La loi. Rien que la loi ? Avec ses principes universels, ou soi-disant tels, la République française a longtemps fait l’autruche face aux changements provoqués par son immigration. Les problèmes se règleraient d’eux-mêmes par l’opération de la sainte Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 

Mais à force de « claques dans la gueule » – les émeutes de 2005 étant la plus forte –, on s’est aperçu qu’il faudrait aider à l’ouvrage. Mais comment ? C’est là que tout le monde n’est pas d’accord, comme on a pu le constater lundi lors d’un débat animé par Nordine Nabili du Bondy Blog, qui posait ces questions : « Quels outils pour instaurer une réelle diversité ? Faut-il changer la Constitution pour rendre licites les outils favorisant la diversité ? »

Blandine Kriegel, philosophe et présidente du Haut Conseil à l’intégration (HCI), s’en remet à la loi. Rien qu’à la loi. Mais attention, prévient-elle, la « volonté générale peut errer », et ceux qui croient agir en son nom commettent parfois des crimes. Ou sont à côté des réalités. Aujourd’hui, face à sa « diversité », « la France erre », estime Blandine Kriegel. « Notre problème n’est pas de changer la loi mais de l’appliquer », affirme-t-elle. Pas besoin d’instaurer des quotas, donc, comme l’ont fait, un temps avec force, les Etats-Unis. Cela dit, « nous devons en France, nous inspirer des lois américaines. De la même façon que Martin Luther King en a appelé au pacte fondamental des Américains, nous devons rappeler la promesse de notre pacte républicain », contenu dans la Déclaration de 1789.

Patrick Lozès, le président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), est d’avis que la bonne volonté ne suffira pas. Il entend promouvoir le « comptage statistique de la diversité », non dans un esprit ethnique ou communautariste, précise-t-il, mais au nom même des principes de 1789. Le comptage, une dérogation nécessaire à la doxa républicaine, en quelque sorte, mais pour le bien de celle-ci.

Le président du CRAN puise à son tour dans le legs du grand Martin Luther King, mais pour en tirer le contraire de Blandine Kriegel : « Quarante ans de lutte contre les discriminations [aux Etats-Unis] valent peut-être mieux que 160 ans d’incantation [en France, depuis la révolution de 1848 et l’abolition de l’esclavage]. » Patrick Lozès a cette formule choc : « Dans la piscine républicaine, quand certains se noient, il n’est pas normal qu’on leur dise que la République ne peut régler que la température de l’eau. »

Edouard Pellet, le délégué « diversité » de France Télévisions, est également favorable à l’instauration d’instruments qui permettraient de mesurer le taux de pénétration des minorités visibles dans le monde du travail en France. Avec les moyens qui sont les siens, il dit promouvoir la diversité au sein de son entreprise. Cela se voit à l’antenne, avec des animateurs tels que Daniel Picouly, par exemple. Et pour éviter la « stigmatisation », les chaînes du groupe ne mentionnent plus l’origine ethnique des personnes dans les faits divers. Enfin, tous les quinze jours, une délégation de France Télévisions se rend dans un lycée pour y parler de diversité et de médias.

Autrefois considérée comme l’instrument par excellence de l’intégration républicaine, socialement parlant, l’armée poursuit sa mission intégratrice en engageant chaque année des militaires issues de l’immigration, dans une proportion plus grande comparée à la société dans son ensemble. C’est dire s’il n’y a pas de problème de sous-représentation de la diversité dans ce secteur, estime le général Bernard Thorette, ex-chef d’état-major de l’armée de terre, aujourd’hui conseiller d’Etat. Pas de problème en apparence, sauf – et c’est préoccupant – au sommet de la hiérarchie militaire. « La question se pose avec Saint-Cyr, pourvoyeuse de l’élite des officiers de l’armée de terre. Il faudra ouvrir des écoles préparatoires au grade d’officier pour les jeunes de banlieue », affirme Bernard Thorette. « Comment un pays pourrait-il être défendu pas une armée qui ne lui ressemble pas ? », demande-t-il, la réponse étant contenue dans la question.

Le grand malheur de la France, tonne Claude Bébéar, le président de l’Institut Montaigne, président d’Axa et créateur de la charte de la diversité, ce sont ses 150 000 jeunes qui chaque année se retrouvent sans emploi. « Il faut faire des campagnes très fortes de lutte contre les discriminations », dit-il. Mais ne comptez pas sur Claude Bébéar pour vanter le modèle d’intégration des Etats-Unis, à propos duquel il parle de « haine pacifique ». « C’est un échec, tranche-t-il. Le meilleur moyen de mesurer le taux d’antiracisme, c’est de comptabiliser les mariages mixtes. Il y en a 3% aux Etats-Unis, 10% en France. » Mais bien sûr, la France a des progrès à faire. « Du temps de la colonisation, rappelle le président de l’Institut Montaigne, il y avait plus de députés noirs et maghrébins qu’aujourd’hui. C’est quand même incroyable. »

Antoine Menusier

Antoine Menusier

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