Des mères de quartier populaire, des travailleurs sociaux, des réalisateurs… Les Assises populaires de l’éducation ont réuni un panel de profils variés, le 30 septembre dernier. Les Toulousaines de l’association Izards Attitude ont rassemblé tout ce beau monde pour une journée sur le thème de la co-éducation et de la parentalité.

En France, on considère souvent que l’éducation et l’instruction sont deux choses différentes

Izards Attitude est une association d’habitants du quartier des Izards à Toulouse qui œuvrent contre le décrochage scolaire. Portée par des femmes du quartier, souvent issues de l’immigration, cette rencontre ouverte à toutes et tous s’est déroulée au cœur du quartier.

Au menu : co-parentalité, co-éducation, aides aux devoirs, déterminisme social, rapports à l’Éducation nationale, carte scolaire, Parcoursup, rixes, décrochages, trafics. Autant de sujets abordés et débattus avec Samia Chiki, enseignante et le sociologue Marwan Mohamed.

Co-éducation : de l’importance de la relation parents/professeurs

« En France, on considère souvent que l’éducation et l’instruction sont deux choses différentes, la première relevant de la responsabilité des parents tandis que la seconde serait du ressort de l’école », déplore Samia Chiki, également responsable de projets éducatifs. Elle souligne l’importance de la relation parents – professeurs et les enjeux d’une co-éducation réussie dont l’objectif est d’améliorer collectivement la scolarité des enfants.

Le temps d’une journée, habitants et professionnels se sont réunis pour réfléchir à accompagner au mieux les enfants et les jeunes du quartier.

Fortes de leurs expériences, les mamans présentes racontent les difficultés auxquelles elles ont été confrontées avec l’Éducation nationale. Toutes volontaires et investies dans la scolarité de leurs enfants à travers des ateliers d’aide aux devoirs, ces mères témoignent pour autant du mépris que leur renvoient parfois l’institution scolaire et les acteurs locaux.

Mon fils était au collège, mais son esprit était au quartier

Un sentiment qui est à l’origine de la création d’Izards Attitude. « En 2013, mon fils était en 6ème, il y avait du deal dans mon immeuble. Je me suis rendue à une réunion de concertation ANRU pour dénoncer cette situation, mais personne ne m’a entendue », déplore Yamina Aissa Djabri, co-fondatrice de l’association. « Mon fils était au collège, mais son esprit était au quartier. Après, il s’est retrouvé devant un conseil de discipline et les professeurs nous jugeaient », se souvient-elle.

Les exemples de discriminations vécues par les enfants de ces femmes sont nombreux. « J’ai retiré Mehdi du lycée du centre-ville au bout de deux mois », affirme une autre mère souhaitant rester anonyme. « Là-bas, ils l’ont fouillé et humilié devant tout le monde. Il n’y a pas d’intégration, ils ne veulent pas de nos enfants », témoigne-t-elle. Cette mère a fini par réinscrire son fils dans le lycée du quartier.

L’engrenage du décrochage et de la délinquance

Si le décrochage scolaire touche tous les milieux, les conséquences diffèrent selon les classes sociales. « Le décrochage en milieu isolé n’aura pas les mêmes conséquences que dans les lieux où il y a du trafic et de la délinquance », explique le sociologue Marwan Mohamed qui préfère d’ailleurs le terme « démobilisation » à « décrochage ».

Dans un quartier en proie au trafic, la ségrégation aura un impact non seulement sur la scolarité mais aussi sur la sociabilité

« Ces élèves démobilisés seront plus sensibles à l’appel de la rue. Dans un quartier en proie au trafic, la ségrégation aura un impact non seulement sur la scolarité mais aussi sur la sociabilité et les fréquentations », avance le sociologue. Un propos qui résonne face à des mères dont certaines ont assisté, impuissantes, au décrochage de leurs enfants.

Ici, aux Izards, le trafic fait partie du quotidien des habitants. La journée d’ateliers est entrecoupée par les cris des choufs [des guetteurs, NDLR], une banalité pour les habitants. Mais cette atmosphère interpelle les autres participants.

On a peur qu’ils soient au contact du deal, alors on les laisse dans l’appartement sur leur tablette ou leur console

Les mères s’avouent dépassées par la fascination de leurs enfants pour ces jeunes guetteurs. Pour protéger leur progéniture, elles avouent les contraindre à rester à la maison. « Il n’y a pas d’enfants qui jouent ou font du vélo dans le quartier. On a peur qu’ils soient au contact du deal, alors on les laisse dans l’appartement sur leur tablette ou leur console, même si on a conscience que les écrans sont néfastes », soupire une mère.

Le problème du trafic et de la délinquance sont récurrents, ici. Les habitants portent encore les stigmates des règlements de compte entre trafiquants. Rien qui freine la fascination des jeunes pour ce milieu, déplore une membre d’Izards Attitude. En face, Marwan Mohamed invite les mères à discuter de ce sujet avec leurs enfants « dès qu’ils sont conscients du trafic et de la réalité et des rixe ».

Les « non-accrochés » : ces très jeunes en difficulté dès la primaire

Outre cette « démobilisation » qui intervient souvent à l’adolescence, la problématique plus précoce des « non-accrochés », parfois « largués » dès le CE1, est également évoquée. Et la question est toute posée : comment « raccrocher » ces enfants ?

On oriente rarement un fils de médecin ou cadre en STMG

« Un des enjeux fondamentaux est que les enfants des quartiers populaires puissent avoir le même niveau que les enfants des autres établissements, dès la primaire », rappelle le sociologue.

Il déplore le déclassement de meilleurs élèves des quartiers populaires lorsqu’ils intègrent un établissement plus élitiste et dénonce un système éducatif français qui accroît les inégalités. « On oriente rarement un fils de médecin ou cadre en STMG », pointe celui qui a également eu à faire à la « conseillère de désorientation ».

Dans les quartiers populaires : une capacité de mobilisation hors du commun

Durant ces Assises, Samia Chiki et Marwan Mohamed démontent l’idée que les parents des quartiers populaires seraient majoritairement démissionnaires. « Il existe des parents invisibles dans les quartiers riches ! Certains parents de milieux aisés privilégient leurs carrières professionnelles et sont absents pour leurs enfants », expose l’enseignante.

« Dans les quartiers, les parents, même ceux non francophones, renforcent davantage l’instruction en étant plus prompts à amener leurs enfants à la bibliothèque », insiste Samia Chiki.

Le rôle moteur des mères

Un argument qui renvoie surtout aux mères de quartiers populaires. Un public que l’on retrouve en nombre parmi les bénévoles associatifs. Et c’est surtout le cas pour les mères qui ne maîtrisent pas le français.

Les initiatives réussies sur la co-éducation viendront des quartiers populaires

Au Izards, les ateliers d’aide aux devoirs mis en place par l’association font le plein. Les quatre ateliers hebdomadaires comptent aujourd’hui plus de 80 élèves inscrits et mobilisent de nombreux bénévoles.

Pour le sociologue, cette expérience locale est très révélatrice de « la capacité de mobilisation et d’organisation dans les quartiers populaires ». Constat partagé par l’enseignante. Samia Chiki en est persuadée : « Les initiatives réussies sur la co-éducation viendront des quartiers populaires ».

Céline Beaury 

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