Article initialement publié le 5 mai 2021 

Pratique et conscience. Le 14 de la rue de l’épine prolongée à Bagnolet en Seine-Saint-Denis abrite un projet inouï. Verdragon sera la première maison d’écologie populaire de France. Le bail de Verdragon, lieu pensé par le mouvement écologiste Alternatiba et le collectif syndicaliste Front de Mères, a été signé il y a deux semaines. Des bénévoles s’activent pour donner aux locaux de l’ancien centre social Toffoletti, une nouvelle vie avant son ouverture au public.

Sur deux étages et 963m2, Verdragon – la maison de l’écologie, se veut être la concrétisation d’une pensée écologique, politique et citoyenne. L’équipe organisatrice souhaite aborder la cause du climat grave et urgente, par une pédagogie active, ludique et bienveillante. « A Alternatiba, on aime dire que la pratique crée la conscience », illustre Gabriel Mazzolini.

La maison écologique Verdragon située en plein milieu de Bagnolet, au 14 rue de l’épine prolongée à Bagnolet.

Un lieu commun pour deux entités différentes

Un lieu partagé entre deux entités différentes. Fondé en 2013, Alternatiba est un mouvement citoyen, créé autour de réseaux locaux, pour le climat, qui encadre notamment la Marche pour le Climat (et fait de l’accompagnement d’autres organisations écologistes). Le syndicat de parents d’élèves Front de Mères, créé en 2016 se définit comme un réseau chargé de donner une résonance nationale aux combats menés par les collectifs de parents au niveau local, et notamment dans les quartiers populaires.

À Bagnolet, chacun des deux mouvements pourra exercer ses activités en plus du projet commun. Les engagés voient les choses en grand: décloisonner, décorer, aménager de nouveaux espaces. À Verdragon on imagine déjà des conférences, des ateliers, des débats, une bibliothèque, des temps calmes. La salle de danse restera.

Front De Mères dévoile ses projets d’ateliers danse, « pour permettre aux mères de famille d’avoir un autre regard sur l’activité physique et sur leurs corps. » L’inauguration, prévue le 15 mai prochain, promet d’être rythmée et festive. « On va organiser un braquage », lance Fatima Ouassak, porte-parole de Front de Mères.

On voulait un nom qui parle aux quartiers populaires.


« Soyez l’étincelle » : Alternatiba allié au front de mères va tenter de raviver un lieu de débats, de création et de proposition politique. 

Le nom du site a été source de longues réflexions. « On voulait un nom qui parle aux quartiers populaires. Le dragon est présent dans les mangas, que consomment les jeunes des quartiers populaires. » relate Fatima Ouassak. La cofondatrice de Front de Mères dévoile que l’enjeu symbolique du nom est fort. « Le dragon n’est pas genré. Il n’existe pas, ça ouvre le champ des possibles. C’est un symbole de la puissance politique, mais aussi une figure fantastique puissante. » Gabriel Mazzolini met en lumière une roche appelée verredragon de la série Game Of Thrones. Il s’agirait du seul matériau pouvant permettre aux empires de vaincre leurs ennemis (les marcheurs blancs), dans un contexte faisant référence aux changements climatiques selon certaines théories.

Fatima Ouassak, Elodie Nace, et Gabriel Mazzolini devant les locaux de Verdragon.

L’alimentation au coeur des préoccupations politiques

La nourriture sera une thématique principale de ce projet d’écologie populaire. La cantine et les ateliers cuisine représenteront donc des enjeux centraux à Verdragon. Les objectifs sont multiples : créer du partage à travers des recettes, se rapprocher de la nature, transmettre un héritage culinaire, créer un point de ralliement, mais surtout conscientiser les habitants autour des enjeux alimentaires et environnementaux. Le front de mères s’était mobilisé en 2017 pour que les enfants des écoles de Bagnolet aient accès à des repas végétariens dans les cantines.

Dans les quartiers populaires, nous sommes entravés dès lors que nous souhaitons nous mobiliser politiquement. 

« Concernant la conscientisation autour de la nourriture, il y a déjà un travail mené avec les enfants par Front de Mères. Seulement, nous n’avions pas de lieu. Dans les quartiers populaires, nous sommes entravés dès lors que nous souhaitons nous mobiliser politiquement. » dénonce Fatima Ouassak.

