« Obtenir un rendez-vous en radiologie ? En secteur 1 ? C’est souvent compliqué. Alors, je me rabats sur le CMS [centre municipal de santé]. Les délais sont relativement courts et c’est à 150 mètres de chez moi », se satisfait Michel Pichard, habitant de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Ce dernier assure que la présence de cette structure de santé dans sa commune facilite son parcours de soins.

Elle lui permet d’être un peu moins confronté à la pénurie de médecins spécialistes qui s’étend sur l’ensemble du territoire français. Un phénomène qui touche particulièrement les quartiers populaires. « L’installation des spécialistes est conditionnée par le pouvoir d’achat de la population. Ces professionnels sont nombreux à choisir d’exercer en secteur 2, plus rémunérateur », explique Guirec Loyer, médecin-directeur de la Ville de Gennevilliers.

1 spécialiste pour 2000 habitants à Gennevilliers

De fait, les spécialistes estampillés secteur 2 ne sont pas conventionnés. Autrement dit, ils peuvent appliquer des dépassements d’honoraires, contrairement à ceux qui exercent en secteur 1 et qui appliquent un tarif fixé par la Sécurité Sociale. Conséquence : un département dont la population à des revenus modestes se retrouve plus facilement dépourvu de médecins spécialistes. La Seine-Saint-Denis comprend seulement 1 professionnel pour 2 000 habitants contre 1 pour 400 à Paris, selon les chiffres de l’Assurance maladie.

Dans les Hauts-de-Seine (1 pour 1 000), la disparité apparaît à l’échelle communale. Alors que la ville de Levallois-Perret présente un ratio similaire à celui de Paris, Gennevilliers affiche un ratio de 1 spécialiste pour 2 000 habitants. Et ce chiffre s’élèverait à 1 pour plus de 4 000 sans la présence du CMS. Si la structure municipale vient en partie pallier le manque d’offre de soins, c’est aussi grâce au développement d’un partenariat durable avec les hôpitaux de Paris, qui prend la forme d’une convention depuis 2017. L’une de ses composantes est la mise à disposition de médecins de l’AP-HP pour des consultations directement au centre de santé.

L’hôpital en bas de chez soi

Bien que les hôpitaux publics (secteur 1) soient eux-mêmes confrontés à une difficulté de recrutement, plusieurs spécialistes sont détachés de leur structure une ou plusieurs journées par semaine, et ce toute l’année, pour assurer leurs fonctions au CMS de Gennevilliers. Radiologue, urologue, rhumatologue, gastroentérologue, sage-femme… Ils sont une dizaine à venir ainsi grossir les rangs des spécialistes embauchés directement par le centre de santé (gynécologue, cardiologue, etc.).

« Notre objectif est d’offrir un large panel de spécialités et une qualité des soins pour tous en appliquant le tiers payant, soutient le Dr Guirec Loyer. Les soins en secteur 2 sont plus chers, mais pas forcément meilleurs. Au CMS, ils sont de qualité. Le travail en équipe est favorisé et le matériel est moderne. Ce sont des conditions de travail recherchées par les médecins. » 

Ce type de partenariat dit de « consultations avancées » trouve aussi ses marques au centre municipal de santé Henri-Barbusse de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, avec la présence de cinq spécialistes de l’AP-HP. Une démarche qui aurait vocation à s’intensifier lorsque le campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord verra le jour sur la commune à l’horizon 2028.

Des recrutements encore difficiles

Le cadre instauré par le CMS de Gennevilliers permet donc de contribuer à l’amélioration de l’offre de soins sur le territoire. Cependant, certaines spécialités font encore de la résistance. Parmi elles, l’ophtalmologie et le dentaire. « Le matériel est là, mais impossible de recruter. Les hôpitaux publics sont confrontés à la même difficulté. L’appel du privé est beaucoup trop attractif d’un point de vue pécuniaire avec parfois des modes de facturation pas toujours très clairs. Un sujet problématique sur lequel se penche l’Assurance Maladie. » Et cette pénurie de médecins spécialistes vient souvent allonger les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous en secteur 1.

