Wilhem aura attendu plus d’un mois pour faire sa rentrée dans une classe de 1re STMG (sciences et technologies du management et de la gestion), en vue d’un bac technologique. Alors que ses camarades ont repris les cours le 1er septembre, il a passé le mois chez lui, dans l’attente qu’une place se libère dans une classe.

« En fin d’année, j’avais fait mes vœux pour la première STMG, j’ai eu l’avis favorable de mes profs. J’ai appris fin juillet que mes deux demandes avaient été refusées », explique le lycéen. Malgré des relances, les nouvelles du rectorat ont tardé : « Les vacances sont passées. Ils devaient nous rappeler pour nous dire ce que l’on pouvait faire, mais en septembre nous n’avions toujours pas de nouvelles. »

Wilhem a finalement fait sa rentrée au lycée lundi 3 octobre, dans une nouvelle classe ouverte pour des élèves sans affectation, 22 élèves au total. Ces lycéens auront donc perdu un mois d’enseignement, l’année de leur bac de français.

Des élèves toujours sans affectation ou contraints au redoublement

En cette rentrée, le cas de Wilhem n’est pas isolé. Plusieurs centaines d’élèves dans l’Essonne (impossible d’obtenir un décompte exact du rectorat) sont resté·es sur la touche, faute de place dans les établissements. À Corbeil-Essonnes, par exemple, 59 élèves étaient concerné·es – la plupart ont finalement trouvé une place dans le courant du mois.

Mais au moment où nous écrivons ces lignes, quelques élèves sont toujours dans l’inconnu. Certain·es ont accepté une affectation très loin de leur domicile en attendant mieux. D’autres, comme Mélissa*, 14 ans, sont toujours chez eux, sans solution acceptable.

Quatorze familles ont donc décidé de lancer une action commune et assigné le rectorat. Après une audience en référé (urgence), qui s’est tenue mardi 4 octobre, elles sont désormais dans l’attente de la décision du tribunal administratif de Versailles, attendue vendredi.

Je n’ai plus le choix : ma fille a 14 ans, elle doit être scolarisée. Elle va donc retourner au collège lundi.

La filière STMG et les lycées professionnels semblent particulièrement touchés par ces problèmes d’affectation. Sarah*, jeune Corbeil-Essonnoise de 14 ans du quartier de Montconseil, vit aussi un calvaire. En juin, à la fin de son année de troisième, elle avait reçu un avis favorable de ses professeurs pour une seconde professionnelle. Sauf qu’à la rentrée, le rectorat lui a fait savoir qu’il n’y avait pas de place pour elle.

Sa mère, Imen, a dû faire un choix qui, de prime abord, lui paraissait impensable : « On m’a proposé d’attendre que des places se libèrent. Ou d’envisager le redoublement. Et ça, je ne l’acceptais pas. Seulement, je n’ai plus le choix : ma fille a 14 ans, elle doit être scolarisée. Elle va donc retourner au collège lundi », lâche-t-elle, résignée.

Malgré les mails envoyés et les coups de téléphone passés à l’académie, on est restés sans réponse.

Faute de place dans les classes, un certain nombre d’élèves se sont vu, comme Sarah, proposer au « choix » une réorientation ou un redoublement. Le rectorat refuse d’ouvrir de nouvelles classes. Et pour ces adolescent·es, se résigner à repiquer leur troisième est une épreuve.

Les familles se sentent abandonnées par l’institution. « Malgré les mails envoyés et les coups de téléphone passés à l’académie, on est restés sans réponse, souligne Imen. On nous a juste répété : “On traite le dossier de votre fille”… » La mère de famille estime, qui plus est, que le rectorat joue un jeu dangereux : « La solution des redoublements est une bombe à retardement, ça va être encore pire l’année prochaine ! »

En Seine-Saint-Denis : pousser les murs plutôt qu’ouvrir des classes

Quoi qu’il arrive, Wilhem comme Sarah ont déjà perdu un mois de cours. Le jeune homme a tenté de ne pas prendre trop de retard sur son programme de 1re, mais il s’est retrouvé livré à lui-même, sans le moindre soutien de son établissement ou de l’académie. « J’ai essayé de trouver des cours sur Internet mais ce n’est pas évident. Ça ne peut pas remplacer un prof qualifié en face de nous », déplore-t-il.

