Harcèlement, violences physiques, insultes, confiscations et destructions de biens, dispersions… Les personnes exilées à Paris sont quotidiennement en proie à des violences perpétrées par les forces de l’ordre. Si ces agissements sont bien connus des acteurs du terrain, il semble régner une forme d’indifférence dans le débat public. Les hommes et les femmes qui en sont victimes, par peur de la police, se refusent généralement à porter plainte. Ce qui empêche d’avoir une visibilité claire et chiffrée à opposer aux pouvoirs publics pour faire évoluer les choses.

Le 23 novembre 2020, un épisode d’une violence inouïe se déroulait place de la République à Paris. Un campement de 500 tentes installé à la hâte sur la place de la République par des exilés épaulés par des soutiens associatifs était évacué manu militari. Exilé.es, journalistes et associatifs avaient reçu coups de matraques et gaz lacrymogènes. Trois ans plus tard, jour pour jour, le Collectif d’accès au droit (CAD), sort un rapport et passe au crible les exactions quasi quotidiennes des forces de l’ordre dans les rues de la capitale. Quarante-huit pages ponctuées de témoignages glaçants des premiers concernés.

Ce travail, loin d’être exhaustif et systématique, met en lumière une présence policière disproportionnée

« À ce jour, nous avons comptabilisé et documenté 448 témoignages de violences policières commises envers les personnes exilées entre 2015 et 2023. Ce travail, loin d’être exhaustif et systématique, met en lumière une présence policière disproportionnée, qui contrôle, harcèle, disperse et invisibilise les exilé.es », peut-on lire en préambule au rapport.

Pour étayer son dossier, le CAD a mené une enquête flash dans les 6 principaux lieux de campements en octobre et novembre 2023. Il en est ressorti que 79 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes de violences policières. Plus des trois quarts l’ont été à de multiples reprises.

La nécessité d’accompagner au mieux les personnes exilées victimes de violences policières

Le CAD, un observatoire “inter-organisations” des atteintes aux droits, du non-accueil et des violences policières commises à l’encontre des personnes exilées en “situation de rue à Paris”  voit le jour il y a un an. « On est un collectif de bénévoles qui se sont mis en tête de trouver un moyen de mieux accompagner les personnes qui subissent ses violences, explique Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde à Paris. On s’est demandé comment mieux les outiller sur leurs droits et les possibilités d’accompagnement. Comment trouver un médecin, un psy, un avocat. » 

Le non-recours des personnes exilées face aux violences policières fait loi. « Ils vont venir à plein de permanences administratives pour dire “ce matin, on nous a arraché nos couvertures, on a déchiré notre tente, on m’a dit “dégage d’en dessous du pont” alors qu’il pleut, mais sans porter plainte », constate Paul.

Il fait référence à ce sujet au travail du Sociologue Didier Fassin concernant les violences policières dans les quartiers populaires dans La force de l’ordre. « Il dit : “L’habitude de l’humiliation crée l’habitus de l’humilité” », cite l’associatif. Pour lui, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre ici. « Certain d’entre eux, ces violences, ils les subissent au quotidien et c’est devenu quelque chose de normal, qu’ils ont intégré. Ils ne se disent même plus que c’est quelque chose contre quoi ils peuvent lutter. »

On avait besoin d’objectiver les faits

C’est ce qui a poussé le collectif à créer le CAD, destiné à devenir une base d’archives de toutes ces violences policières et administratives et de s’en servir pour faire du plaidoyer afin de faire évoluer les pratiques. « On avait besoin d’objectiver les faits. Si on ne peut pas avoir de plaintes pour les opposer aux pouvoirs publics, il faut avoir des témoignages, des photos, des vidéos pour prouver le caractère systémique de ces violences », détaille Paul.

Instrument de gouvernance des populations exilées

Le rapport fait surtout état de l’aspect systémique de ces violences, avec en élément central, le bal des évacuations de campements, incessant depuis 2015 et le début de la dite “crise migratoire.” « Au bout de huit ans, on ne peut plus mobiliser ce terme de crise. Alors si les pouvoirs publics continuent à l’utiliser, c’est qu’il a une utilité », observe Camille Gardesse, Sociologue et urbaniste, coautrice du rapport.

