L’avenue des Champs-Elysées, la plus belle du monde, est pour les Français (et pas seulement eux) le lieu de fête par excellence en cas de victoire. Peu importe la nature de la victoire, match de foot ou célébration politique, vendredi soir, les pavés vibraient sous les chants, danses, rires, cris, klaxons et derboukas d’Egyptiens en liesse que j’ai rejoints pour fêter la liberté ce cher pays, l’Egypte, qui est aussi le mien par ascendance paternelle.

Sur place, j’observe qu’une patrouille de gendarmes et policiers encadre la foule. Tout se passera dans le calme et les éclats de rires. Je n’ai constaté aucun dérapage entre mon arrivée sur le Champs et mon départ. Non, les sans-papiers n’ont pas fichu le souk comme auraient pu le penser certains de nos lecteurs. J’aurais préféré faire la fête au Caire mais je me suis contentée de l’avenue parisienne. Quoique… L’ambiance que j’y ai trouvée m’a paru tout aussi folle que sur la place Tahrir. Et ce que j’espérais s’est produit : la « Liberté » a réuni les ennemis du foot, les drapeaux égyptiens cohabitaient fraternellement avec les bannières algériennes, mais également tunisiennes et marocaines.

Des étrangers, européens ou américains, de passage à Paris ont partagé avec nous ce moment festif. Une femme, française (elle m’a précisé sa nationalité), s’est déchaînée sur une danse orientale endiablée au milieu des Egyptiens qui l’acclamaient. Un homme quelque peu fou était perché dans un arbre. Cela a fait rire tout le monde y compris les policiers. On se demandait tous comment il avait pu se retrouver là. Mais il y était, drapeau égyptien en main, chantant à tue-tête dans sa langue natale des slogans entendus place Tahrir : « Non, non, non, il ne refera pas cela une nouvelle fois. Moubarak est parti à coup de chaussures. Vous savez où est Moubarak ? » A cet instant la foule lui a donné la réplique et crié : « Où ? », et il a répondu en chuchotant : « Il a pris l’avion et il est parti… »

Je ne m’attendais pas à voir autant de monde et même les « wesh-wesh » qui traînent habituellement sur les Champs le soir ont rejoint le mouvement d’allégresse avec un ballon de foot avant que son propriétaire ne le récupère en vitesse. Alors qu’une voiture garée diffusait de la musique égyptienne, un homme est passé avec un mégaphone parmi les gens pour annoncer qu’aujourd’hui (samedi), à 14 heures, un rassemblement pour un soulèvement en Algérie a lieu Place de la République à Paris, et que demain (dimanche), même heure, un rassemblement de tous les opposants aux régimes autoritaires arabes se tiendra Place du Trocadéro. Il était égyptien mais demandait à la foule de se mobiliser pour l’Algérie. J’ai trouvé ça beau.

Avant de quitter la foule pour revenir dans ma banlieue du 93, j’ai demandé à quelques-unes des personnes rassemblées ce qu’elles ressentaient : « C’est magnifique, nous avons réussi ! Le peuple, après tant d’années de souffrance, a enfin su relever la tête et la garder haute ! – Jamais je n’aurai cru voir cela un jour. Cette place Tahrir se remplir d’hommes était pour moi inimaginable. Mais ils l’ont fait. – C’est beau mais il ne faut pas se réjouir trop vite. On a peut-être gagné un combat, mais il faut à présent s’assurer que celui qui prendra le pouvoir de notre pays en sera digne et ne sera pas un satané dictateur qui ne lèvera plus son corps du trône présidentiel pendant 30 ans. »

Une démocratie, une vraie, voilà ce que les peuples arabes veulent.

Inès El Laboudy

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