Enlisé dans une crise sociale et démocratique, le gouvernement a choisi de reporter l’examen du projet de loi Immigration qui devait être examiné à partir du 28 mars au Sénat. Emmanuel Macron a d’abord annoncé que le projet de loi serait « réagencé » avant de réaffirmer qu’il serait examiné « en un seul texte ».

L’examen de la réforme des retraites l’a montré, l’exécutif ne bénéficie que d’une majorité toute relative au Parlement, ce qui explique ces atermoiements. Mais du côté des associations et des travailleurs sans-papiers, les inquiétudes restent les mêmes.

Une des mesures phares du texte est l’obtention de titre de séjour pour les travailleurs étrangers employés dans des secteurs en tension. Ce titre de séjour dit « métiers en tension », valable un an, serait conditionné à la résidence sur le territoire français depuis trois ans et à la justification d’au moins huit fiches de paie.

Mais en arrivant en France, beaucoup de travailleurs sont contraints de travailler sous une autre identité. Une situation qui ne leur permet pas de cotiser et de prouver le travail qu’ils ont effectué.

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Face à cette situation, le collectif de sans-papiers du 17e arrondissement aide ceux qui se retrouvent bloqués dans des démarches administratives longues. Dans ce petit local, ils sont plusieurs à attendre leur tour. Sur chaque visage, l’espoir et la fatigue face aux démarches interminables et lisibles. Tous bénéficient d’un accompagnement pour permettre leur régularisation.

L’attente de la régularisation et l’angoisse quotidienne

Certains attendent depuis des mois, voire des années, d’autres sont simplement là pour soutenir ceux qui sont confrontés à cette situation. Jacques est l’un d’entre eux. Arrivé de Côte d’Ivoire en 2016, il a été agent d’entretien avant d’être régularisé en septembre. Lui aussi a été aidé par le collectif et souhaite rendre la pareille : « Je suis là pour aider les autres maintenant que j’ai mes papiers. La lutte continue toujours, il ne faut pas lâcher. »

Depuis cinq ans, Fanta lutte pour être régularisée en parallèle de son emploi dans la garde d’enfants. Cette Sénégalaise compte sur le collectif pour avancer dans ces démarches. Pour ça, elle transfère toutes ces fiches de paie au collectif, en espérant être régularisée. « C’est difficile pour moi de laisser ma famille et d’attendre cinq ans, voire plus, car je ne sais pas quand j’aurais des papiers », témoigne-t-elle.

On a l’impression de ne pas exister. On a tout le temps peur d’être contrôlé

Employée de ménage, Nabilla a déposé son dossier au collectif il y a quelques mois pour pouvoir être aidée. En attendant, elle doit vivre avec la peur de recevoir une OQTF (obligation de quitter le territoire). « On a l’impression de ne pas exister. On a tout le temps peur d’être contrôlé. » Le responsable du collectif, Abderrahmane, abonde : « Nous sommes là depuis 2 ans, 10 ans, 15 ans, on paie nos impôts, mais on n’a pas les mêmes droits parce qu’on n’a pas les papiers. »

Avec ce collectif, il compte bien remédier à la situation. Employé dans l’hôtellerie depuis sa régularisation, il a enchaîné plusieurs emplois précaires avant de stabiliser sa situation. « Au début, c’était compliqué, j’ai fait du ménage, j’ai travaillé à l’hôpital. » Arrivé en France en 2016, ce Mauritanien ne connaît que trop bien la situation des sans-papiers présents au local. « Il y en a qui ne travaille pas, il y en a qui travaille avec une fausse identité, d’autres qui travaillent au noir… Le problème, c’est qu’une fois arrivé à la préfecture, il faut des fiches de paie. » 

Depuis qu’il est arrivé en France en 2015, Sidibe* a été agent d’entretien en intérim grâce à la carte d’identité de son cousin. Toutes les fins de mois, son salaire était versé sur le compte de son cousin qui lui donnait la somme par la suite. Pour travailler en son nom et obtenir des fiches de paie, il a acheté une fausse carte d’identité. Grâce à elle, il a obtenu un contrat en CDI dans la restauration en septembre.

Un emploi qu’il effectue en plus de son métier dans le nettoyage. Pour avoir un réel document d’identité, Sidibe compte sur le collectif. Une situation risquée en attendant d’être régularisé. « Si mes employeurs savent que c’est une fausse carte d’identité, ils peuvent arrêter mon contrat. »

« Ce collectif pour moi, c’est une porte de sortie »

Timera a, lui, travaillé sous l’identité de trois personnes depuis son arrivée en France. Arrivé en mars 2019, il est agent d’entretien grâce aux documents d’un de ses amis. « Je sais que c’est interdit, mais je le fais pour soutenir ma famille qui est derrière moi. En plus de ça, je dois assurer le transport et mon logement », explique-t-il.

Une position délicate qui le place à la merci des personnes qui détiennent les papiers d’identité. « Le problème, c’est que l’argent va sur leurs comptes à la fin du mois. Parois, ils sont à découvert et je ne peux rien dire sinon ils reprendront leurs papiers. » 

Timera a déjà attendu jusqu’à sept mois avant de recevoir son argent. Certains employeurs ont aussi profité de cette situation. « Tu peux être confronté à des patrons qui font des magouilles, mais tu ne peux rien dire. » Pour y remédier, il s’appuie sur l’aide du collectif qui gardent tous les documents qui peuvent faire office de preuves : « Si tu viens d’arriver et que tu ne connais rien, tu peux t’appuyer sur des associations comme celle-là. Ce collectif pour moi, c’est une porte de sortie. »

Naïma Dieunou 

*Le prénom a été modifié

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