Il y a des jours meilleurs que d’autres. Je venais à peine de m’installer devant mon clavier, hier aux alentours de midi, quand j’ai senti gronder la colère dans mon dos. Derrière les fenêtres de mon rez-de-chaussée, quatre ou cinq ados (impossible de me souvenir avec exactitude: cette imprécision me navre, moi qui exerce le parfois rude métier de journaliste) s’en donnaient à cœur joie: insultes classiques du répertoire des banlieues, fils de pute, nique ta mère, etc. J’imagine que je n’ai pas besoin d’allonger la liste.

La raison de ce raffut (j’en profite pour exprimer mes regrets aux voisins), un petit malentendu de la veille qui m’avait déjà valu un premier assaut verbal. Mais tout prend rapidement des proportions insoupçonnées dans les cités. Les imaginations s’échauffent à la vitesse grand V. Les rumeurs partent en vrille. On passe sans transition du calme plat à l’ouragan de l’espèce Katrina.

Sur le moment, je suis loin de ces considérations météorologico-sociologiques. Les gestes et les paroles se font plus menaçants. Quelques cailloux sont jetés contre mes fenêtres. Puis les assaillants contournent le bâtiment pour venir faire le siège de la porte d’entrée. Quelques instants plus tard, ils ont réussi à pénétrer dans le hall de l’immeuble et cognent maintenant sur ma porte à grands coups de poings et de pieds. Je vis mon Fort Chabrol à la Cité Blanqui.

Au téléphone, Mohamed me rassure et me recommande de rester enfermé en attendant les secours (ça tombe bien, j’ai pas vraiment envie de sortir). Parti voir sa belle-mère, le président du Racing Club de Blanqui se trouve à 70 kilomètres de Bondy et alerte son ami Radouane qui arrive quelques instants plus tard. Comme on dit dans les commentaires d’actualité, un calme précaire règne alors sur le théâtre des opérations.

Je sors avec Radouane qui m’emmène boire un café. La pizzeria Sam est fermée. Il faut pousser plus loin, jusqu’à ce rade tenu par des ressortissants d’ex-Yougoslavie (Serbes? Croates? Bosniaques? Encore une imprécision…) où règne toujours une atmosphère quelque peu plombée. Heureusement, Radouane est un être exquis qui déchiffre avec intelligence le mécanisme dans lequel je me suis retrouvé pris. On convient qu’il serait peut-être utile de tenter un brin de dialogue avec les jeunes gens énervés, tous du quartier.

Pas besoin de les chercher longtemps, ils nous attendent devant la porte de l’immeuble avec quelques potes à eux. Au total, une dizaine de personnes serrées dans le froid. On commence par écouter leurs griefs qui pourraient se résumer ainsi: « Vous venez là pour profiter de nous, après vous repartirez, et ça ne nous aura rien apporté… »

J’observe Radouane qui mène les palabres avec un subtil mélange de proximité et de distance, alternant les vannes amicales et la fermeté absolue sur le principe du respect. La tension retombe. Je prends la parole à mon tour. Je défends notre projet de Bondy Blog. Le plus fort en gueule semble se laisser convaincre. Il lâche quelques paroles presque conciliantes. Personne ne le contrarie. Au bout du compte, on finit par discuter vraiment.

Dans l’affaire, j’aurai quand même appris deux ou trois choses même si, en termes de pure rentabilité, ce fut plutôt d’un faible rendement. Cette histoire, qui m’a finalement bouffé une bonne moitié de la journée, m’a donné la matière pour écrire un post mais m’a empêché d’en écrire trois autres.

 

Par Michel Audétat

Michel Audétat

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