Ils sont étudiants, jeunes actifs, intellectuels et militants… Et ont tous un point commun : ce sont des jeunes Guadeloupéens conscients des enjeux de développement de leur archipel et qui souhaitent du changement. Alors que demandent ces jeunes Guadeloupéens, souvent réduits par les médias à une image d’anti-vax violents, pillant des commerces et brûlant des habitations. Que demande cette jeunesse guadeloupéenne en lutte, victime d’un système autant que des stéréotypes ?

Quand on arrive à cette réalité là et que l’on prétend que nous, Guadeloupéens, avons accès aux mêmes choses, c’est un mensonge.

Amorcé le 15 novembre dernier, le mouvement social que connaît la Guadeloupe trouve son origine dans la crise sanitaire que traverse le département, avec un appel à la grève générale lancé par les personnels soignants et pompiers face à l’obligation vaccinale contre le Covid-19. Une contestation sociale qui s’est généralisée sur le territoire, dans un contexte de révolte urbaine avec des incendies de voitures, des dégradations, des barrages routiers, et des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre. Et la réponse de l’État ne s’est pas faite attendre : un couvre-feu à 18 heures a été annoncé (jusqu’au 28 novembre), ainsi que l’envoie de 250 policiers et gendarmes, dont 50 membres du GIGN et du Raid.

Au Gosier, certains établissements ont été victimes d’incendies lors des révoltes. Crédit : Sidney Y.

Derrière le refus de l’obligation vaccinale, une lutte permanente pour les droits de la Guadeloupe

Alors que le reste de l’hexagone affiche un taux de vaccination complet de plus de 75% de la population, sur l’archipel seuls 35% des habitants sont complètement vaccinés. Un climat de méfiance généralisée à l’égard du vaccin promu par l’État français qui s’explique notamment par le scandale de l’utilisation du chlordécone dans les Antilles.

Utilisé durant trois décennies, l’insecticide a été interdit dans l’Hexagone en 1990 mais a continué d’être utilisé dans les bananeraies de Guadeloupe et en Martinique au moins jusqu’en 1993, grâce à une dérogation ministérielle. Des années d’utilisation aux résultats catastrophiques : d’après Santé publique France, 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, et les habitants des Antilles souffrent d’un des plus hauts taux d’incidence du cancer de la prostate dans le monde.

La plainte qui a été déposée en 2006 par des associations, et qui souligne les conséquences désastreuses aussi bien sur le plan sanitaire, économique que social, est d’ailleurs aujourd’hui menacée de prescription. Cette rancœur silencieuse à l’égard de l’État Français se réveille donc avec l’obligation vaccinale des soignants, et justifiée par des sols contaminés pour des siècles, des zones de pêches interdites, une eau contaminée, un taux de chlordécone très élevé dans le sang, des forts taux de cancer de la prostate… Mais pas uniquement.

Les stigmates des nuits précédentes jonchent les rues du Gosier. Crédit photo : Sidney Y.

Des revendications qui vont l’état de l’eau à la précarité

Dans la longue liste des 32 revendications synthétisées déposée par les organisations syndicales organisées en collectif, on retrouve beaucoup de demandes qui portent sur des problématiques sociales comme la mise en place de plan d’urgence à l’embauche pour les jeunes. Un jeune actif sur trois est au chômage. Tous font face à une vie de plus en plus chère où les produits alimentaires sont 33% supérieurs à ceux de l’hexagone, alors même qu’un Guadeloupéen sur trois vit avec moins de 1000 euros par mois.

Le docteur en droit, avocat au barreau de Guadeloupe, et militant politique, Raphael Lapin, explique ces revendications par « l’inadaptation des politiques publiques qui sont décidées nationalement et qui devraient être mises en œuvre de manière identique dans le pays ». Cela implique l’accès aux services publics de base comme l’eau potable en quantité et en qualité, pour qui le collectif demande un plan d’urgence. Certains foyers sont privés d’eau potable en quantité et en qualité et subissent des tours d’eau réguliers depuis des décennies.

On est obligé d’arriver à des extrêmes dramatiques. C’est ce qui a permis de créer la visibilité du mouvement. 

Pour Mahelle, jeune entrepreneuse de 30 ans, résidente de la commune des Abymes, il ne faut rien attendre des politiciens : « je ne pense pas que les solutions viennent d’eux ». Sur les deux revendications de départ, soit la suppression de l’obligation vaccinale et du pass sanitaire, l’Etat reste imperturbable dans ses réponses : il n’y aura pas d’exception pour la Guadeloupe.

Le ministre des Outre-Mer a tenu à rappeler dans ses interventions que les lois de la République s’appliquent partout sur le territoire y compris en Guadeloupe. Une position qui maintient le conflit social dans l’impasse. « Les revendications pour le pass sanitaire et l’obligation vaccinale, je pense que c’est un peu mort. Par contre en ce qui concerne les autres points de revendications, je trouve ça dommage que ça revienne aussi souvent, cela montre que l’on est pas écouté », analyse Yanis, 26 ans, étudiant en langue créole, qui habite au Moule, au Nord-Est de l’île de Grande-Terre.

