Le département s’engage à anéantir le Sida d’ici à 2030. Une sacrée dose d’ambition pour Stéphane Troussel, président (PS) du conseil départemental, qui veut faire de la Seine-Saint-Denis le premier territoire en nombre de dépistages exercés et de mises sous traitements. Si Paris est le premier foyer de contamination du VIH en France, avec 15% des nouvelles contaminations, le 93 se classe juste derrière avec 6% des contaminations métropolitaines en 2018. Selon Stéphane Troussel, « ce chiffre s’explique par la part importante des personnes originaires d’Afrique subsaharienne, où le virus se propage plus facilement, et dont les primo-arrivants n’ont pas un accès aux soins facilité. Les travailleurs du sexe sont aussi des personnes particulièrement touchées. Et puis il y a l’homophobie, parfois plus probante dans les diasporas africaines, dont la conséquence est l’isolement, et donc l’isolement aux soins souvent par honte. »

Alors que « Paris sans sida », programme de la mairie de Paris lancé il y a quatre ans, donne de premiers résultats positifs avec une baisse de 20% des nouvelles contaminations en 2018, la Seine-Saint-Denis devient le second laboratoire pour une campagne de cette ampleur. Pourtant, les deux territoires ne sont pas comparables : quand 248 médecins sont disponibles à Paris pour 100 000 habitants, il y en a deux fois mois (115) en Seine-Saint-Denis. Cumulées à l’enclavement territorial et à la précarité, ces données font du département un véritable désert médical. Le département va donc devoir mettre en œuvre une stratégie différente de celle de la capitale.

A Paris, celle-ci a pourtant apporté du positif, comme l’expliquaient les acteurs concernés à l’occasion de la journée mondiale contre le Sida, le 1er décembre dernier. « Le nombre des nouvelles contaminations a baissé de 22% à Paris entre 2017 et 2018 chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), saluait par exemple Cédric Daniel, président de AIDES Ile-de-France. Ça frémit mais ce n’est pas encore drastique. » L’ONUSIDA a fixé, dès 2014, un objectif dit du « 90-90-90 » : diagnostiquer 90% de séropositifs, mettre sous antirétroviraux 90% des diagnostiqués pour que 90% d’entre eux présentent une charge virale indétectable.

La recherche scientifique a réalisé un immense bond cette dernière décennie et éveille enfin l’espoir de venir complètement à bout du VIH. Grâce aux antirétroviraux, le virus (VIH) ne peut non seulement plus se développer en syndrome (Sida), mais est également intransmissible. On dit alors des séropositifs sous traitement qu’ils sont « indétectables ». De même, la Prep (prophylaxie pré-exposition), est un médicament préventif empêchant toute transmission du VIH même dans le cas d’un rapport non protégé.

Reste à faire connaître ces avancées et ces solutions. « Il faut distinguer les HSH français qui ont accès aux moyens de prévention, au dépistage et à l’information, des HSH nés à l’étranger, dont beaucoup ont découvert leur séropositivité en France, et pour qui les contaminations augmentent, éclaire ainsi Cédric Daniel. Toute une partie de la population ignore par exemple que la Prep existe ! Il faut donc aller à la recherche des HSH nés à l’étranger, et vers toutes les populations éloignées des circuits de soin et de la prévention. »

Ce sera un des enjeux majeurs de l’élargissement du dispositif à la Seine-Saint-Denis. Eve Plenel participe au comité stratégique de « Seine-Saint-Denis sans SIDA » après avoir été directrice du dispositif parisien.  « Nous sommes un outil de mise en commun des forces stratégiques, affirme-t-elle. Le 93 est une grosse machine avec des budgets importants mais aussi une grande précarité. On ne va pas fonctionner ici comme à Paris où un résident du 19e arrondissement par exemple a le choix entre 3 hôpitaux de proximité. »

Un 93 plein de ressources

Mais le territoire séquano-dyonisien a aussi des ressources, à l’instar de son important tissu médico-social et associatif. Le département compte 110 points d’accueil CDSP (Centres départementaux de prévention santé), 5 antennes CeGIDD (Centre gratuit de dépistage et diagnostic), des maisons familiales, des antennes jeunesse…  La stratégie se portera, autant que faire se peut, hors les murs : « On connaît bien les assos de quartier avec qui on travaille depuis longtemps : l’Escale à Aubervilliers, Bamesso et ses amis, la Marmite, le COMEDE, Afrique Avenir, Médecins du Monde… Notre objectif est d’agir comme un coordinateur de toutes ces forces. AIDES a par exemple l’habitude de faire des maraudes dans les lieux de drague ou de prostitution, les CeGGID vont également mener des actions hors les murs pour s’approcher des populations vulnérables. On doit impérativement raccrocher ces personnes vers l’offre de soins », insiste Eve Plenel. Il s’agit également de mieux former les médecins libéraux afin qu’ils incitent davantage au test VIH et dirigent les patients cibles (HSH, diaspora africaine…) vers les protocoles Prep.

La feuille de route du département établie de 2020 à 2030 se structure en 4 axes : prévention, dépistages, information et étude. « Nous devons diffuser largement la Prep au-delà des services de maladies infectieuses en hôpital, détaille Stéphane Troussel. Nous devons également diversifier l’offre de dépistages et accentuer les TROD, ces tests qui permettent de connaître en 30 minutes son statut sérologique. On va ensuite lancer les tests gratuits sans ordonnance dans les laboratoires comme c’est le cas à Paris depuis le mois de juin. Nous mutualisons les outils d’information auprès des populations cibles dont nous devons mieux connaître les comportements de part et d’autre du périphérique. »

Les premiers moyens budgétaires (34 000 euros) ont été mis sur la table en début d’année, d’abord pour la campagne d’affichage et le soutien en personnel et formation dans les CeGGID où « nous devons à tout prix être davantage gay-friendly », admet le président du CD. En termes de communication, Eve Plenel dit « miser sur le côté mass media » explique Eve Plenel. « Pour atteindre les populations cibles, on n’hésite pas à se mettre sur les applis de rencontre type Grindr ou Romeo, on utilise les algorithmes de Google et Facebook pour les atteindre sur les sites qu’ils consultent, assume-t-elle. Si on a déjà entendu parler deux ou trois fois de la Prep, on est plus enclin à suivre le protocole, n’oublions pas que les gays parisiens ont eu besoin d’un peu de temps avant de s’y mettre… »

Pour ce qui est de la campagne d’affichage, trois visuels insistent sur le dépistage et le préservatif mais… la Prep n’y figure pas, alors que c’est un des piliers de l’innovation et de l’offre de prévention. « Nos visuels sont encore trop classiques, admet M. Troussel, mais c’est la première fois depuis longtemps que le département mène une telle campagne contre le VIH. Vous avez raison, il faut davantage insister sur la Prep, d’autant que c’est le dispositif qui mérite le plus d’être connu. On corrigera le tir pour l’année prochaine. » On espère donc que la Prep s’affichera bien en Seine-Saint-Denis en 2020. En cette nouvelle année, une web-série poindra d’abord à l’affiche. Elle met en scène des situations de risques et de prévention incarnées par la diaspora africaine. Elle débarque en janvier et s’intitule « Les bonnes nouvelles ».

Antoine COUTIN

Crédit photo : Marie PASTOR

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