Pourtant, une prise en charge précoce est essentielle pour tous, quel que soit son pouvoir d’achat. « La prévention et la promotion de la santé sont avant tout nécessaires pour empêcher l’installation de la maladie », souligne le Dr Guirec Loyer. En effet, une prise en charge rapide des patients peut permettre d’éviter le développement de pathologies plus lourdes et aussi plus coûteuses à traiter.

Là-bas, j’ai accès à presque tous les médecins dont j’ai besoin : diabétologue, néphrologue, radiologue… J’y ai aussi mon infirmière.

Pour Françoise Machet, qui est atteinte d’une maladie chronique, un suivi régulier est primordial. Et c’est au CMS qu’elle le trouve : « Là-bas, j’ai accès à presque tous les médecins dont j’ai besoin : diabétologue, néphrologue, radiologue… J’y ai aussi mon infirmière. Je souffre d’insuffisance rénale et le CMS m’aide dans la prise en charge de mon diabète. 

Depuis la mise en place de cette convention, Françoise Machet voit une nette amélioration pour l’accès à des médecins spécialisés. « Normalement, ça m’évite d’aller à l’hôpital, mais j’ai tout de même dû m’y rendre pour une échographie cardiaque. Ce n’était pas possible au CMS. Depuis, j’ai appris qu’il y a un nouveau médecin qui peut le faire. Par contre, il manque toujours un ophtalmo… »

Davantage de coopération, la solution ?

Au-delà même de la présence de médecins spécialistes, c’est la collaboration entre les différents acteurs de santé d’un même territoire qui semble aujourd’hui améliorer la prise en charge des patients. D’où le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). En juin 2022, elles étaient 57 en Île-de-France. À Saint-Ouen, le dispositif a été mis en place en décembre dernier. À Gennevilliers, une CPTS a été créée, il y a plus d’un an, avec sa voisine Villeneuve-la-Garenne.

En se réunissant et en coordonnant leurs actions au sein de ces entités, les professionnels des villes et des hôpitaux ont ainsi pour objectifs d’améliorer le parcours de soins, malgré la pénurie de spécialistes. Les « consultations avancées » s’inscrivent aussi dans cette volonté. Elles ont « permis une meilleure information de part et d’autre [médecins de ville et des hôpitaux] sur la situation et la prise en charge des patients, ce qui améliore la qualité de cette prise en charge », selon Mathilde Capy, directrice de la communication de l’AP-HP.

Avant, pour avoir un rendez-vous chez le rhumatologue en secteur 1, je devais aller à l’hôpital à Paris, dans le 19e. C’était loin et compliqué.

Un point qui semble aussi tenir à cœur à la patiente du CMS de Gennevilliers, Françoise Machet : « Mes médecins se transmettent directement mes documents et ils m’orientent vers les professionnels qui me sont utiles. Par exemple, je participe aux ateliers « sport et santé » du CMS pour de la marche et de l’aquagym. Je me sens accompagnée. »

Maherzia Zeghouane, également usagère de la structure, rejoint ces propos : « Les médecins ont mon dossier. Il y a un vrai suivi. Il y a même un lien avec mon médecin généraliste. C’est vraiment ça que m’apporte le CMS. Et la proximité, aussi ! Avant, pour avoir un rendez-vous chez le rhumatologue en secteur 1, je devais aller à l’hôpital à Paris, dans le 19e. C’était loin et compliqué. »  

La coopération entre professionnels est donc un premier pas. Mais du chemin reste encore à accomplir pour parfaire l’offre de soins dans les quartiers populaires. Les médecins manquent à l’appel, et ce, malgré l’abandon du numerus clausus acté en 2019. « Il faut que les nouvelles recrues aient le temps d’être formées, et ça prend plusieurs années… », constate le Dr Guirec Loyer. Travailler main dans la main, donc. Mais encore faut-il des médecins.

Nora Kajjiou

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