Par ailleurs, Front de Mères et Alternatiba ont créé l’AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) de Verdragon, en partenariat avec une maraîchère. Ce mode de consommation, selon Fatima Ouassak, reste souvent éloigné des quartiers populaires. La militante souhaite que les quartiers puissent se les approprier, manger mieux, moins cher et local.

Plus de 900 mètres carré encore vides pour le moment, en attendant une installation pour l’inauguration.

En bref, pour l’activiste, l’AMAP est  un dispositif qui peut participer à montrer qu’un autre système est possible. Car Verdragon, à travers sa mission sociale dans la continuité du centre Toffoletti, se veut profondément politique. Le mouvement Alternatiba qui souhaite sensibiliser le maximum de personnes à l’écologie, pense trouver résonance au sein des quartiers populaires, directement impactés par les problématiques environnementales.  Pour autant Verdragon n’a pas la prétention de « vouloir civiliser les gens des quartiers populaires » sur ces questions environnementales, éclaire Fatima Ouassak. Pour la militante, les luttes y sont déjà présentes.

Convergence des luttes dans une ville de résistance

L’emplacement de Verdragon rend d’autant plus fort son message politique.  Situé au sein du quartier de la Noue, à  la lisière de Montreuil, en face d’un lycée et d’un parc, le Verdragon semble baigner dans des symboles qui renforcent sa stature. « C’est aussi l’aboutissement d’un travail militant de 30 ou 40 ans de lutte à Bagnolet. Mais aussi les luttes CGT, et communistes. Le 93 de manière générale est un lieu de résistance car il y a plus d’inégalités », relate Fatima Ouassak.

La militante se réjouit de l’emplacement du lieu, elle qui porte Front de Mères à Bagnolet. Elle dénonce régulièrement l’entrave à l’accès à des locaux pour pouvoir s’organiser. Cette alliance avec Alternatiba représente une « opportunité en or », d’autant plus que les deux entités se retrouvent dans des combats de justice et de dignité. « Front de Mères est né sur la question de la cantine, pas sur l’écologie mais on y est arrivés très vite. On est partis d’une question quotidienne d’inégalité et de justice. »

Des salles de réunion, de débats, ou les universitaires et engagés sur le terrain seront invités à discuter.

C’est sur ces termes d’égalité et de justice que les causes environnementales et sociales se rejoignent. L’équipe partage une vision commune. « On remarque que l’écologie est l’une des principales préoccupations des Français mais les catégories sociales mobilisées sont limitées aux classes moyennes des grandes villes. La cause écologique concerne tout le monde. Nous ne sommes pas tous égaux. Les quartiers populaires sont les premiers concernés, ils sont ceux les plus touchés par la pollution » affirme Gabriel Mazzolini. 

Elodie Nace, porte-parole d’Alternatiba explique que « la cause écologiste a connu un tournant en 2018 avec la marche pour le climat. On l’a pris à bras le corps pour que ce ne soit pas  que l’illusion d’un grand rassemblement spontané. On souhaite une vraie politisation du sujet. » « Il y a quelque chose à faire vis-à-vis de la justice et de la jeunesse », complète Fatima Ouassak. L’équipe explique qu’une réflexion a été faite autour de la mobilisation de génération Adama, et de génération climat. « Nous avons dû reporter nos actions avec le comité Justice pour Adama à cause du Covid.  On ne se laisse pas enfermer dans des cultures politiques. Ici c’est vraiment un lieu d’expérimentation », affirme Fatima Ouassak.

Des ambitions scientifiques et internationales

« On voudrait inviter des  philosophes, des scientifiques, des experts et les confronter », explique Elodie Nace, porte-parole d’Alternatiba. « Nous avons également une prétention scientifique. Nous voulons produire de la matière sur l’écologie populaire. On va tester, voir ce qui fonctionne ou pas et pourquoi », complète Fatima Ouassak.

Trois temps forts rythmeront la programmation du mois de mai qui compte révéler bien des surprises (si la pandémie le permet) : le Front de mai qui se déroulera pendant tout le mois, la marche de l’Après le 9 mai, et les festivités du 15 mai. En attendant, dans un premier temps les équipes comptent sur le crowdfunding pour mener à bien ce projet innovant qui s’est concrétisé il y a un an, afin que les habitants viennent découvrir et braquer le Verdragon.

Amina Lahmar 

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