L’animation, un secteur qui nous entoure au quotidien et auquel nous avons déjà tous eu affaire. L’animateur, c’est celui qu’on retrouve à différentes étapes de nos vies. Enfant, il anime nos cantines, nos centres de loisirs pendant les vacances scolaires. Les plus chanceux le retrouveront aussi en colonies de vacances, au camping ou à l’hôtel. Puis on grandit, c’est à nos petits frères et soeurs ou potentiellement nos enfants de découvrir ces personnes qui nous ont accompagnés et qui ont souvent marqué certains chapitres de nos vies. 

Une chose est certaine, un bon animateur, on le garde en mémoire. On en a tous un ou une au coin de  notre tête. Celui ou celle qui nous a fait vivre des moments inoubliables et qu’on est fier de recroiser dans le quartier pour lui montrer ce qu’on devient. Un animateur ça ne s’oublie pas. 

Alors, oui d’un œil extérieur, les métiers de l’animation sont « les plus beaux métiers du monde », être payé pour amuser, faire rire et faire rêver des enfants quoi de mieux ? En théorie, ça paraît si  simple et si réjouissant. Mais la réalité est tout autre. Une précarité grandissante et un secteur d’activité dont les conditions de travail ne cessent de se dégrader. Étant moi-même animatrice, j’ai voulu écrire pour comprendre pourquoi les animateurs sont à bout ?

Des journées à rallonge avec des pauses où l’on travaille sans rémunération

Pour commencer, la pénurie d’animateurs conduit à des plages horaires trop larges pour le travail réellement fait. Un « mono » travaille sur le temps péri-scolaire, donc les heures creuses d’entrée à l’école, de déjeuner et de sortie de cours. Un emploi du temps jonché de temps morts, lorsque les élèves sont en cours, qui ne profite pas.

Lorsque l’animateur est chanceux, il habite à côté de l’école et peut donc rentrer chez lui durant ses  « pauses ». Cas contraire (ce qui est plus généralement le cas), il reste dans l’école avec ses collègues. Un temps souvent long, finalement souvent utilisé, sans rémunération, à la préparation d’activités ou au rangement des espaces de loisirs et du matériel. Démotivant non ?

Des statuts précaires qui durent longtemps

Ensuite, les différents statuts des animateurs qui ne garantissent pas une stabilité de l’emploi. En effet, au sein de la ville de Paris, un animateur peut être vacataire (appelé pour des missions ponctuelles de remplacement notamment), contractuel (avec un contrat temporaire sur plusieurs mois) ou titulaire (employé avec des contrats à durée indéterminée). La titularisation, synonyme de stabilité professionnelle et financière, est recherchée par beaucoup mais ne s’obtient qu’à l’issue d’un recrutement dont les contours restent très flous pour nombre d’employés.

Certains vacataires qui sont là des fois depuis plus de 10 ou 15 ans restent parfois sans contrat ni titularisation.

Nour*, est titulaire. Elle est ce qu’on appelle une REV, Responsable Éducatif Ville, avec dix ans d’expérience dans l’animation, et partage ce sentiment. « Tu es choisi sur  dossier puis tu as un oral. Personne ne connaît réellement les critères de choix… Il y a sûrement beaucoup de pistons ». Cette façon de recruter les titulaires pose problème pour les autres statuts. « Les contractuels souhaitent devenir titulaires et augmenter leur temps de travail, mais ne peuvent pas, et certains vacataires qui sont là des fois depuis plus de 10 ou 15 ans restent parfois sans contrat ni titularisation. »  

Ajoutons à cela que le statut de vacataire, censé être utilisé pour les débuts de carrière, ne permet  pas de se projeter sur le long terme. Le rôle du vacataire ? Il remplace les animateurs absents dans les différentes écoles de l’arrondissement . C’est un animateur volant, sans école fixe, il est payé à la prestation et donc ne sait pas combien il gagnera vraiment à la fin du mois.

Comment s’engager dans un secteur d’activité qui ne me garantit pas un salaire fixe à la fin du  mois ?

