école avait dû fermer, à l’époque.

Dans le très cossu 16e arrondissement de Paris, ces jeunes rescapés de la rue ne passent pas inaperçus. « On fait de notre mieux pour être le plus discrets possible », explique Angi. La règle est simple : plus de bruit à partir de 21 heures. Les bénévoles éteignent le générateur électrique à la même heure, pour éviter que son ronronnement assourdissant n’embête les riverains.

Quand on va se faire virer, on ne sait pas où les jeunes pourront aller

D’autres ont été immédiatement touchés par l’action des associations, quand l’occupation de l’école a commencé. « Certains sont venus toquer à la porte de l’école pour nous féliciter et nous proposer leur aide », rapporte Angi. Le bâtiment appartient à la mairie du 16e, qui a fourni des toilettes et des vespasiennes aux associations. « On ne dérange pas grand monde, c’est pour ça qu’on peut rester. Mais on n’a toujours pas d’infos sur la suite. Quand on va se faire virer, on ne sait pas où les jeunes pourront aller », explique une autre bénévole.

La suite est incertaine et la fatigue commence à se faire ressentir du côté des bénévoles, après plusieurs semaines d’occupation. « On est là 24h/24, on ne dort jamais pour surveiller les jeunes et vérifier que personne de mal intentionné ne rentre dans le bâtiment pendant la nuit. » À mesure que les jours passent, les associations ont de plus en plus de mal à réunir assez de volontaires. « Notre but, ce n’est pas de rester ici, c’est exceptionnel qu’une occupation dure aussi longtemps », insiste Angi. Le quotidien et l’attente sont d’autant plus durs pour les jeunes dont certains ont été hospitalisés. Mais pour l’heure, les pouvoirs publics restent aux abonnés absents.

Philippine Quentin

Crédits photos : Olorin Maquindus 

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