L’académie de Versailles n’est pas la seule concernée. Début septembre, le Bondy Blog s’était rendu dans deux établissements de Seine-Saint-Denis, les lycées Jean-Renoir de Bondy et Feyder d’Epinay-sur-Seine, où les enseignants dénoncent l’augmentation des effectifs dans les classes de STMG, passées de 24 à 30 élèves.

Malgré une forte mobilisation des professeurs, le couperet est tombé après une audience au rectorat de Créteil, le 20 septembre : aucune ouverture de classe n’est prévue, les effectifs seront bien de 30 élèves dans les filières STMG cette année. Le taux de réussite au bac dépend pourtant très directement du nombre d’élèves par classe.

Début septembre, le rectorat nous avait pourtant affirmé que les lycées concernés allaient pouvoir ouvrir une nouvelle classe. « C’était une erreur de ma part, j’aurais dû mieux vérifier avant de vous transmettre cette information. L’abondement en heures avait déjà eu lieu », se justifie aujourd’hui la responsable de communication.

Elle affirme toutefois que « l’abondement en heures débloqué avant la rentrée devrait permettre de favoriser les cours en demi-groupe  pour les classes concernées »… Une mince consolation pour les lycées bénéficiaires.

Effet Covid ?

Comment expliquer le fait que ces problématiques touchent particulièrement les filières STMG ? « Il y a clairement un sujet, confirme Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU (premier syndicat dans le secondaire). Les années précédentes, on avait déjà eu localement des tensions sur les STMG, mais c’est de plus en plus marqué. »

Philippe Martinais, professeur et responsable syndical à Sud Éducation, y voit un effet de la réforme du bac pilotée par Jean-Michel Blanquer, ex-ministre de l’éducation nationale, en 2019. « Le lycée devient plus exigeant dans les filières générales, il y a des élèves qui ont peut-être compris ça et qui se sont orientés en STMG. C’est une hypothèse. Il faut aussi prendre en compte les difficultés engendrées pour les élèves par le Covid. »

D’autres académies ont connu ces problèmes d’affectations en STMG, comme Grenoble. Pour François Lecointe, responsable syndical au SNES-FSU, « il y a un déficit structurel de profs d’économie-gestion donc le rectorat est incapable de répondre à la demande ». Et pour expliquer l’afflux dans la filière, il avance aussi un effet Covid : « Les élèves de 1re n’ont pu réellement mener à bien leur projet d’orientation au sein de leurs collèges respectifs et sont arrivés en 2nde générale technologique un peu par défaut. »

Un défi démographique et des suppressions de postes

La secrétaire générale du SNES-FSU, Sophie Vénétitay, explique que l’Éducation nationale fait face, de toute façon, à un défi démographique. « Ces dernières années, on a connu une hausse des effectifs au lycée, une vague préalablement passée par l’école et le collège. Aucune surprise. » L’année dernière, les collèges français comptaient plus de 300 000 élèves supplémentaires par rapport à 2018.

En Île-de-France, d’après les projections de l’Insee, la hausse du nombre de lycéen·nes (50 000 élèves supplémentaires depuis 2013) devrait perdurer jusqu’en 2027.

Jean-Michel Blanquer a procédé à 7 900 suppressions de postes d’enseignants dans le secondaire (collèges et lycées) sur le dernier quinquennat.

Alors que le phénomène était prévisible, les pouvoirs publics semblent laisser la situation s’enkyster : « Jean-Michel Blanquer a procédé à 7 900 suppressions de postes d’enseignants dans le secondaire (collèges et lycées) sur le dernier quinquennat. Le cocktail est explosif », résume Sophie Vénétitay. Le ministre a privilégié le recours aux heures supplémentaires.

Les filières technologiques et professionnelles en ont fait les frais, particulièrement les classes de STMG et STI2D. Jean-Michel Blanquer ayant un temps envisagé de fusionner les filières générale et technologique avant de rétropédaler.

« Il a fallu qu’on se batte pour montrer tout l’intérêt de cette filière, insiste Sophie Vénétitay. Il faut plutôt améliorer les conditions de travail et d’étude plutôt que les laisser dépérir petit à petit. »

Edit : le délibéré de l’audience du mardi 4 octobre, opposant 14 familles au rectorat de Versailles, a été rendu. Devant le tribunal de Versailles, trois familles ont eu gain de cause. Celles dont l’enfant a accepté le redoublement par défaut ont, elles, été déboutées.

Névil Gagnepain

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