Un statut pénible qui demande une capacité d’adaptation importante et une disponibilité  maximale. Le vacataire peut être appelé à tout moment. Imaginez-vous avoir ce statut et derrière  des enfants à charge et un foyer à gérer ? Impossible.

« Comment s’engager dans un secteur d’activité qui ne me garantit pas un salaire fixe à la fin du  mois ? se demande Amina, ancienne animatrice à Paris. « Les vacataires, c’est plus que de la sous-merde,  excuse-moi du terme, mais on nous impose des sorties que personne n’apprécie au lieu de demander aux animateurs ». Sophie*, animatrice, souligne à son tour la précarité. « Les vacataires perdent leur temps, ils ne peuvent pas travailler ailleurs ».  

Des salaires trop faibles pour la responsabilité engagée avec des mineurs

Sans parler des faibles salaires en comparaison avec les responsabilités données. Nour atteste  : «les salaires sont trop bas pour toutes les responsabilités qu’on a, que ce soit animateurs ou REV. Pour ma part REV à 90% (cadre catégorie B) je gagne la même somme qu’un nouvel animateur titulaire ».  Sauf qu’avec 1600 euros par mois, elle doit gérer en plus de son équipe d’animateur, les agents d’entretien, les enfants – forcément – mais aussi les parents, pouvant se montrer parfois invasifs. En prime, elle doit collaborer avec l’équipe pédagogique de l’établissement et veiller à la sécurité de tous au sein de l’établissement. Beaucoup de responsabilités n’est-ce-pas ?  

Pour les animateurs, le problème est le même, les salaires ne suivent pas compte tenu de l’ensemble des casquettes qu’ils doivent porter. À la fois psychologues, sociologues, comédiens, pédagogues, policiers, infirmiers et j’en passe, les employés se retrouvent bien souvent dans des situations qui les dépassent.

Je me retrouvais tous les midis avec 25 des fois 30 enfants à moi seule.

Avec, bien trop souvent, trop d’enfants à sa charge, ils et elles se retrouvent submergés et la situation leur échappe souvent. Comme le décrit Nour, le manque d’effectif des animateurs « se ressent sur les enfants par le biais des animateurs qui sont obligés de faire comme ils peuvent ».  

Les quotas sont donc très rarement respectés. Amina nous confie « Je me retrouvais tous les midis avec 25 des fois 30 enfants à moi seule avec une belle brochette d’enfants compliqués à gérer ». Une situation souvent critique quand un animateur est censé encadrer au maximum une douzaine de mineurs d’après les normes en vigueur.

À Nantes, Laure*, directrice  périscolaire dans une école, constate la même chose. « Je me retrouve des fois avec un animateur pour  50 enfants, ce n’est même pas envisageable lorsqu’on assure la sécurité des enfants, sans  compter les jeunes porteurs de handicap et les cas particuliers».  

L’appel aux intérimaires sans expérience de plus en plus fréquent

Laure nous informe même que pour combler cette pénurie, la ville de Nantes s’est mis à embaucher des intérimaires. Un phénomène vu dans d’autres villes, comme à Marseille, Troyes, lorsque l’on consulte les offres d’emploi.

Inutile de préciser qu’être en charge d’enfants ne s’invente pas ? Ces  intérimaires, non qualifiés et sans expérience sont au final seulement de passage dans  l’école. « Le turn over est ouf, les enfants n’ont pas de repères et du coup, ils s’y perdent », continue Laure. Comment se sentir à l’aise alors qu’on voit de nouvelles têtes chaque jour ? Comment  créer du lien alors que l’animateur n’a même pas de temps pour discuter avec moi ?  Des questions que peuvent se poser naturellement des enfants en perte de repères.

Et le Covid qui n’arrange rien à la tension

Ce sentiment « d’abandon » ressenti par les animateurs est davantage présent depuis la crise  sanitaire. Face à des restrictions sanitaires toujours plus pesantes, les REV et les animateurs se sentent pris au piège. Les règles covid rendent leur métier souvent impraticable. Moins de contact réel avec l’enfant, moins de liberté en termes d’activité, pas de possibilité de toucher aux  matériels communs, pas de brassage de classe… l’ensemble de ces restrictions plus complexes les unes que les autres épuisent des effectifs déjà épuisés. 

