En ces temps printaniers où l’école à la maison est devenue la norme pour tous les élèves du collège et lycée, le collège Paul Verlaine aux Mureaux dans les Yvelines n’est pas épargné par les difficultés liées à la fracture numérique. Mardi 27 avril, il est 9h30. Alors que l’établissement est vide de ses élèves depuis le 6 avril et le basculement des cours à distance jusqu’au 3 mai, Monia et Belkissa, assistantes d’éducation, enchaînent les coups de téléphone pour prendre des nouvelles des collégiens à la peine avec le virtuel. Entre les familles injoignables même après quatre ou cinq appels de relance et les numéros de téléphone inexacts, la mission n’est pas facile.

Certains m’ont dit ne pas avoir réussi à se connecter, d’autres pensent que le collège est fermé et qu’il n’y a pas cours. 

« J’ai appelé une quinzaine de familles », témoigne Monia. «Certains m’ont dit ne pas avoir réussi à se connecter, qu’il y avait des bugs, d’autres n’ont pas de connexion wifi. Et d’autres pensent que le collège est fermé et qu’il n’y a pas cours, en tout cas c’est ce qu’ils font croire à leurs parents. » 

Le collège Paul Verlaine accueillera dès ce lundi, les élèves en demi-groupe. L’autre moitié suivra les cours à distance.

Au tour de Belkissa de renchérir : « J’ai eu des parents bien renseignés qui font le nécessaire pour que leurs enfants se connectent. Mais on ressent que certains élèves vivent mal la situation et se sentent perdus loin du collège. Surtout ceux pour qui c’est compliqué de réviser à la maison. »

Même si ça s’améliore, on a encore beaucoup de décrocheurs, soit pour des raisons matérielles, familiales ou par mauvaise volonté.

Maintenir le lien avec les familles. C’est le défi que s’est lancé le service vie scolaire en soutien aux professeurs principaux de chaque classe. « Même si ça s’améliore, on a encore beaucoup de décrocheurs, soit pour des raisons matérielles, familiales ou par mauvaise volonté », expliquent de concert Rachid Rebaï et Adrien Bernardeau, les conseillers principaux d’éducation. « Beaucoup se sont dits en vacances dès la première semaine en distanciel. Résultat, on a des gamins qui ne sont pas présents à une heure de classe virtuelle. » 

Pourtant, la situation s’est quand même bien arrangée depuis notre venue sur place début avril. Au lendemain du lundi de Pâques, l’établissement s’est vu attribué par le conseil départemental des Yvelines 40 tablettes supplémentaires, pour un total de 85 tablettes disponibles pour 600 élèves. Suite au recensement effectué par l’administration, 120 élèves ont déclaré avoir besoin du prêt d’une tablette. « Les familles ont globalement été contentées », assure Olivier Ménard, professeur référent numérique.

ll est difficile pour une majorité d’élèves d’imprimer les cours ou travaux envoyés sur Oze, et donc de nous faire un retour.

Il faut croire que les quinze jours de vacances scolaires (du 12 au 25 avril), pourtant nécessaires pour aérer les têtes de ces ados ballotés depuis le début de la crise sanitaire, n’ont pas facilité le maintien d’une certaine cohésion.

Malgré les tutos postés sur l’espace collaboratif par Olivier Ménard, de nombreuses familles ne maîtrisent pas toujours les bons usages dans la manipulation du matériel proposé en prêt. Sans parler du gros bug informatique du 6 avril avec près de 43 000 collégiens ou parents connectés en même temps sur Oze, l’espace numérique de travail yvelinois. « ll est difficile pour une majorité d’élèves d’imprimer les cours ou travaux envoyés sur Oze, et donc de nous faire un retour », précise Olivier Ménard.

Des assistants d’éducation au contact pour déposer les devoirs dans les boîtes aux lettres

Face à ces anomalies et moult difficultés, une équipe mobile d’assistants d’éducation a pris les choses en main. A l’instar de Samba et Zineb qui n’ont pas hésité à se déplacer dans divers quartiers de la ville pour notamment déposer des polycopiés dans les boîtes aux lettres. Une manière directe et réactive d’œuvrer pour le collectif.

