Derrière les murs de l’ancienne usine PSA, patrimoine architectural industriel de Saint-Ouen, résonne le bruit des engins de démolition. Portes et fenêtres fermées, rien ne laisse présager le projet pharaonique à 1,3 milliard d’euros qui s’y prépare sur 7,2 hectares, de la rue Farcot au boulevard Victor-Hugo.

En 2028 se dressera ici « l’hôpital du futur », comme le présentent ses concepteurs : le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Ouen. L’établissement a vocation à remplacer les sites de l’hôpital Bichat, situé un kilomètre plus loin, et celui de Beaujon, à Clichy.

Cet « établissement d’excellence » parviendrait à « répondre aux besoins de proximité » et à s’adapter « aux évolutions du système de santé » pour « construire la médecine de demain ». Le tout en plaçant « le patient au centre du progrès médical », vante l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP).

De prime abord, le projet est intéressant, surtout en Seine-Saint-Denis. Le département reste particulièrement touché par l’inégalité d’accès aux soins, comme l’a illustré le taux de surmortalité record atteint pendant la pandémie dans le 9-3.

Les ombres au tableau

Mais, il y a un mais… Au sein du personnel médical des hôpitaux Bichat et Beaujon, la levée de boucliers ne s’est pas fait attendre. Ces personnels subissent déjà des conditions de travail délabrées qui rejaillissent sur la prise en charge des patients. Et la crise sanitaire n’a pas amené de changements significatifs, notamment sur les problèmes de recrutement et les services en sous-effectif chronique.

Surtout, le projet prévoit une baisse du nombre de lits « de l’ordre de 20 % », assume l’APHP. « C’est impossible à tenir », s’indigne Hakim Becheur, chef de service à Bichat et membre du collectif Hôpital Nord pas ça, pas là, pas comme ça. « À Beaujon, la moitié des patients ne peut déjà pas être prise en charge et est transférée ailleurs. À Bichat, c’est 30 % », s’affole le médecin.

Et il n’est pas le seul à s’inquiéter. Des syndicats ont saisi la justice pour faire invalider la déclaration d’utilité publique du projet et bloquer les travaux. Lundi, le tribunal de Montreuil s’est aligné sur ce constat, en estimant que l’hôpital dans sa version actuelle « conduisait à une diminution non compensée de l’offre de soins dans un territoire souffrant déjà d’importantes inégalités de santé. » La déclaration d’utilité publique a été annulée par la juridiction. Critiquant un « raisonnement contestable », l’APHP a annoncé faire appel.

Des lits sur le toit-terrasse un temps envisagés

En juillet 2020, après plusieurs mois de crise sanitaire et d’épuisement des capacités hospitalières, Olivier Véran l’avait promis : « C’en est terminé du dogme de la réduction de lits ». À son actif, et en cas de nouvelle pandémie, le CHU de Saint-Ouen affirme disposer « d’une réelle capacité d’extension, avec une centaine de chambres dédoublables ». Il avance également la présence d’un hôtel privé de 150 chambres, mais sans surveillance de soignants, souligne Hakim Becheur.

« À un moment, ils voulaient mettre des lits dans le parking », affirme Christophe Hery, un habitant de Saint-Ouen et membre du collectif. Un projet confirmé par Jean-Baptiste Hagenmuller, chargé du projet à l’APHP, mais depuis abandonné pour des raisons techniques. Il évoque néanmoins l’utilisation des espaces de restauration sur le toit-terrasse.

« Le problème, ce n’est pas le nombre de lits, mais le personnel qui va avec, soulève Hakim Becheur. En cas de crise, on ne peut pas dédoublonner les effectifs en claquant des doigts. »

En Seine-Saint-Denis, le plus grand désert médical de France

En sous-texte, l’objectif est de faire des économies grâce au virage ambulatoire, lorsqu’un patient ne reste que quelques heures à l’hôpital sans y passer la nuit. Mohad Djouab, adjoint en charge de la Santé à la mairie de Saint-Ouen, estime qu’une meilleure prise en charge en amont abaisserait le recours à l’hospitalisation.

« Aujourd’hui, bon nombre de patients nécessitent d’être hospitalisés pour des pathologies chroniques [NDLR : maladies de longue durée] parce qu’ils n’ont pas suffisamment eu accès aux soins en ville faute de médecins spécialistes […] L’hôpital du futur doit sortir de ses murs et s’articuler avec l’offre de ville », explique-t-il.

C’est sans compter le statut de plus grand désert médical de la Seine-Saint-Denis alors que 97,8 % du département restent classés Zone d’intervention prioritaire par l’Agence régionale de santé (ARS). Soit la catégorie la plus grave, qui correspond aux territoires dans lesquels le nombre de consultations accessibles par an et par habitant est inférieur à 2,5, selon un rapport de la Drees et de l’Insee.

« Absence de réflexion stratégique du système politique de santé »

« Il n’y aura pas de réduction du capacitaire de l’hôpital, s’il n’y a pas de renfort de l’ambulatoire, et c’est le paradoxe », consent Mohad Djouab.  Comprendre : une baisse du personnel à l’hôpital ne peut avoir lieu tant qu’il n’y aura pas plus de médecins en ville. La Seine-Saint-Denis, qui souffre déjà d’un manque d’accès aux soins, risque de s’en retrouver encore plus démunie.

Pour Frédéric Bizard, économiste spécialiste de la santé, une modernisation est en effet nécessaire afin de se détacher d’un système inadapté aux besoins de la population. Mais le projet se heurte selon lui à « une absence de réflexion stratégique du système politique de santé », alors qu’il faudrait « repenser l’ensemble du territoire avec une approche globale ». 

Sur la question de l’ambulatoire, « on fait comme si on était dans une dynamique instituée tandis que ce n’est pas le cas », déplore l’économiste. Pour le moment, « l’hôpital reste le seul lieu où il y a de la lumière 24h/24. »

Noémie Solavain

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