Contexte : Le campement présent sous les rames du métro La Chapelle, s’est déplacé non loin, à Stalingrad, depuis l’évacuation de 17 novembre 2022. Au plus fort de l’occupation, une centaine de personnes sans solution d’hébergement, des Afghans en majorité, ont été harcelées quotidiennement par les forces de l’ordre. 

Dans deux précédents numéros, Carnet de route documentaire la situation du campement de La Chapelle où les conditions de vie sont si détériorées qu’une épidémie de gale a fait rage. 

Au fil des mois, la présence policière paraît s’accroître. En octobre dernier, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, disait sa volonté de « lutter contre l’occupation illégale de l’espace public » en vue des Jeux olympiques. Interrogée sur la question, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos questions.

Edit. La préfecture de police de Paris a répondu à nos questions après la publication de cet article. Elle assure que « la lutte contre les campements et installations illicites (…) concourent à l’amélioration de la physionomie de voie publique et à la baisse du sentiment d’insécurité ». Leur réponse complète est publiée en fin d’article*.

Date : Décembre 2022- Janvier 2023 

Lieu : La Chapelle/Stalingrad

Jeudi 12 janvier – 6 heures 15

Comme chaque matin, le tour de garde s’organise sous les rames du métro Stalingrad. Une poignée de riverains est présent « en observateur », à l’heure où les forces de l’ordre ont pris l’habitude de venir réveiller la centaine de demandeurs d’asile, en grande majorité de nationalité afghane, qui passe ici la nuit.

Parmi eux, Clément Leduq, installé depuis un an et demi dans le quartier. Militant écolo actif au sein du mouvement Extinction Rebellion, il s’est indigné de la situation puis décidé à la documenter sur les réseaux sociaux. Si la vingtaine de riverains actifs ne s’accorde pas toujours sur la méthode pour venir en aide aux Afghans, tous ont désigné le même adversaire : la police.

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Certes, près de 1 000 personnes ont été mises à l’abri le 17 novembre, mais le dispositif d’hébergement étant toujours sous-dimensionné, une centaine d’exilés ont repris place, dès le lendemain de l’évacuation, sous les rames du métro. Depuis, le harcèlement policier est quotidien.

Chaque matin et presque chaque soir, chacun a sa méthode pour déloger les exilés : injonction, sifflet, coups de pieds dans les tentes. Anna Margueritat, photographe, suit la situation depuis trois mois. « Au début, nous venions pour apaiser, avec un camarade qui a des compétences en herboristerie, les blessures dues à la gale. En observant les conditions de vie sur le camp, j’ai décidé de commencer à documenter la situation. »

Pour elle, tout bascule le 3 décembre. « Ce jour-là, nous sommes arrivés au campement dès le matin. Nous savions que la police venait parfois éteindre les feux que les exilés allumaient pour se réchauffer, mais là, on s’est rendu compte que c’était, vraiment, toutes les heures. On a aussi pu observer la façon dont les policiers s’adressaient aux gens en l’absence des médias, et constater que notre présence calmait leur comportement. »

Être sur place, c’est montrer à la police que des témoins sont là 

Spontanément, une poignée de soutiens, principalement des riverains mais également des Parisiens issus d’autres arrondissements, commencent à se déplacer quotidiennement sur le campement pour faire barrage aux violences policières. « Être sur place, c’est montrer à la police que des témoins sont là et qu’elle n’est pas libre d’agir comme bon lui semble sans être vue. On filme, on enregistre et on diffuse sur les réseaux », explique Ema, 26 ans, habitante du XXe arrondissement.

Plusieurs vidéos, que le Bondy Blog s’est procurées, témoignent en effet de brimades, de lacérations de tentes encore occupées ou encore de tirs de flashball. Une présence dissuasive qui n’empêche cependant pas la situation de dégénérer quelques semaines plus tard, au premier jour de l’hiver. Invités une nouvelle fois à lever le camp, les Afghans sont nassés par la police, arrêtés, menottés et conduits vers différents commissariats. « Là, on a vraiment compris que la police pouvait utiliser tous les motifs pour effectuer sa répression quotidiennement », commente Anna Margueritat.

Vendredi 13 janvier – 7 heures 15

Près d’un mois plus tard, les traits sont peut-être un peu plus tirés, la camaraderie plus franche. Mais en réalité, peu de choses ont changé. Le campement s’est simplement déplacé quelques centaines de mètres plus loin, sous les rames du métro Stalingrad. Les tentes sont désormais totalement proscrites sous peine d’être automatiquement confisquées, ainsi que le confirme un agent ce matin-là. Ema est de retour sur le campement. Comme de nombreux soutiens, elle dit avoir été « happée » par l’urgence.

