Clichy-sous-Bois, ville symbole dont le nom renvoie d’entrée aux révoltes urbaines de 2005. C’est ici que le ministre de la Ville et du Logement a choisi de faire sa rentrée. Une semaine de terrain pour Julien Denormandie qui a lancé, ce jeudi, les cités éducatives. Ce dispositif est un des rares legs du plan Borloo, balayé d’un revers de main par Emmanuel Macron en mai 2018 et remplacé par une série de mesures pour la politique de la ville. Des voix s’étaient alors élevées à l’époque, notamment parmi les élus locaux, dépités et en colère de voir le rapport Borloo passer à la trappe. Le plan banlieue qui lui a été substitué n’est, pour eux, rien qu’un énième plan, une version édulcorée du rapport initial. Un épisode qui a sérieusement échaudé les maires des quartiers prioritaires et tendu encore un peu plus les relations entre l’exécutif et les élus locaux.

Carnets de correspondance en mains, les collégiens passent par la petite porte en jetant un œil curieux vers les officiels bien mis qui attendent les ministres à l’entrée de leur collège. Julien Denormandie, le ministre de la Ville et du Logement, accompagné du ministre de l’Education nationale, a choisi le collège Romain-Rolland à Clichy-sous-Bois pour lancer en grande pompe les Cités éducatives. Le principe du dispositif, qui concernera 80 communes en difficultés, est simple : établir une continuité éducative entre les enseignants, les travailleurs sociaux, les parents et les acteurs susceptibles de pouvoir renforcer un suivi éducatif de la petite enfance jusqu’au premier emploi. Le tout pour enrayer le décrochage scolaire et améliorer les conditions de scolarité.

Dans la ville pilote des cités éducatives, Grigny, le projet a été lancé en 2017 suite à un constat accablant : 50 % des élèves sortent du système scolaire sans diplôme et seulement 25 % ont le bac en filière générale. Avec l’État, le maire (PCF) de la ville, Philippe Rio, met alors en place un maillage éducatif solide pour remédier à la situation. Les premiers résultats sont prometteurs mais le projet à un coût et le maire de Grigny réclame davantage de moyens au gouvernement.

Elus et associatifs saluent (globalement) le projet

Pour ce qui est des moyens justement, une enveloppe de 34 millions d’euros par an partagé entre les cités éducatives, soit plus de 100 millions d’euros de 2020 à 2022, a été promise. Par quartier, cela fait 100 000 euros qui vont d’ores et déjà être débloqués, assure même le ministre. La somme est coquette, au point qu’une représentante de l’ASTI (Association Solidarité Travailleurs Immigrés), Monique Legrand, ironise sur le nombre de zéros. Visiblement désabusée par la multitude de plans banlieue qu’elle a vu passer, la militante rappelle : « Les associations sont en train de mourir par manque de moyens et par manque de reconnaissance ». Des associations qui se substituent trop souvent aux missions premières de l’État, ajoute-t-elle.

Dans la salle de classe, les élus et les associatifs conviés semblent satisfaits. Assis en demi-cercle : le président (PS) du conseil général de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, le maire (PS) de Clichy, Olivier Klein, d’autres officiels et des représentants associatifs. Jean-Michel Blanquer précise que le maire et le principal de collège seront au coeur du pilotage des cités éducatives. Le projet a l’avantage d’impliquer les acteurs de terrain et les familles, une revendication récurrente, mais des inquiétudes sur le financement et l’organisation de ce dispositif émergent aussi, vite apaisées. Jean-Michel Blanquer plaide pour « l’optimisme », revendique une cohérence avec les autres politiques de son ministère : dédoublement des classes de CP et CE1 en REP+, opération « devoirs faits », « plan mercredi »… Une « locomotive », dit le ministre, pour « faire des quartiers défavorisés des lieux de réussite républicaine », comme l’annonce la brochure. C’est beau.