Amina raconte « il n’y a pas de brassage de classe à  cause du covid par contre le REV n’a le droit qu’à 3 animateurs pour 5 classes ». Sophie précise « le pire, c’est que les enfants sont regroupés par la suite pendant les vacances scolaires, puisque certaines écoles ferment, il y a plusieurs écoles dans un même centre, ça revient au même et ça donne de véritable usines ». De la même façon, les enfants doivent désormais manger par classe, parfois dans des cantines trop petites pour tous les accueillir. Il m’est arrivé personnellement de voir des petits manger à 20, tous serrés sur une table de 2 mètres par 3.  

Des grosses pressions des supérieurs pour appliquer des  règles qui sont inapplicables sur le terrain.

Moussa, référent sportif au sein d’une maternelle parisienne pendant l’année « covid », nous explique :  « Franchement, mon rôle c’était d’initier les  enfants à la pratique du sport, j’étais super motivé, mais pour ça faudrait-il encore avoir accès au matériel (ballons, chasubles, raquettes, cerceaux…), avec le covid on ne pouvait rien toucher, je ne pouvais rien faire mise à part les laisser jouer librement dans la cour. Nous ne pouvions pas exercer  correctement notre métier. »

Laure confie même qu’elle a subi « des grosses pressions des supérieurs pour appliquer des règles qui sont inapplicables sur le terrain. Ils nous disent qu’ils vont passer vérifier, inspecter, mais en un an, je n’ai eu encore zéro passage ». 

Des animateurs à bout, avec un gros turn over des effectifs

Tout cela entraîne à une extrême lassitude. Pour beaucoup, comme Nour « la profession n’est pas reconnue comme une vraie profession de confiance. Nous avons l’impression d’être nous même des enfants et que nous devons obéir à la hiérarchie aux parents à l’éducation nationale, ce sont toujours les mêmes problèmes, ils ont été remontés beaucoup de fois sans que rien ne change réellement. »  

On finit par être lassé de notre métier alors que c’est un des plus beaux. 

Les animateurs saturent de ces conditions de travail plus que problématiques et du manque de  considération qu’ils subissent. « On finit par être lassé de notre métier alors que c’est un des plus beaux, nous ne sommes pas libres, des fois par manque de formation, c’est vrai, mais aussi parce  qu’au bout d’un moment, c’est lourd. On n’a plus envie. Personne pour booster, on prend que des  reproches». Les nombreux arrêts maladie et les grèves à répétition sont la preuve d’un  épuisement collectif. Nombreux sont ceux qui finissent par se reconvertir.

Mon mal-être on s’en moquait, je saturais, je me suis mise en arrêt puis j’ai changé de travail

C’est d’ailleurs le cas  d’Amina qui raconte : « ma directrice n’était pas à mon écoute, elle faisait du favoritisme, on ne s’entendait pas, du coup, j’ai fait un mail pour demander un changement d’école, j’avais trouvé  une autre école tout était correct. Mais le coordinateur m’a répondu que ce n’était pas possible parce que ce n’était pas une urgence… Mon mal-être on s’en moquait, je saturais, je me suis mise en arrêt puis j’ai changé de travail ».  

Au final, on se retrouve dans un cercle vicieux, la pénurie d’animateur entraîne de mauvaises  conditions de travail poussant à bout les animateurs qui finissent par changer de secteur. Si l’on  continue comme ça, les dommages risquent d’être encore plus importants.

Pour rappel, oui, notre rôle est d’amuser les enfants, mais nous sommes surtout là pour veiller à leur sécurité physique et morale. Pensez-vous que toutes les conditions soient réunies pour accomplir cette tâche ?

Il serait grand temps de reconsidérer ces métiers à leur juste valeur et d’écouter les syndicats qui  rendent compte de l’ensemble de ses anomalies. Un renouveau est primordial pour continuer à  faire de ces métiers, bien qu’imparfaits, un « des plus beaux métiers du monde »

* Prénom modifié à la demande du témoin

Syrine Plet

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