« Il y a eu un gros travail de fait pour le suivi » , confirme Rachid Rebaï. « Maintenant, l’urgence, c’est de bien communiquer entre nous pour bien savoir où en est chaque gamin. Cela demande beaucoup d’anticipation et de résilience, surtout pour les nouveaux emplois du temps de mai, avec les 4e et 3e qui vont venir sous forme alternée. » 

L’équipe du collège s’organise pour la rentrée et les cours à distance qui vont continuer dès ce lundi 3 mai pour les élèves de 3ème et 4ème.

La demi-jauge, Yanis, aujourd’hui en 4e, en a déjà fait l’expérience en juin dernier au retour du premier confinement. Alors que son père est en télétravail, ne pouvant prêter son ordinateur, et que sa mère est confrontée à un virus sur le sien, il s’est retrouvé sans matériel.

Avec les autres élèves, on a l’habitude de discuter sur Snapchat pour se passer des infos sur les cours. 

« Le collège m’a prêté une tablette juste à temps », confie-t-il quelques secondes avant de se connecter pour son cours d’anglais. « Ce n’est pas toujours évident mais on fait avec. Avec les autres élèves, on a l’habitude de discuter sur Snapchat pour se passer des infos sur les cours. » 

Face à l’utilisation d’applications parallèles, Nadia, sa mère, reste vigilante. Elle fait tout son possible pour que ses enfants évoluent dans un cadre proche des conditions de l’école. « J’ai également une fille en primaire et un fils au lycée qui lui se débrouille avec son smartphone même si ce n’est pas l’idéal car on peut être déconcentré par les notifications », affirme-t-elle. « On échange beaucoup avec les parents sur un groupe WhatsApp pour décompresser et s’encourager. Entre les documents à imprimer et les captures d’écran, c’est toute une gymnastique. »

Certains profs bombardent de devoirs et d’autres sont aux abonnés absents. 

Dans les faits, les parents ne semblent pas totalement satisfaits des dispositifs en place. « Une heure maximum par jour en visio, je trouve que c’est léger, estime une maman sur le fil de discussion du groupe WhatsApp en question. Certains profs bombardent de devoirs et d’autres sont aux abonnés absents. Il n’y a pas d’évolution depuis l’année dernière. » 

Malgré la récente dotation de tablettes, le total reste faible pour un collège classé en réseau d’éducation prioritaire. « Ce serait bien que tous nos élèves aient à terme une tablette comme dans d’autres établissements », espère Rachid Rebaï. « On essaie d’en obtenir davantage via des appels à projets numériques portés par certains profs, le CDI ou encore notre section Segpa », informe à son tour le principal Sébastien Carvalho.

Les CPE Rachid Rebaï et Adrien Bernardeau avec l’AED Monia dans leurs bureaux.

Pour Nadia, ce n’est pas une excuse pour se plaindre. Cette mère de famille pose un regard franc et sincère sur la situation. « Si on a les moyens d’offrir un téléphone à son enfant, on peut faire pareil pour une tablette », assure-t-elle. « Mais on ne va pas se mentir. On a aussi eu des élèves qui l’an dernier en ont pris sans les rendre. Il y a la notion de responsabilité qui entre en jeu car les abus sont préjudiciables. »

Une fin d’année qui s’annonce mouvementée

Dans ce contexte hybride, tout n’est pas à jeter. Habitués à être en première ligne de front, les assistants d’éducation ont finalement pu affiner leurs connaissances des profils les plus touchés suite à la multiplication des appels téléphoniques. « De par la relation qu’ils établissent, l’accompagnement est différent et certains jeunes se confient ou font des révélations », corrobore Rachid Rebaï. « Cela ne peut que être utile pour la suite. »

Quant à la tenue du brevet, les épreuves restent pour l’heure bien maintenues. En stage dés la fin mars, les élèves de 3e n’ont pas mis un pied au collège depuis plus d’un mois. Alors que la rentrée en demi-jauge commence avec le choix capital de l’orientation, la fin d’année s’annonce donc mouvementée.

D’autant plus que le Ministère de l’Education Nationale vient de renforcer le protocole sanitaire avec le déploiement des tests salivaires et autres autotests antigéniques. « Nous encourageons aussi les classes en plein air, la saison le permet », a ajouté Jean-Michel Blanquer le 22 avril en conférence de presse. Comme si le ministre se permettait de suivre à demi-mot le fameux proverbe qui dit qu’“en mai, fais ce qu’il te plaît”, en guise de consigne générale à un système éducatif déjà usé. On pourrait remplacer la maxime par ‘fais ce que tu peux’.

Florian Dacheux

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