Sur la porte d’entrée du cabinet médical de la rue Jules Guesde à Bondy, une affiche est apparue il y a quelques semaines. Cinq des six médecins de la coopérative médicale cessent leur activité à compter du 29 décembre, indique l’affiche. Pourtant, au fil du temps, ce cabinet a développé une pluralité d’exercices en accueillant de nouveaux médecins. Il compte des infirmières et des généralistes. Dans le premier désert médical de France, la Seine-Saint-Denis, cette nouvelle n’est pas anodine.

« C’était inévitable », soupire Nadia, entre deux sonneries de téléphone. Secrétaire médicale dans le cabinet, elle a commencé sa carrière, ici même, en tant que stagiaire il y a 30 ans. Aujourd’hui, cette mère de famille s’apprête à être licenciée. Un crève-cœur. « Tous les jours, je pleure », confie-t-elle.

Une fois la porte d’entrée franchie, certains patients prennent le temps de lui faire la bise. D’autres, d’échanger quelques mots, quelques souvenirs. « Tu vas me manquer », lui glisse une patiente, les larmes aux yeux. « J’ai rencontré certains patients enfants, et maintenant, ils sont parents », s’émeut Nadia. Et pour cause, le cabinet existe depuis près de 56 ans. Une longévité qui a permis de fidéliser la patientèle.

Des patients attachés à leur médecin

À l’accueil, les patients défilent les uns après les autres. L’une d’entre elle s’approche, un paquet de chocolat entre les mains. Les secrétaires médicales ont un rapport privilégié avec les patients. « J’ai eu beaucoup de témoignages de reconnaissance du service. On aidait les gens, on essayait de les arranger du mieux possible », raconte Sylvie, ancienne secrétaire du cabinet pendant 20 ans. De quoi créer de véritables amitiés. Sylvie est encore en contact avec quelques-uns, six ans après avoir pris sa retraite.

Je pensais que ce n’était qu’à la campagne que l’on rencontrait ces difficultés. Mais finalement, en région parisienne, c’est la même chose

Dans la salle d’attente, Françoise, 81 ans, attend que l’on vienne la chercher en voiture. Appuyée sur sa béquille, un masque bleu devant sa bouche, elle est accompagnée de sa fille. Françoise consulte le même médecin depuis maintenant 40 ans. L’atmosphère conviviale du cabinet l’ont convaincu de rester, mais aussi le manque de médecins près de chez elle. Malgré de sérieuses difficultés pour se déplacer, elle prend le bus seule, de Livry-Gargan jusqu’à Bondy, pour voir son médecin traitant. « Je pensais que ce n’était qu’à la campagne que l’on rencontrait ces difficultés. Mais finalement, en région parisienne, c’est la même chose », constate-t-elle.

À peine 50 généralistes pour 100 000 habitants

Devant le bureau de Nadia, la vitre couverte de post-it annotés, deux patients discutent. – « Vous avez trouvé un médecin ? » – «  Oui, près de chez moi à Noisy-le-sec. » Si certains ont réussi à trouver une solution assez rapidement, pour d’autres, les recherches s’avèrent plus compliquées. Quand David, 60 ans, apprend la fermeture prochaine du cabinet, il commence à chercher dans les communes limitrophes. Diabétique, ses recherches entre Bondy et Livry-Gargan n’ont pourtant rien donné. Et ce, pendant près de trois mois : « Avec ma femme, on a fait plusieurs centres médicaux. Mais c’est partout pareil, ils affichent complet. » 

Des recherches rendues difficiles en l’absence d’une offre de soins suffisante. Alors même que l’état de santé des habitants du département est plus fragile qu’ailleurs, la Seine-Saint-Denis reste le premier désert médical de France. Un récent rapport parlementaire mené par le député communiste de Saint-Denis, Stéphane Peu, affichent des données alarmantes.

Pour l’année 2022, ce rapport recense seulement 1 767 médecins généralistes dans le département, soit à peine 50 généralistes pour 100 000 habitants. La proportion est la même pour les spécialistes. En conséquence, près d’un quart des Séquano-Dionysiens reste sans médecin traitant et nombre d’habitants rencontrent un problème d’accessibilité financière aux soins.

