Une douzaine de feuilles sont placardées à l’entrée du groupe scolaire Anatole France à Saint-Denis. « Notre quartier va subir des transformations profondes et ce projet autoroutier, dans son format actuel, mettra en danger et la sécurité de nos enfants », y dénonce l’association de parents d’élèves, FCPE Pleyel. Au-dessus, une constellation de cartes et de schémas détail les contours du projet.

L’État, par l’intermédiaire de la Direction des routes d’Île-de-France (DIRIF), est en train de mettre en place un échangeur autoroutier qui desservira les autoroutes A86 et A1. L’A86 passera, sur le surplomb d’un talus, à 300 mètres des écoles primaire et maternelle du groupe scolaire. À une dizaine de mètres de l’entrée de l’école, la rue barrée donne directement sur le chantier.

En observant les schémas, on comprend qu’à la fin des travaux, le groupe scolaire va se retrouver enclavé dans un périmètre de 200 mètres de côtés. Un triangle, presque équilatéral, formé par l’A86 et deux rues qui serviront d’accès et de desserte pour l’axe Autoroutier.

« Ça fait 4 ans qu’on se bat contre ça », s’insurge Hamid, parent élu du groupe scolaire et administrateur a la FCPE 93. « On se rend compte que deux bretelles, à 50 et 120 mètres, sont reliées à Anatole France. Ça fait un triangle qui est en fait un rond-point branché à six bretelles », décrit-il. Selon les estimations évoquées dans une enquête publique, l’afflux de voitures autour des écoles va considérablement augmenter. « On va avoir, 13 à 14 000 véhicules par jour côté maternelle et 12 à 13 000 côté élémentaire », dénombre Hamid.

Les Jeux Olympiques et Paralympiques en catalyseur

En réalité, le projet est « dans les cartons » depuis au moins 2012, comme le reconnaissait le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, sur le plateau de C Politique en janvier 2022. Mais, à l’époque, les subventions ne suivent pas, impossible d’entreprendre le chantier. En 2017, l’attribution des Jeux Olympiques à la ville de Paris rebat les cartes. Il est décidé d’installer le village des athlètes sur trois communes : Saint-Ouen, l’Île-Saint-Denis et Saint-Denis, quartier Pleyel. L’installation accueillera 23 500 sportifs ainsi que leur staff pendant les Jeux.

L’échangeur autoroutier tombe à pic. Il permettra de faciliter l’accès du village des athlètes et du méga-hôtel en construction dans l’ancienne tour Pleyel, vers le Stade de France et le nouveau centre aquatique via l’A86. Les JO servent de catalyseur, le chantier est lancé et financé à 100 % par la Solidéo (Société de livraison des ouvrages olympiques).

Une mobilisation citoyenne face au risque sanitaire

Le flux ininterrompu de véhicules représente un « grave risque sanitaire » pour les enfants du groupe scolaire, explique Hamid. Suite à un combat des parents d’élèves et d’un collectif d’habitants du quartier, la Dirif et Plaine commune ont fait installer une station de contrôle de la qualité de l’air dans la cour de l’école. « Mais cette station aurait dû être installée devant les fenêtres, à l’extérieur des bâtiments, là où se trouve la source de pollution », avance Hamid. Pour lui, la station dans la cour entourée des bâtiments de l’école relèvera un taux de pollution moindre.

C’est pourquoi Respire, association nationale pour l’amélioration de la qualité de l’air, a installé ses propres capteurs de pollution. Placés à différents endroits du quartier, ils donneront une indication du taux de pollution « pendant et après le chantier ». Respire s’est fait connaître par des combats médiatiques autour de la qualité de l’air dans les écoles d’Île-de-France dont elle a établi une carte des établissements les plus exposés.

Le constat est alarmant. « Un membre de notre conseil scientifique, Marc Lavielle, qui est également professeur à polytechnique, a analysé les données, explique Tony Renucci, directeur de l’association. Ça nous a permis de voir qu’il y avait des relevés 5 fois supérieures aux recommandations de l’OMS sur les particules fines. »  Et ce, alors même que l’échangeur n’est pas encore fonctionnel.

