« On est là, on est là, même si Macron le veut pas nous on est là…», mégaphone à la main, Sabah, militante de Force Ouvrière et AESH à Noisy-le-Sec, scande ce fameux slogan. En bonne cheffe d’orchestre, elle redonne la mesure : « AESH en colère, y’en a marre de la galère, vrai statut et vrai salaire, nous, on veut ça ! »

À quelques encablures du ministère de l’Éducation nationale, des accompagnantes* d’élèves en situation de handicap (AESH) et des syndicats font entendre leurs revendications. Mardi 13 juin, les représentantes syndicales de la profession ont appelé à une grève nationale.

Elles chantent au rythme des casserolades, comme un pied de nez aux maigres annonces du président de la République les concernant. Après la Conférence nationale du handicap qui s’est tenue fin avril dernier – sans que ces dernières ou leurs représentantes ne soient consultées – Emmanuel Macron a annoncé vouloir augmenter à 35 heures, le temps de travail des AESH.

Aujourd’hui, les AESH sont soumises à une forme de temps partiel imposé, alors même que leur rémunération figure parmi les plus faibles des personnels de l’Éducation nationale. Conséquence : leur revenu mensuel s’élève en moyenne à 750 euros nets.

« Comment vivre avec des salaires moyens dans un contexte d’inflation ?

Autant dire que l’annonce du Président ne suffit pas pour les accompagnatrices. « Comment vivre avec des salaires moyens dans un contexte d’inflation ? La grille salariale ne permet pas de réelles évolutions de salaires », soulève Sabah. Les revendications sont unanimes : « Un vrai statut, un vrai salaire, un temps plein pour 24h ».

Près du ministère de l’Éducation nationale, la colère est polyphonique, et le ton monte au fur et à mesure des slogans. Il est soutenu par les drapeaux rouges, blancs et jaunes brandis par les membres des syndicats. Le volume baisse et les prises de parole des représentantes de syndicats s’enchaînent.

Tassadit, une AESH d’Aubervilliers, est révoltée. « On considère que les AESH n’ont pas de diplôme alors que c’est faux, cela sert de prétexte pour dévaloriser notre métier. Ici, on a toutes notre bac, voire plus. » L’absence de reconnaissance de leur statut de fonctionnaire est une autre cause à l’origine de la précarité de la profession. Pour l’heure, l’écrasante majorité des AESH sont des contractuelles.

Sans qualification, obtenir un CDI devient difficile, ce malgré la loi du 16 décembre dernier qui approuve une possible «cédéisation » à compter de septembre 2023 pour les AESH ayant cumulé trois ans d’ancienneté.

« C’est dérisoire, surtout quand on sait que les nouveaux finissent par fuir la profession très vite. Et on les comprend… 800 euros, vous pourriez vivre avec ? », pointe Tassadit.

La double peine pour les élèves précaires

Malgré l’ambiance festive, les visages sont tendus. De la sono, une chanson de Michael Jackson résonne avec le rassemblement : « All I want to say is that they don’t really care about us ». « On ne se soucie pas vraiment de nous. On est invisibles », dit Chaker, de Sud Education 93 qui arbore une combinaison transparente pour l’illustrer.

Son syndicat souligne aussi les disparités territoriales qui affectent le travail des AESH et la prise en charge des élèves en situation de handicap.

« Avec ma collègue Zekia, on est bien lôti-es par rapport à la plupart des autres AESH. On est quatre AESH pour onze élèves. Ce n’est pas un hasard, on travaille dans un collège du 5e arrondissement de Paris », confirme Mamadou, jeune AESH dans un dispositif ULIS (unité locale d’inclusion scolaire).

A contrario, Mélanie, professeure de musique au collège Raymond Poincaré à la Courneuve (93), raconte : « Le dossier d’un de mes élèves en situation de handicap a été abandonné parce qu’il avait des problèmes sociaux. » 

Autour d’eux, les cris commencent à s’estomper. La plupart des élus de la Nupes présent-es au rassemblement, dont Mathilde Panot et Carlos Martens Bilongo, sont parti-es. C’est la dernière prise de parole. Hanane Ameqrane, ancienne documentaliste et professeure du lycée Angela Davis à Saint-Denis, et qui a récemment publié une lettre ouverte au ministre de l’Éducation, Pap NDiaye, sur le harcèlement dont elle dit être victime au travail, prend le micro. « Parmi nous, je sais que nombreuses sont les femmes racisées. C’est encore plus dur pour nous d’être AESH ou personnel scolaire. On se confronte à d’autres difficultés sociales. »

L’inclusion des élèves en situation de handicap, une chimère ?

Sur ces paroles, les rassemblées se dispersent pour échanger entre elles. À la colère de leur revendication se mêle la joie d’être unies. Si le rassemblement est porté sur leurs conditions de travail, beaucoup s’inquiètent pour les élèves en situation de handicap qui sont affectés par la précarité de cette profession.

« Aujourd’hui, les AESH se retrouvent à s’occuper de cinq élèves différent-es, parfois d’écoles et de secteurs différents. Ce n’est pas viable », explique Sabah, AESH à Noisy-le-Sec. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, pour 430 000 élèves en situation de handicap en France, il y a 130 000 AESH.

« Le mépris du gouvernement pour notre travail traduit un mépris à l’égard des élèves en situation de handicap de manière générale », dénoncent aussi les syndicats.

L’école inclusive reste une chimère pour eux. « Entre nous, on parle d’inclusion plaisir. C’est-à-dire que certain-es élèves sont complètement paumés et qu’aucun accompagnement personnalisé ne leur est proposé. Mais on va dire qu’ils sont inclus dans le cours, parce que ça fait bien », décrypte Mamadou.

Les gens fuient la profession, car elle est trop précaire, trop dure

Au regard, de la précarité de la profession, les recrutements ne suivent pas et la pénurie de personnel engendre des situations alarmantes. « Les gens fuient la profession, car elle est trop précaire, trop dure. En revalorisant notre salaire, les effectifs augmenteront », proposent des AESH d’Aubervilliers.

Le manque de formation et d’accompagnement est aussi évoqué. « J’ai appris à accompagner des élèves autistes sans formation. Avec le temps, c’est l’expérience qui aide », admet Fatima. Les conciliabules s’éternisent sur la place Jacques Bainville. « On aime ce qu’on fait, on veut aider ces élèves, insistent les AESH. Sans nous, il n’y a pas d’école inclusive ». Toutes s’entendent pour dire que ce n’est que le début d’un mouvement et qu’elles comptent bien lui faire prendre de l’ampleur.

Adélina Paris

*La profession d’AESH est très majoritairement exercée par des femmes. Ce n’est pas sans lien avec leur faible rémunération comme dans d’autres métiers du care (infirmières, aides à domicile…). C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le féminin dans cet article pour parler d’elles, en dépit de la règle de grammaire qui veut que le masculin l’emporte.

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