Un calvaire pour les personnes à mobilité réduite

Surchargés de travail, bien souvent, les médecins généralistes décident de ne plus prendre de nouveaux patients. « Si l’on veut garder des délais de rendez-vous raisonnables pour notre spécialité, on ne peut pas accueillir au-delà d’un certain nombre », explique le docteur Guy, administrateur de la coopérative. Et pour cause, certains peuvent attendre jusqu’à un mois pour une simple consultation.

Trouver un nouveau médecin généraliste implique de se déplacer. Une vraie problématique pour les patients âgés et ceux souffrant de pathologies physiques. Catherine, 31 ans, en est témoin avec sa mère. Cette ancienne Bondynoise a fait le choix de ce cabinet pour sa proximité. Aujourd’hui habitante de Sevran, elle se retrouve obligée de venir consulter son médecin traitant en ambulance. « Ma mère n’a pas le choix. Elle a des prothèses aux hanches, des problèmes de dos… Elle ne peut pas se déplacer. C’est un vrai parcours du combattant », témoigne Catherine.

Le libéral en manque de candidats

« Tous les médecins vont partir à la retraite. Il n’y a pas de jeunes qui veulent les remplacer », soulève Nadia. Malgré de nombreuses annonces, le cabinet n’a pas trouvé de prétendant pour les remplacer. Jusqu’à début juillet, le docteur Guy s’est obstiné à y croire. Mais arrivé à six mois de l’échéance, il s’est finalement résigné. « C’est bien d’être optimiste, mais il faut aussi faire preuve de lucidité. On n’allait pas y arriver. »

Un manque de candidats dans le libéral causé par la dégradation des conditions de travail. « Les médecins sont submergés par les tâches administratives, ce qui prend du temps sur leur temps médical », pointe le docteur Guy. Ajouté à cela, un salaire fortement contesté. En janvier dernier, des milliers de médecins généralistes demandaient une hausse du tarif des consultations de 25 à 50 euros, un prix appliqué par la sécurité sociale.

Selon les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études et de l’évaluation des statistiques (DREES), en 2017, les revenus des médecins généralistes libéraux s’élevaient en moyenne à 91 670 euros par an. Une rémunération inférieure à celle des médecins spécialistes qui gagnaient en moyenne 151 910 euros par an. « Si j’étais plus jeune, j’aurais sans doute abandonné l’exercice libéral pour un poste salarié, ou un 35h par semaine et sans tracasseries administratives. Je gagnerai aussi bien ma vie qu’ici à 60h par semaine », avoue-t-il.

Des conséquences sur les hôpitaux

Quand des patients n’arrivent pas à trouver un point de chute, ils risquent d’avoir recours aux services d’urgence qui se retrouvent vite saturées. Catherine, infirmière de profession, l’observe tous les jours. Sans le suivi d’un médecin, l’état du patient risque de s’aggraver jusqu’au passage aux urgences. « Sur des personnes âgées ou des personnes qui ne sont pas entourées, les cas d’urgences graves à l’hôpital augmentent. Alors qu’une simple prise en charge aurait pu se faire en amont si on avait des médecins disponibles », déplore l’infirmière. 

Pour limiter l’hémorragie, les médecins de la coopérative signent des ordonnances d’une durée plus conséquente aux patients atteints de pathologies chroniques. « Au lieu de faire une ordonnance à trois mois, on va en faire une allant jusqu’à six mois. Dans des cas exceptionnels, on peut même aller jusqu’à 12 mois. Mais ce n’est qu’un cache-misère », admet le docteur Guy.

Nous fermons parce que personne ne veut prendre notre place

Dans le département, certaines maladies sont surreprésentées. Les habitants et habitantes présentent des pathologies graves telles que l’obésité pour 16 % d’entre eux ou le diabète, pour 7 % d’entre eux. Or, on sait que ce type de pathologie est un facteur aggravant de nombreuses maladies.

À terme, le cabinet médical continuera à fonctionner avec ses quatre infirmières. Un seul docteur continuera ses activités dans les murs. Le local sera prochainement vendu. « Nous fermons non pas parce que notre activité économique serait devenue problématique, mais parce que personne ne veut prendre notre place », se désole le docteur Guy. La sonnerie retentit à nouveau. « C’est une page qui se tourne », murmure Nadia, avant d’une nouvelle fois décrocher son téléphone.

Coralie Chovino

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