Soigner les autres sans s’oublier. Un équilibre difficile à trouver chez les jeunes étudiants en médecine. Pour ceux originaires de banlieue, l’attachement à leur quartier est d’autant plus fort que beaucoup ont eu des difficultés pour accéder à un médecin en tant que patient.

Phuong-Anh a 25 ans et étudie la médecine à l’université Sorbonne Paris Nord, en Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui, elle est en internat, les trois dernières années de son parcours, avant de décrocher le titre de docteure en médecine générale.

Pour cette jeune femme originaire d’Aulnay-sous-bois (93), l’envie de devenir généraliste vient en partie de son vécu : « Au vu des problèmes que j’ai eu pour trouver un médecin traitant pour ma famille, je me suis dit qu’il fallait que plus de médecins s’installent dans le 93 ».

Seine-Saint-Denis : 23% de ses médecins généralistes en 10 ans

Mais à mesure qu’elle s’approche de la fin de ses études, l’idée d’exercer d’en Seine-Saint-Denis lui paraît beaucoup moins reluisante : « La patientèle dans le 93 est énorme et le suivi médical est souvent très précaire ».

En effet, le département est l’un des moins bien dotés en médecins généralistes. En 2019, avant la crise sanitaire, l’Assurance maladie comptait en moyenne 2 426 patients par médecin généraliste de Seine-Saint-Denis, contre 1 789 en France métropolitaine. Depuis 2010, le département a perdu près de 23% de ses médecins généralistes, alors que la population augmente.

À rebours de ces chiffres et des défections de ses confrères et consoeurs, Phuong-Anh ne se voit pas exercer un autre métier. Seulement, les internes, comme beaucoup d’autres étudiants et jeunes professionnels, s’interrogent quant à l’équilibre entre le travail et leur vie personnelle.

Je vais sans doute commencer dans le 93 et peut-être que je vais m’attacher et choisir d’y rester

C’est le cas d’Anyssa, originaire de Bondy (93), qui commence son internat dans le Val-de-Marne (94). Pendant ses études, et surtout lors de ses différents stages en Île-de-France, elle a réalisé que l’ambiance de travail était primordiale. Désormais, son cœur penche vers le Sud de la France « car j’ai eu des retours selon lesquels l’atmosphère y est plus détendue ». Elle reste néanmoins attachée à son département d’origine : « Je vais sans doute commencer dans le 93 et peut-être que je vais m’attacher et choisir d’y rester ».

 « Je me sens chez moi dans le 93, on me prend comme je suis »

Djassime a, lui, réalisé pendant son externat (formation à l’hôpital) que la médecine qu’il souhaitait mettre l’accent sur l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, quitte à prendre en charge moins de patients.

Il n’a cependant aucun mal à se projeter en banlieue, lui qui a grandi à Pantin : « Je me sens chez moi dans le 93, on me prend comme je suis. Mon épouse est infirmière et a fait des stages à Paris où elle a dû faire face à du racisme et de l’islamophobie, ça ne m’est jamais arrivé en Seine-Saint-Denis ».

Interrogé sur le moyen de garantir son temps libre malgré le nombre élevé de patients en recherche d’un médecin traitant, Djassime préfère ne pas y penser avant la fin de ses études.

Je connais bien les gens ici, je pense que beaucoup de personnes se sentiront en confiance avec moi

Une stratégie également adoptée par Mélissa. À terme, elle souhaite reprendre l’activité de son ancien médecin traitant à Fontenay-sous-Bois (94), parti à la retraite : « Je connais bien les gens ici, je pense que beaucoup de personnes se sentiront en confiance avec moi ». Pour elle, s’installer dans une zone sous-dotée revient à faire la balance entre qualité du suivi et rentabilité du cabinet. Une chose est sûre, elle cherchera à connaître ses patients.

Celles et ceux qui exercent en banlieue ne viennent pas nécessairement d’Île-de-France, d’autres internes ont choisi de finir leurs études ici. C’est le cas de Charles, étudiant en fin de première année d’internat à l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).

Des conditions de travail qui, souvent, n’incite pas à rester  

« Il me faut 2 heures pour me rendre à Savigny-sur-Orge », explique Charles. Si Paris et ses environs attirent, notamment pour la qualité de ses enseignements et ses nombreuses opportunités professionnelles, les conditions d’exercices ne sont pas plus reluisantes qu’ailleurs.

Originaire de Franche-Comté et affecté en Ile-de-France, il doit jongler entre le 15e arrondissement, Massy et Savigny-sur-Orge pour ses stages. Pour le logement, aucune aide n’a été proposée par l’AP-HP.

« Une fois arrivé, je dois tout de suite être opérationnel, mais je ne sais pas si je vais bien soigner après 2 heures de trajet ». Malgré ces difficultés, Charles ne perd pas sa « volonté de se mettre au service des autres » et projette à terme d’exercer dans des zones sous-dotées en médecins généralistes.

Un projet de réforme qui ne passe pas

Le 23 septembre dernier, le gouvernement a annoncé sa volonté d’ajouter une quatrième année d’internat en médecine générale à la rentrée 2023. Parmi les grands axes du projet : inciter « fortement » les internes à s’installer dans des déserts médicaux est vu d’un très mauvais œil par les principaux intéressés.

A priori, ce n’est pas un problème d’internes qui refusent de s’installer dans les zones sous-dotées en médecins. Le gouvernement, et les gouvernements antérieurs, ne sont pas non plus à leur coup d’essai dans la résolution du problème de désertification médicale.

Pensé « pour améliorer la formation des médecins généralistes, absolument pas pour résoudre le problème des déserts médicaux », selon le ministre de la santé François Braun, le nouveau projet de réforme est perçu par beaucoup d’étudiants et syndicats comme une mesure à court-terme et à bas-coût.

Selon ces syndicats, sous l’incitation se cacherait en réalité une mesure de « coercition » et un « mépris » du gouvernement, qui les ont conduits à un mouvement de grève nationale le 14 octobre dernier.

Ça ne va faire qu’énerver les patients, qui vont avoir un médecin qui n’a pas forcément envie d’être là

Loin d’être indifférents au manque d’accès au soin dans certains territoires, les internes ont de multiples propositions qu’ils estiment plus judicieuses, comme l’ouverture de maisons de santé pluriprofessionnelles.

Une mesure contre-productive pour Charles : « ça ne va faire qu’énerver les patients, qui vont avoir un médecin qui n’a pas forcément envie d’être là et qui ne restera parfois qu’un an ». Cet avis est partagé par beaucoup de futurs pratiquants, pour qui l’exercice de la profession doit rester malgré tout une vocation et non une contrainte.

Méwaine Petard

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