L’héritage de la lutte de 2009

Même si la grève générale de 2009 propulsée par le collectif LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon) n’a pas abouti aux avancées structurelles, sociales ou économiques espérées, elle eu un rôle crucial dans la diffusion d’idées autonomistes et indépendantistes. Aujourd’hui c’est une jeunesse différente, une nouvelle génération qui se bat pourtant avec les mêmes revendications que 12 ans plus tôt : le chômage, la vie chère, les défaillances de services publics, entre autres.

« Quand on arrive à cette réalité là et que l’on prétend que nous, Guadeloupéens, avons accès aux mêmes choses, c’est un mensonge”, ajoute l’avocat Raphaël Lapin. Pour lui il s’il n’y a pas de changement, la Guadeloupe va se retrouver de manière épisodique à reproduire une autre crise sociale. « Si aucun changement structurel n’est fait, on peut déjà prendre rendez-vous dans 10 ans ». 

De son côté Mahelle l’entrepreneuse, pense que la majorité de la population se sent concernée par la grève, mais peu prennent réellement position. Les stigmates de la lutte du LKP se matérialisent par une lassitude, face à une situation qui n’évolue pas, et qui fait que beaucoup préfèrent ne pas s’exprimer sur les sujet.

En juin pendant les élections on disait que la jeunesse était forte, l’avenir de la Guadeloupe. Maintenant on la critique parce qu’elle descend dans la rue pour enfin se faire
vraiment entendre.

De nombreux jeunes bravent le couvre feu, malgré la forte présence policière. Sidney Y.

Mais à la différence de 2009, où les revendications étaient structurées autour d’un collectif, le Lyanna Kont Pwofitasyon et d’un porte parole en la personne d’Elie Domota, le mouvement social de 2021 diffère par sa spontanéité. « Les jeunes qui sont sur les barrages sont différents qu’en 2009, mais on sent tout de même les prémices de 2009 », analyse Willy William, militant politique de 29 ans, candidat tête de liste sans étiquette, aux dernières élections régionales.

Des contestations qui se transforment en révolte urbaines et qui pousse le débat au sein de la population. Mahelle a découvert comme tout le monde, au matin du 19 Novembre, des habitations brûlées, des magasins dévalisés. « ​Après analyse,  je pense que c’est ce qui a permis de créer la visibilité du mouvement, on est obligé d’arriver à des extrêmes dramatiques mais ça fait deux mois que les pompiers sont en grève. C’est dommage de devoir en arriver jusque là… »

Pour Raphaël Lapin,  beaucoup de personnes parlent de la jeunesse mais très peu laissent la jeunesse parler. C’est ce que dénonce également Willy William. « En juin pendant les élections on disait que la jeunesse était forte, l’avenir de la Guadeloupe. Maintenant on la critique parce qu’elle descend dans la rue pour enfin se faire vraiment entendre ». 

Sur les barrages, la parole à la jeunesse

À Pointe-à-Pitre, Sydney, 27 ans, est souvent présent sur les barrages. Le jeune militant politique, qui travaille dans le secteur de la communication explique que les jeunes ne sont pas instrumentalisés par les syndicats. « Les jeunes qui sont sur les barrages savent pourquoi ils sont là, il ne faut pas croire qu’ils sont manipulés ». Le mouvement de grève générale s’est mis en place avec des rassemblements mais surtout des barrages routiers tenus par des jeunes hommes et femmes. « Cette jeunesse à besoin d’actions fortes, elle en a marre de marcher, de faire des manifestations, elle a profité de cette opportunité pour faire entendre sa voix ». 

Sydney raconte les barrages faits de tous types de profils, des jeunes travailleurs, des jeunes au chômage, des syndicalistes, les groupes carnavalesques et beaucoup de mères de famille qui viennent avec leurs enfants quand c’est plus calme. On retrouve des adultes pour soutenir, apporter des ravitaillements, et c’est toute une micro-société qui s’organise en elle-même.

L’image qui est envoyée par les médias de l’Hexagone n’est pas la meilleure.

« L’image qui est envoyée par les médias de l’Hexagone n’est pas la meilleure. On ne va pas montrer l’adaptation de personnes à la crise. Il y a des inquiétudes à lever parce que le climat n’est pas aussi tendu qu’on le dit », ajoute Sydney.

Mais pour gérer la situation, c’est l’envoi de forces de l’ordre et le couvre-feu qui a été privilégié par le ministère de l’Intérieur. Pour Raphaël Lapin « l’Etat doit apporter d’autre solution que la force ». Un constat également partagé par Willy William, qui déplore le fait qu’à chaque intervention du préfet, ce dernier énumère le nombre de manifestations, de routes barrées, d’arrestations, au lieu de la réalité silencieuse du quotidien : « On veut faire les choses à l’envers ». Pour lui la crise sécuritaire trouvera sa réponse dans l’ouverture du dialogue.

À l’heure actuelle, sur l’obligation vaccinale le ministre des Outre-Mer est formel « les lois de la République s’appliquent partout y compris en Guadeloupe », et l’exception demandée pour la Guadeloupe n’est pas à l’ordre du jour.

Image à la Une : Ricardo Arduengo pour Reuters.

Fanny Chollet

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