« Dès la première fois, j’ai su que j’allais revenir presque tous les jours, parfois deux fois dans la même journée, matin et soir. Je l’ai su parce que quand on voit les conditions dans lesquelles les exilés vivent, toutes les obligations professionnelles, militantes, familiales, paraissent ridicules à côté. Savoir que sa présence peut faire la différence dans le harcèlement que vivront ces personnes fait qu’elle devient une priorité. » Pour mener à bien sa « mission », elle dit ne pas hésiter à tricher sur ses horaires de travail, annuler des rendez-vous ou même braver la grippe. « Ça devient une charge mentale énorme », concède-t-elle.

B., le visage emmitouflé dans sa capuche est quant à lui, comme nombre de ses compatriotes, sidéré par le traitement qui lui est infligé. Après avoir vécu deux ans dans un foyer en Ile-de-France, il a été remis à la rue il y a quelques mois. Las, il observe les policiers déambuler entre les cartons, qui pour une large majorité des exilés ont remplacé les matelas.

Les agents sont rarement les mêmes d’un jour à l’autre, alors tout comme il ignore chaque soir à quelle heure il sera réveillé le lendemain, il ne sait pas non plus de quelle manière. Peu importe. « On a besoin de dormir, en fait, c’est biologique. Après deux, trois nuits sans sommeil, c’est déjà compliqué. Donc ne jamais dormir, vous imaginez ? Au bout d’un moment, la tête ne fonctionne plus. » 

Je ne comprends même pas ce qu’on est en train de faire

7h30, les agents sont en poste. Dernier coup d’œil sur le cadran. Il est l’heure de s’affairer. En retrait, deux d’entre eux semblent toiser du regard la routine de leurs confrères. Originaires de Haute-Savoie, ils ont été appelés en renfort dans la capitale pour quelques jours. Habitués des sauvetages en montagne, c’est la première fois qu’ils se retrouvent sur un campement. « Je ne comprends même pas ce qu’on est en train de faire, lance l’un d’eux. Puisqu’ils n’ont nulle part où aller, ça fait juste perdre du temps à tout le monde. Enfin, j’imagine qu’ils veulent faire du tri pour les JO. » Avant de lâcher, amer : « De toute façon, Paris, je déteste. »

campement police

Samedi 14 janvier – 7 heures 55

Ali n’a pas fermé l’œil de la nuit. Originaire d’Afghanistan, il a lui aussi passé la nuit sous les rails. Volontairement. Arrivé en France il y a sept ans, il vit désormais dans un foyer des Yvelines, et suit une formation à la mission locale de sa commune. Ses premières semaines à Paris, il les a toutefois passées comme ses compatriotes sur un matelas, dans la rue. « On vient du même pays, on parle la même langue. Forcément, ça me touche. Alors je suis venu ici pour voir si tout se passe bien, les soulager un peu. »

Quelques mètres plus loin, riverains et acteurs associatifs s’interrogent : que fait la police ? « S’ils n’ont toujours réveillé personne à 8 heures, ce sera vraiment une première depuis des mois », commente Camille, la fondatrice de l’association Tendre la main. Ce sera finalement 8h20. Le jour est déjà levé, aussi, une bonne partie des occupants du campement a déjà pris l’initiative de plier bagage. Dans le calme, ils prennent la direction du jardin d’Éole, où sont servis des petits déjeuners par des bénévoles du quartier.

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Sur place, embarrassé, Ali semble confus de venir en faire grossir les rangs. Il s’étonne également d’un barrage policier rencontré près du métro Jaurès, où certains exilés tentaient selon lui de se rendre avant d’être invités à circuler en sens inverse. Près des tables en bois, B. serre entre ses deux mains un gobelet de thé. La veille, il raconte avoir été contrôlé dans la rue, puis verbalisé. Et après ? « Rien, c’est tout. »

Mardi 17 janvier, tôt dans la matinée, 325 personnes, parmi lesquelles les occupants du campement de Stalingrad, ont été mises à l’abri au cours d‘une opération conjointe des préfectures de police et de la région Ile-de-France. Plusieurs dizaines d’Afghans étaient de retour dès la fin de la semaine sous le métro aérien. Le harcèlement policier se poursuit depuis de jour comme de nuit.

Julie Déléant et Nnoman

*Réponse de la préfecture de police de Paris :

« Les services de la préfecture de police interviennent systématiquement pour empêcher l’occupation illicite de l’espace public, pour des raisons évidentes de sécurité et de salubrités publiques. La lutte contre les campements et installations illicites, ainsi que le démantèlement des campements le cas échéant, spécifiquement mis en place depuis 2019, concourent à l’amélioration de la physionomie de voie publique et à la baisse du sentiment d’insécurité et participe également d’un processus de lutte contre la délinquance. »

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