L’acte barbare de Mohamed Merah a détruit des familles, et a plongé le pays dans une angoisse collective insupportable. Rien ne peut justifier un tel passage à l’acte. Encore moins au nom d’une religion qui place l’intégrité humaine au dessus de toutes considérations. Les musulmans de France vont devoir faire le dos rond pendant la tempête qui s’annonce. Ils ne sont pas comptables du délire meurtrier de ce jeune. Ils en sont les dégâts collatéraux. Vouloir monter en épingle ce drame, à force de messages implicites, de sous-entendus sur l’islam et de la prétendue montée des tensions entre les communautés est une posture indigne et indécente. La lâcheté et l’inhumanité d’un jeune de 23 ans ne peuvent en aucun cas être le prétexte d’une mise à l’index de toute une partie de la population française.

Espérons que le coup de l’après septembre 2001 ne sera pas rejoué par les médias et autres propagandistes professionnels. L’histoire se répète, nous pouvons tirer sereinement les enseignements des dérapages contrôlés d’alors. La tentation est grande de convoquer clichés, raccourcis et analyses hasardeuses pour faire de ce cas de figure un étendard afin de valider des thèses idéologiques à l’œuvre depuis quelques années dans le débat contemporain. Bien au contraire, la République grandirait si elle organise les conditions d’une réflexion politique ambitieuse sur le vivre-ensemble. A commencer par les candidats à l’élection présidentielle, dont le rôle est primordial pour faire baisser les tensions et éviter les amalgames. Aujourd’hui, les grandes figures intellectuelles du pays, les hommes d’Etat, les leaders d’opinion doivent monter au créneau, parce que l’heure est grave. L’après choc de Toulouse ne peut pas être le champ de bataille des petits moussaillons à la recherche de parts de marché électoral ou des projecteurs des studios de télévision.

Cette tragédie marque un tournant dans la campagne présidentielle. Aussitôt les corps enterrés et le principal suspect mis hors d’état de nuire, les snipers des candidats se sont remis à l’ouvrage. Les uns voulant capitaliser sur l’émotion collective, les autres décidés à ne pas perdre un centimètre de terrain de peur de les laisser jouer solo. Chasser le naturel, il revient au galop. En réalité, il n’y a pas eu de trêve. Depuis lundi soir, ce faux stand-by politique suivi en temps réel par des cohortes de journalistes, des directs-live du matin au soir, une avalanche de tweets et de commentaires est un genre nouveau auquel nous devons nous habituer : la guérilla médiatique de l’instantané. Une super production de la société des écrans et de l’information en temps réel basée sur une flambée de petites phrases, des images spectaculaires, un peu de mise en scène, le tout annonçant un épilogue en forme de feu d’artifices. Autrement dit, place à l’émotion, rien que l’émotion. Toute tentative de compréhension est vaine, voire interdite, sous prétexte de sacro-sainte unité nationale. Un patriot act à la française, en quelque sorte.

Et pourtant, il faudra bien ralentir la cadence pour analyser ce que nous venons de vivre. A titre personnel, je suis optimiste, la France est solide, ses institutions aussi. Sa jeunesse, dans les quartiers populaires et ailleurs, adhère aux valeurs républicaines. Cette jeunesse a besoin d’entendre qu’elle est légitime dans ce pays, qu’elle fait partie du rêve français. Une petite minorité violente et quelques cas isolés peuvent faire des dégâts lourds de conséquences et réduire à néant des années de militantisme politique et associatif. Mais ils ne peuvent rien contre une République dont la liberté, l’égalité et la fraternité sont les matrices. Pour peu que ces valeurs se matérialisent au quotidien et ne restent pas uniquement des postures morales.

Ce drame peut être un acte déclencheur d’une prise de conscience collective sur l’état réel de notre société. Un nouveau contrat social s’impose. Les pouvoirs publics doivent aider et promouvoir les acteurs engagés en faveur de la cohésion sociale. Ce sont des maillons indispensables pour poursuivre l’écriture du grand roman national, dont les politiques d’éducation et de lutte contre le chômage des jeunes sont devenues des éléments clés de la légitimité citoyenne.

Depuis quelques jours, le monde a braqué ses projecteurs sur la France. Nous lui devons une réponse digne de notre rang. Nous le devons, aussi et surtout, à la mémoire de toutes ces vies emportées par l’abjection terroriste.

Nordine Nabili

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