Depuis maintenant quatre semaines, les enseignants de Seine-Saint-Denis se mobilisent pour que l’État mette en place un plan d’urgence pour l’éducation dans le département. Les conditions d’enseignement sont dénoncées depuis des années, voire des décennies dans le département le plus pauvre de France métropolitaine.

Des cris d’alarme négligés, mais aujourd’hui reboostés par les annonces gouvernementales : baisse du budget de l’Éducation nationale, instauration du plan « choc des savoirs »… Contributrice au Bondy Blog et lycéenne, Badiallo s’est entretenue avec une professeure d’histoire à ce sujet. Une professeure engagée dans le mouvement de grève et mobilisée sur les questions de discriminations. Interview.

Pourquoi êtes-vous en grève ?

Premièrement, un appel syndical a été lancé après l’annonce de coupes budgétaires qui toucheront principalement l’Éducation nationale. Le département de la Seine-Saint-Denis est structurellement en sous-effectif. Mais ils ne font pas grand-chose pour notre département, on peut d’ailleurs citer d’autres départements délaissés comme ceux d’Outre-mer.

Deuxièmement, l’État veut créer des groupes de niveau dans les collèges. C’est-à-dire regroupées les élèves dans des classes selon leur niveau scolaire. Nous ne voulons pas d’une hiérarchie au sein des écoles, ni de stigmatisation, et ce système-là les renforcera, les classes ne seront plus constituées équitablement.

Il y a déjà un niveau hétérogène flagrant entre les élèves. Nous constatons une fracture nette entre les élèves dès la primaire. Certains parents ont la possibilité de faire la lecture à leurs enfants, tandis que d’autres enfants, comme ceux d’ouvriers ou de famille monoparentale, n’ont pas cette chance-là.

Personnellement, c’est pour ce type de raisons qu’il est important de continuer sur ces initiatives syndicalistes. On a l’impression de ne pas tenir notre promesse. On a l’impression qu’il y a de moins en moins d’ascension sociale. Beaucoup de diplômés ne trouvent même pas d’emploi ou n’ont pas de formations qui leur plaisent.

Pourquoi est-il compliqué de faire toutes les grèves ?

C’est compliqué pour beaucoup d’enseignants de faire toutes les grèves, car cela représente des centaines d’euros qui sont retirés sur notre salaire. Certain.nes d’entre nous ont souvent des prêts, ou sont payés au Smic selon leur catégorie de fonctionnaire, comme les agents d’entretien.

C’est compliqué de faire les grèves pendant plusieurs semaines puis de reprendre les cours normalement

Nous pouvons aussi avoir une famille et pas mal de responsabilités financières. Le métier d’enseignant est précaire et en plus de ça je n’ai pas envie de perdre le fil de mes cours avec mes élèves. C’est compliqué de faire les grèves pendant plusieurs semaines puis de reprendre les cours normalement avec les élèves.

Les grèves ont-elles des conséquences sur le rythme de travail des élèves ?

Après avoir fait totalement la grève pour les retraites, la fin de l’année a été dure avec mes élèves. J’ai perdu leur motivation, leur attention, j’ai perdu beaucoup d’heures avec eux. Ces heures ne sont pas forcément remplacées et cela crée beaucoup de retard dans l’avancement sur les programmes scolaires.

En tant que gréviste, je pense que le suivi des classes est un dilemme. Beaucoup de grévistes se mobilisent pour un intérêt supérieur, mais au détriment de pas mal d’heures de cours. C’est vraiment dommage. Dans les années 80 et début 2000, les élèves étaient aussi impliqués dans les mouvements grévistes, c’était donc un lieu de formation citoyenne. La peur de la police était aussi moins présente, si on avait un mouvement aussi du côté lycéen les rapports de forces ne seraient pas les mêmes.

Est-ce que vous vous sentez écouté par les institutions ?

Non, on ne se sent pas écoutés. Les nouvelles réformes scolaires ne fonctionnent pas du tout et cela montre que les enseignants ne sont pas écoutés. Depuis 2019, les professeurs des lycées avertissent sur le fait que c’est une mauvaise idée de mettre le bac en mars, mais il leur aura fallu tester cette réforme sur des générations pour admettre que c’était une erreur.

On peut aussi citer l’imposition des manuels numériques, qui pédagogiquement ne sont pas du tout pertinents. Nous avons besoin de manuels scolaires en papier pour travailler, des choix d’investissements ont été faits pour payer des tablettes et des ordinateurs aux lycéens et collégiens et ces appareils-là ne durent même pas si longtemps. Les placements d’argent ne sont pas du tout intelligents, ils auraient pu être faits différemment.

Le vrai problème est qu’on n’a pas assez de moyens pour travailler

Je pense aussi aux débats, avant la rentrée, sur l’abaya… C’étaient absurdes. Ce débat montre qu’on ne nous écoute pas. Le vrai problème est qu’on n’a pas assez de moyens pour travailler, mais l’État à décider de commencer à investir dans des uniformes…

Pensez-vous que l’État prendra des mesures importantes pour améliorer vos conditions de travail ainsi que celles de vos élèves ?

Il faudrait qu’on change de gouvernement. Il faudrait un gouvernement qui choisisse les services publics. Il n’y aura pas de rémission miraculeuse si on ne fait rien. Il faudrait qu’on remette les services sociaux au cœur de nos problématiques, mais malheureusement, on ne se dirige pas vers ce chemin.

Propos recueillis par Badiallo Maïga

Photo Maria Aït Ouariane

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