Avoir Jacques Vergès pour avocat, c’est s’assurer d’un coup de pub à défaut d’une victoire devant les tribunaux. L’Union des professionnels du narguilé (UPN), un syndicat qui combat le décret anti-tabac interdisant de fumer dans les lieux publics et en particulier dans les bars à chichas, s’est attaché ses services il y a environ un mois. « Début janvier, nous nous sentions un peu perdus, raconte Badri Hellou, le président de l’UPN. C’est en entendant Jacques Vergès à la télévision vitupérer contre ce décret que l’idée nous est venue de le contacter. Nous lui avons fait un courrier. Deux mois plus tard, il nous a répondu, acceptant de prendre la défense de notre dossier. Il a des choses à dire à ce sujet. »

Les propriétaires de bars à chichas sont aux abois. Leur chiffre d’affaires, essentiellement calé sur la partie fumoir, aurait diminué de 30 à 40% depuis l’entrée vigueur du décret, le 2 janvier. Si l’on sert des boissons (généralement sans alcool) et des gâteaux dans les salons à narguilés, les clients s’y rendent avant tout pour partager un moment de convivialité autour d’une pipe à eau.

Fin 2007, il y avait encore 800 établissements à chichas en France, la plupart tenus par des personnes d’origine maghrébine. Une centaine d’entre eux aurait fermé depuis, indique Patrice Druyer, le trésorier de l’UPN et propriétaire de deux bars de ce type à Paris. On dénombrait 3000 employés dans le secteur l’année dernière. « Nous ne savons pas avec exactitude combien ont perdu leur travail avec l’introduction du décret », ajoute Patrice Druyer.

L’application du texte se heurte parfois à la résistance des patrons de ces salons, qui s’estiment discriminés, l’activité principale de leur commerce étant dédiée à la consommation de tabac. « Les clients viennent chez nous en connaissance de cause », argumentent-ils. La police s’en est mêlée, jusqu’à la BAC (Brigade anti-criminalité), qui a procédé à des « descentes » dans les bars à narguilés, déplore Badri Hellou, comme si ces établissements étaient des repaires de délinquants.

Un calme relatif – une pause ? – semble s’être instauré. Certains propriétaires transforment leur affaire en club privé, croyant trouver là une échappatoire au décret. Les salles « fumeurs » et « boissons » sont séparées les unes des autres. Mais attention ! Privé ou pas, il est interdit d’employer des salariés, la loi les protégeant contre le tabagisme passif.

Le grand combat est à venir. C’est là que Jacques Vergès, fumeur de cigares, homme de l’ombre et des amitiés inavouées, entre en jeu. Me Vergès a défendu des criminels moralement chargés, Klaus Barbie, Slobodan Milosevic, Saddam Hussein. Il est aujourd’hui le conseil de Khieu Sampan dans le procès du Khmer Rouge. Fils d’une Vietnamienne et d’un consul de France, l’avocat, actuellement à Paris, que nous avons tenté de joindre à plusieurs reprises mercredi à son cabinet, sans succès, s’est toujours plu, en défendant de tels hommes, à souligner les contradictions des pays « impérialistes », considérant que le plus grand crime était celui du colonialisme.

« Jacques Vergès connaît du monde dans les cercles de pouvoir, c’est pour cela que nous l’avons sollicité, il peut être influent », explique Badri Hellou. L’avocat de 83 ans a trouvé là une cause qui convoque les « libertés individuelles », mais surtout, des souvenirs qui le replongent dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie, dont il fut l’un des protagonistes, aux côtés du FLN. La défense des bars à chichas est probablement pour lui une manière de revivre de vieilles batailles et de les poursuivre dans une France transformée.

L’autre pan de la contre-attaque de l’UPN est plus technique. Le syndicat, par l’entremise de l’avocat Amaury Sonet, a déposé un recours en annulation du décret auprès du premier ministre. L’UPN est déterminée à aller « au bout », c’est-à-dire jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg.

Antoine Menusie

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