Le groupe scolaire exemple « d’injustice sociale relative à l’exposition à la pollution de l’air »

Pour les enfants du groupe scolaire Anatole France, le problème est d’autant plus inquiétant qu’à leur âge, ils sont plus sensibles à la pollution. « Ils sont plus petits, plus proches des pots d’échappement, ils respirent plus vite, leurs organes ne sont pas encore développés. Les conséquences sont délétères pour leur santé », détaille Tony Renucci, dont l’association compte dans ses rangs des pneumologues. «  Ça peut entraîner des problèmes respiratoires, des problèmes cardiovasculaires, ça s’attaque au cerveau, ça influe sur le développement de l’enfant », liste-t-il.

Dans un rapport publié en octobre 2021, l’Unicef et le Réseau Action Climat alertent sur l’exposition des enfants à l’air pollué. Dedans, le groupe scolaire Anatole-France est cité en exemple « d’injustice sociale relative à l’exposition à la pollution de l’air ». Le chantier est un temps suspendu par la justice administrative en mai 2020. Les mesures de protection pour les enfants sont jugées insuffisantes. Mais, en octobre de la même année, le recours des habitants est finalement rejeté en appel et les travaux reprennent de plus belle.

La tour Pleyel abritera 700 chambres d’hôtel 3 et 4 étoiles, avec une piscine au sommet.

Une rue pavillonnaire également prise en étau

Les élèves du groupe scolaire ne seront pas les seuls affectés par la pollution de l’échangeur. Selon l’INSEE, le tiers de la population de la commune fait partie des tranches d’âge les plus sensibles à la pollution atmosphérique, c’est-à-dire les moins de 15 ans et les plus de 65.

La rue du Poirée, petite allée de pavillons mitoyens aux trottoirs étroits, est coincée entre l’école et l’A86. Rosa et Marc vivent à l’extrémité de la rue, juste à côté des travaux. Marc est même né ici. Il a vu le quartier se transformer dans sa profondeur. « À l’époque, il n’y avait même pas l’A86, c’était un quartier ouvrier avec des usines et des logements ouvriers », se souvient-il.

Mais, en 1993, le “super-périphérique parisien”  est venu défigurer la ville et apporter son lot de nuisances. L’arrière de la maison de Rosa et Marc donne directement sur le talus abrupt qui monte à l’Autoroute. Seul point positif pour les habitants, ce talus est un mini écosystème densément végétalisé qui fait office de barrière naturelle à la pollution. 

« Il y a des oiseaux, des hérissons, de l’humidité, ça permet de rendre l’endroit vivable », observe Marc, qui a même installé des ruches en bas du talus. Sauf que le projet d’urbanisation prévoit de casser le talus et donc la végétation, pour y installer un chemin pour les piétons qui passerait au ras des maisons.

Une congestion annoncée du quartier

Dans la rue, un voisin de Rosa et Marc rentre du travail. En sortant de sa voiture, il explique que depuis le début des travaux, le passage de voitures dans cette rue étroite a largement augmenté malgré l’accès réservé aux riverains. La pollution et la poussière du chantier viennent aussi perturber leur quotidien. Son enfant en bas âge vient de faire une bronchiolite. « Les enfants ont le rhume en permanence à cause du chantier », explique-t-il.

En héritage des Jeux-Olympiques, les riverains auront le droit à 6 000 nouveaux voisins avec la reconversion du village des athlètes… et une congestion annoncée de tout le quartier Pleyel. « La circulation va être congestionnée de Saint-Ouen à Porte de Paris », enrage Hamir Ouidir. Une crainte corroborée par une source à la mairie de Saint-Denis, « tout le monde est au courant ». L’échangeur ne va pas fluidifier la circulation, bien au contraire. Et, les enfants du groupe scolaire Anatole France seront les premiers à en subir les conséquences.

Névil Gagnepain

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