« C’est trop cliché, trop catégorisé tu sais. J’sais pas c’est comme dans le film Little Miss Sunshine où la petite se conditionne pour être comme les autres et bien ça c’est horrible ! » confie Constance, interrogée quelques jours avant la soirée du concours de beauté qui a réuni jusqu’à 10,4 millions de téléspectateurs samedi 19 décembre dernier.

Tout le monde est beau à sa manière, je trouve ça bizarre qu’on se dise : ‘il y a des règles de beautés à respecter’.

La jeune femme de 24 ans fait partie des nombreuses réticentes qui ne regardent plus le concours depuis plusieurs années. Comme beaucoup elle ne comprend pas réellement les raisons pour lesquelles les critères de sélections restent inchangés 100 ans après la création du concours : « Tout le monde est beau à sa manière, je trouve ça bizarre qu’on se dise : ‘il y a des règles de beautés à respecter’ et c’est pour ça que beaucoup de gens se sentent très mal dans leur peau. » argumente-t-elle.


Cette année c’est Amandine Petit, Miss Normandie, qui a remporté le concours Miss France. 

Les critères sur lesquelles sont sélectionnées les participantes sont strictes : il faut avoir moins de 26 ans, mesurer 1 mètre 70 minimum, être française, être célibataire et sans enfant, ne pas avoir été condamnée, ne pas porter de tatouage visible, et ne pas avoir eu recours à la chirurgie esthétique. Aucun écart n’est toléré et ce n’est pas Anaëlle Guimbi qui pourra dire le contraire, car la jeune femme qui aurait dû représenter la Guadeloupe cette année a été évincée pour avoir posé nue dans une campagne contre le cancer du sein. 

 

Une éviction qui a suscitée l’indignation sur les réseaux sociaux et pour laquelle Sylvie Tellier se défendra timidement au cours d’une interview : « Cette jeune femme a fait cette photo, l’a postée sur les réseaux sociaux avec un hashtag, c’était son initiative. Donc comme il n’y avait pas de campagne nationale, ma déléguée n’a pas eu connaissance de cette campagne ! (…) On a eu une année exceptionnelle, on tape sur des gens qui font des choses et moi, je tiens à la défendre parce que ma déléguée n’a pas eu connaissance de l’existence de la photo et surtout, du contexte ».

Chloé est également partisante d’une ouverture inclusive du concours, la jeune parisienne de 25 ans estime que le concours n’est pas représentatif des femmes qui composent la France d’aujourd’hui : « On n’y verra jamais de femmes poilues, rondes, tatouées, petites, trans, en situation de handicap et j’en passe ».

Avant d’ajouter : « Les concours doivent s’établir autour de prérequis objectifs, quand tu vas élire le ou la plus grand·e mangeur·se de burgers ou celui ou celle qui écrit le plus vite, c’est un fait mesurable, ce sont des ‘talents’, tu sais le faire ou non. La beauté c’est très différent et il y a sûrement des petites filles qui voudraient se faire plaisir mais qui ne peuvent pas parce qu’elles n’entrent pas dans la case normée de la beauté miss France ».

Un concours à la traîne face aux évolutions de la société

En comparaison avec nos voisins européens, la France semble avoir un train de retard. Par exemple, là où la question des candidatures de personnes transgenres restent encore un sujet tabou, l’Espagne a franchi le cap il y a maintenant deux ans en permettant à Angela Ponce de représenter le pays au concours de Miss Univers. La même année en Angleterre c’est Sarah Iftekhar qui créa la sensation, en devenant la première femme qui porte le voile à accéder à une finale du concours de beauté en Angleterre en 2018.

Parmi les trois jeunes femmes interrogées, Léa est celle qui a pu effleurer de près l’envers du décor puisqu’en 2016 elle a participé à l’élection de miss Centre-Val de Loire. La jeune femme qui paradoxalement trouvait le concours sexiste et superficiel s’est, par un enchainement d’évènements, retrouvée à concourir pour l’élection régionale : « J’étais en deuxième année de classe prépa littéraire à Orléans à l’époque, et cette année-là il y a eu l’élection Miss France dans la ville. Ça avait fait un gros débat au sein de ma promo, et je faisais partie des ‘anti-miss’ ».

Celle qui avait 20 ans à l’époque se retrouve donc à passer le « casting » et l’entretien de personnalité pour le défi. La tourangelle a connu l’issue du casting au début de l’été le jour-même où elle apprenait son admission à Sciences-Po Rennes, et par chance elle était admise aux deux : « J’avais accepté de le faire quand même, c’était l’occasion d’avoir un regard critique de l’intérieur du concours », raconte l’ancienne candidate.

Il faut vraiment être blindée quand on fait ce genre de concours.

S’ensuit début septembre le rassemblement avec l’ensemble des candidates, afin de passer le test de culture générale et les quelques photos pour la presse locale. Pendant ce temps, Léa observe et analyse. Elle remarque un cercle vicieux interne :
« Il faut savoir qu’on est évaluées sur notre camaraderie. Donc en soit on est toutes en compétition les unes avec les autres pour quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la performance sportive, c’est purement physique. Et du coup il y a des petites piques, des remarques, des vexations. Tout le monde est à l’intérieur de soi dans la comparaison, et regarder ce que fait l’autre, il faut vraiment être blindée quand on fait ce genre de concours », explique-t-elle.

Des candidates devenues de plus en plus les cibles du racisme et de l’antisémitisme

Avec le développement des réseaux sociaux, et notamment du suivi en direct de la cérémonie, les jeunes candidates sont aussi de plus en plus exposées aux critiques du public. Des mots qui peuvent aller jusqu’à l’insulte, le sexisme, le racisme et l’antisémitisme. April Benayoum, qui représentait la région Provence cette année, a été la cible d’insultes antisémites à son égard, publiées sur Twitter tout au long de la soirée. Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la citoyenneté a annoncé « avoir adressé un signalement auprès du Procureur ».

La journaliste Elise Lambert, dans un article pour France Info, a mis en lumière les remarques racistes des miss noires, maghrébines, ou asiatiques : « J’ai reçu pas mal de messages racistes sur les réseaux sociaux, principalement au sujet de mes cheveux, puis de ma couleur de peau. Ce genre de propos blessent car ils sont déplacés, injustifiés et gratuits », a déclaré Alicia Aylies, Miss France 2017. 

Le concours est extrêmement dangereux et ringard. Je me dis mais quel message on envoie !

Malgré le bon souvenir relatif qu’elle garde du concours régional et sa seconde place obtenue, Léa reste très critique à l’égard du concours : « Je suis totalement d’accord sur le fait que le concours est extrêmement dangereux et ringard. Je me dis mais quel message on envoie ! Ça pose des problèmes sur tellement d’aspects : on modélise la beauté selon des critères excluants et pas représentatif des femmes d’aujourd’hui, que ce soit par le corps ou l’âge. On apprend aux femmes à se mettre dans des moules que ce soit dans la psychologie ou la manière d’être ».

Bien que les trois femmes interrogées ne soient pas farouchement opposées à ce que des femmes concourent au titre de miss, toutes s’accordent à dire que l’élection va à rebours de l’époque et de l’évolution de la société dans laquelle on vit. Alors à défaut de supprimer le concours, il semble désormais nécessaire que le comité Miss France opère des transformations drastiques pour que le concours soit en accord avec les messages éthiques qu’il prétend véhiculer. 

Félix Mubenga

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