En 2020, les campements de rue ne peuvent plus être uniquement considérés comme une crise

Dans l’ouvrage collectif L’exil à Paris 2015-2020 paru en 2022 (éditions l’œil d’or), la chercheuse expliquait déjà : « En 2020, les campements de rue ne peuvent plus être uniquement considérés comme une crise, ils doivent être appréhendés comme des instruments de gouvernements des populations exilés. » Trois ans plus tard, le continuum de la répression vient renforcer ce constat. « On est passé à un gouvernement dans l’urgence à un gouvernement par l’urgence », confirme-t-elle aujourd’hui.

Par « instruments de gouvernement des populations exilées », il faut entendre que ces violences “routinisées”, sont en fait une réponse politique des pouvoirs publics aux problématiques de non-accueil des personnes exilées. « Le rapport met à jour un certain nombre de faits, de modalités régulières qui sont en fait un répertoire d’action des forces de l’ordre », analyse Camille Gardesse.

Tout ce système policier est la traduction de la crainte de l’appel d’air

« Les pouvoirs publics, en charge des questions d’accueil, font intervenir la police et proposent une réponse sécuritaire à une question qui est complètement sociale », décrypte la sociologue. Pour cette dernière, le problème tient surtout au fait que l’État ne peut pas leur offrir d’hébergement alors qu’il est tenu de le faire.

« Tout ce système policier est la traduction de la crainte de l’appel d’air, martèle Paul Alauzy. On veut leur dire ici, vous êtes mal accueillis, ne venez pas. Pourtant, de nombreux travaux, notamment ceux de Camille Gardesse, démontent ce mythe. »

L’évolution dans le temps, l’inquiétude des Jeux olympiques

Dans l’exil à Paris, les auteurs établissaient une cartographie des principaux campements de personnes exilées dans la capitale et leur évolution géographique dans le temps. Une tendance claire entre 2015 et 2020, montrait un éloignement des campements du centre vers le nord de Paris, expulsion après expulsion, jusqu’à arriver à Saint-Denis et à Aubervilliers. Dans le rapport du CAD, de nouvelles cartographies poursuivent ce travail après 2020, et la tendance semble s’inverser, avec un retour des campements dans le nord-est parisien.

Pour Camille Gardesse, les causes du phénomène sont multifactorielles. Mais elles sont entre autres à lier à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Les expulsions à répétition de squats et de campements autour des futures installations olympiques montrent la volonté des pouvoirs publics de faire place nette, notamment autour de Saint-Denis, à un an de l’événement.

On sait déjà qu’il y aura des zones d’exclusion dans le nord est de Paris

À mesure que l’échéance approche, l’inquiétude se fait plus prégnante. « On sait déjà qu’il y aura des zones d’exclusion dans le nord est de Paris, qui correspondent aux lieux de vie actuels des personnes exilées, pointe Camille Gardesse. Mais ça se traduit aussi par des pertes de places d’hébergements d’urgences. D’ailleurs, ça ne concerne pas que les exilés, de manière générale ce sont les populations les plus précaires qui vont en pâtir », poursuit-elle.

De manière générale, elle craint que l’organisation des JOP ne fasse « qu’accentuer et accélérer ces mécaniques de violences et ces cycles de dispersions et d’évictions. » Même si les modalités d’actions à grande échelle sont toujours les mêmes. Il faut déconcentrer l’Île-de-France, en exclure certaines populations.

Des recommandations pour les pouvoirs publics et la société civile

Le rapport du CAD se conclut sur des recommandations faites aux autorités, mais aussi à la société civile pour enrayer ces mécaniques de violences et prendre en charge dignement ces problématiques. « On demande une vigilance collective populaire. Le CAD est un outil ressource pour tout le monde, que chaque citoyen puisse nous envoyer des témoignages, des vidéos, s’il est témoin de violences. C’est ce qui nous permettra de faire du plaidoyer pour faire avancer les choses », assure Paul Alauzy. 

Névil Gagnepain

Photo : Nnoman 

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