Quand vient l’hiver, j’ai tendance à choper toutes les maladies dont le nom fini par « ite ». À la louche : pharyngite, sinusite, laryngite, etc. Le mal de tête, le nez qui coule, ne me quittent plus. Advil et Hélicidine deviennent mes meilleurs amis. Aux dires du pharmacien je n’en ai que pour trois jours. Trois jours passent, cette saloperie joue les prolongations. Je vais voir mon médecin. Direction Porte de Montreuil.

Le docteur est une femme, juive séfarade. Dans son petit cabinet, odeurs et origines se côtoient. Jamais vu un tel concentré de diversité dans un 45 mètres carrés. Les patients sont chinois, antillais, libanais, algériens, marocains, sénégalais, et j’en passe. Des retraités, des employés, des femmes, des hommes et des enfants. Un centre d’études statistiques trouverait son bonheur dans ce petit coin. L’ambiance y est très conviviale. Tout le monde discute avec tout le monde, ce qui permet de passer le temps – jusqu’à deux heures d’attente ! Il ne manque que des boissons chaudes pour que ça devienne un salon de thé ou un café. La lecture de Voici, Elle, Femme Actuelle, ça va cinq minutes…

La consultation est ici sans rendez-vous. C’est un médecin conventionné secteur 1 (il pratique les tarifs de la Sécu). Ça rentre, ça sort, ça se salue, ça se fait la bise. Par manque de place, des gens sont debout. Les personnes assises, par gentillesse, jouent à la chaise musicale.

La confiance règne et les langues se délient. Une femme noire à côté de moi, la trentaine, camerounaise, accompagnée de ses deux enfants en bas âge : « Je viens ici car j’ai la chance de connaître ce docteur. Elle est une vraie maman pour moi. Et pas juste la mienne. Je suis sans papier et c’est très difficile. Des fois je paye et des fois non. Avant, j’étais fâchée avec les docteurs, depuis que l’un d’eux m’a dénoncée à la police. Très malade, il me fallait un docteur et j’ai fait la bêtise d’étaler ma vie quand il m’a demandé ma carte vitale, que je n’ai pas bien sûr. Qu’est ce que je n’ai pas fait… »

» Heureusement que mon amie était là et qu’elle a compris le manège entre le médecin et son assistante. On a vite fait de détaler. Le docteur, elle, est très compréhensive. Le plus difficile c’est d’acheter les médicaments. C’est quand même cher sans remboursement. Comment faire ? Soit on a mis de l’argent de côté, soit en emprunte. »

Elle se tourne vers son bout de chou pour lui moucher le nez. Une vielle dame qui a gardé son manteau et son foulard me demande si je suis avant elle. Je lui dis que non. Elle me sourit : « J’ai de l’arthrose vous savez, le chaud m’aide à supporter la douleur, mais el hamdou lillah, je préfère avoir ça qu’autre chose. Le docteur, elle est très bien. C’est comme une fille pour moi. Des fois, elle vient à la maison et des fois, c’est moi qui viens chez elle. Des fois, elle accepte mes gâteaux, et refuse mon argent. » La dame dit qu’elle est d’origine marocaine et qu’elle regrettera le docteur quand elle rentrera définitivement à Casa.

Une dame forte et pleine de bijoux qui a du mal à respirer, s’adresse à la Marocaine : « Mais tu ne m’as rien dit ? Jean-Mi, mon fils, adore tes gâteaux, il va être déçu. » La mère de Jean-Mi ne vient pas ici seulement pour le docteur et son problème de tension, mais pour l’ambiance aussi. « C’est comme un salon de coiffure en province, tout le monde connaît tout le monde. Cette proximité me plaît. D’ailleurs (elle s’arrête de parler, regarde à droite, à gauche, se penche vers moi), même les Chinois parlent avec nous. » Elle se redresse, me fait un clin d’œil. Soudain, la porte du docteur s’ouvre, « C’est à qui le tour s’il vous plaît ? »

Nicolas Fassouli

Nicolas Fassouli

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