Mohamed Mechmache, militant clichois bien connu et membre fondateur du collectif ACLeFeu, tempère quand même : « Si les grands qui ont un bac+5 galèrent, comment avoir confiance en l’école ? ». La question de l’accès à l’emploi, la question de la sécurité et celle de l’habitat, évidement indissociables de la réussite scolaire, constituent des freins, Julien Denormandie le reconnaît. Sur les emplois francs, assez proches des contrats aidés dans leur fonctionnement puisqu’il s’agit toujours d’apporter une aide financière à l’employeur qui embauche une personne résidant dans un quartier prioritaire, les résultats sont à la traîne. Plus d’un an après son lancement, on compte seulement 6 800 emplois francs, le gouvernement en visait 20 000 en année pleine. Sur le logement, près de 6 milliards d’euros ont été investis dans la rénovation urbaine mais le budget du logement est aussi celui qui a subi les plus grosses baisses en 2018 (- 1,2 milliard d’euros) et en 2019 (baisse de plus d’un milliard d’euros). Ces baisses se répercutent principalement sur les organismes HLM. Sur le logement toujours, l’enjeu de la mixité sociale est revendiqué par le gouvernement. Dans les faits, les politiques menées pour que la construction de logements sociaux soit mieux répartie sur le territoire ne suffisent pas. Sur la sécurité enfin, le plan banlieues prévoit l’arrivée de 1 300 policiers en plus dans 60 quartiers d’ici à 2020.

Une mesure encore circonscrite

Si le projet des Cités éducatives est largement salué, il pose tout de même quelques questions, dont l’extrême localisation de ces cités éducatives. Comme pour les dédoublements de classes de CP et CE1 dans les REP+, les cités éducatives rateront forcément une partie des enfants défavorisés. « 70 % des enfants en principe concernés (par le dédoublement des classes de CP et CE1) au regard de la catégorie socio-professionnelle de leurs parents, parce qu’ils ne sont pas scolarisées en éducation prioritaire, échappent à ce ‘filet pédagogique’ », explique Louis Maurin, membre de l’Observatoire des inégalités au Monde. Pour Marc Bablet, inspecteur pédagogique régional retraité, les cités éducatives sont idéologiquement « de droite » puisqu’elles « privilégient un ‘suivi et un accompagnement personnalisé’ (plutôt qu’un processus de socialisation dans le groupe classe), le ‘développement des crèches’ (plutôt que l’école à deux ans qui, elle, est gratuite pour les parents), l’émancipation par la ‘mobilité’ (quitter le quartier au lieu de donner ce qu’il faut dans le quartier comme dans les quartiers les plus riches), le développement de ‘fablabs’ car l’on sait que la société numérique résout les problèmes sociaux… » 

Ce type de critiques ne s’est pas fait entendre au collège Romain-Rolland, jeudi. Il faut dire que le lieu était bien choisi. Le maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, a été nommé président de l’Agence nationale du renouvellement urbain par Emmanuel Macron en novembre 2017 et il a reçu l’investiture de la République en marche pour les prochaines municipales. Contacté par le BB, Ayoub Laaouaj, étudiant très engagé dans le tissu associatif clichois, regrette d’ailleurs que lui et d’autres acteurs de terrain n’aient pas été conviés, contraints d’apprendre la visite du ministre via les réseaux sociaux. Il aurait sans doute bien aimé dire quelques mots au ministre de l’Education après sa sortie sur un supposé « fondamentalisme islamiste » sur France Culture. Pas pour cette fois.

La semaine de Julien Denormandie en Seine-Saint-Denis s’est achevée vendredi. Une opération qui n’a visiblement pas convaincu tous les élus de Seine-Saint-Denis, puisque cinq maires du département ont tenu ce samedi une conférence de presse pour confirmer qu’ils déposaient un recours en justice contre l’État pour rupture d’égalité. « On ne souhaite pas des mesures exceptionnelles, mais simplement un traitement à égalité », explique le maire (PCF) de Stains, Azzedine Taïbi. Ambiance.

Héléna BERKAOUI

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