15h30, la sonnerie retentit. Devant le lycée Paul Éluard de Saint-Denis, les élèves sortent en trombe de l’établissement. Scène inhabituelle, la CPE du lycée grimpe sur un muret, munie d’un mégaphone, et scande : « So So So Solidarité avec Ouahiba et tous les sans-papiers ! » Il s’agit de Mona Ralies, CPE et bénévole au sein du collectif RESF (réseau éducation sans frontières), qui accompagne les élèves étrangers dans leurs démarches de régularisation.

Ce vendredi, Mona donne de la voix pour inciter les élèves à venir soutenir leur camarade Ouahiba M’barki. Lycéenne en terminale S, Ouahiba poursuit une scolarité studieuse, mais se retrouve aujourd’hui sous la menace d’une expulsion. En janvier de l’année dernière, la lycéenne a reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire français). « Un jour avant de recevoir ce courrier recommandé, j’avais un mauvais pressentiment. Je me souviendrai toujours du moment où j’ai ouvert cette lettre. Je n’y croyais pas », se remémore l’étudiante.

Manifestation dans les rues de Saint-Denis pour Ouahiba / ©ThidianeLouisfert

Étudier sous la menace d’une expulsion

Accompagnée d’un avocat, elle a contesté cette OQTF devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Dans son établissement, une cagnotte a été ouverte pour payer les frais de justice. Mais, le tribunal a rejeté sa demande le 30 novembre 2022 et elle a fait appel de cette décision. À ce jour, l’OQTF a été levée, mais sa situation n’est pas réglée pour autant.

Ouahiba doit recommencer ses démarches de régularisation auprès de la préfecture de Bobigny. Un retour à la case départ qui arrive au moment où elle prépare les premières épreuves du bac. La nouvelle procédure sera périlleuse, car la lycéenne risque de partir directement si un deuxième refus de titre de séjour lui est délivré.

La solidarité des camarades et des professeurs de Ouahiba

Au lycée, Ouahiba est apprécié de ses enseignants qui la décrive comme une élève appliquée. Plus tard, elle veut devenir chirurgienne. « Je veux être utile à la société », affirme-t-elle, simplement.

« Depuis l’année dernière, on est avec elle, on est allés au tribunal de Cergy et on a fait une lettre de soutien aux juges », témoigne Sabed, un des représentants des élèves.

Professeur de mathématique au lycée Paul Éluard, Mathieu a accompagné l’adolescente dans ses démarches. « Nous avons attendu près d’un an pour obtenir un rendez-vous à la préfecture du Val-d’Oise pour une demande de titre de séjour », pointe l’enseignant, lui aussi engagé à RESF. « Au début, on n’y arrivait pas, car la plateforme ne marchait pas, donc on a fait des captures d’écran pour prouver qu’elle était dans l’impossibilité de prendre un rendez-vous », expose-t-il.

Les camarades de Ouahiba devant la mairie de Saint-Denis / ©ThidianeLouisfert

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Devant le lycée, les camarades de Ouahiba brandissent pancartes et banderoles. « Le bac avec Ouahiba, sinon pas de bac », peut-on lire sur l’une d’entre elles. « Je suis émue, je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde pour moi », réagit-elle.

Au fil de sa scolarité, l’étudiante a noué des liens forts avec ses camarades. « Ouahiba et moi, on se connaît depuis l’année dernière et on a directement accroché », témoigne Safia. « Je l’aidais dans l’apprentissage du français et elle m’aidait en mathématiques », raconte son amie qui se bat aujourd’hui pour qu’elle « ait autant de droit que nous ». 

C’est une jeune fille qui travaille bien, c’est injuste ce qu’il lui arrive

La situation dans laquelle se retrouve Ouahiba est incompréhensible pour ces lycéens. Dans la foule, certains ne la connaissent pas, mais ont été touchés par son histoire « C’est une jeune fille qui travaille bien, c’est injuste ce qu’il lui arrive », estime Orianne, 17 ans, vêtue d’une veste noire.

L’indignation se ressent aussi dans le corps enseignant. « Les OQTF sont une aberration en général et en particulier quand ça touche des jeunes. J’accompagne également d’autres élèves en préfecture pour obtenir des régularisations et cette situation m’inquiète, car le nombre d’OQTF a explosé », observe Joséphine* enseignante d’histoire géographie.

Ouahiba et Sofia Boutrih, élue à la mairie de Saint-Denis / ©ThidianeLouisfert

Une cérémonie de marrainage pour soutenir l’étudiante

En cet après-midi, le cortège se dirige doucement vers la mairie où Ouahiba doit recevoir le marrainage d’une élue de la ville de Saint-Denis. La foule est joyeuse et quelques passants s’approchent, intrigués. « J’aime ce que font ces jeunes ! Ma mère n’a pas de papiers alors cette situation me touche », fait part Nathalie qui décide de se joindre au groupe.

Arrivé sur le parvis de la mairie, le groupe prend la pose devant les marches de l’édifice. Le marrainage a lieu dans la salle des mariages, un endroit emplie de solennité qui impressionne à première vue. Ce marrainage a bien sûr une dimension symbolique, c’est un soutien formel, mais l’élue s’engage aussi à soutenir la lycéenne dans ses démarches de régularisation.

Face à ses camarades et enseignants, Ouahiba rejoint l’élue dyonisienne, Sofia Boutrih. L’émotion affleure dans les discours, Ouahiba, dont les joues s’empourprent, lâche quelques larmes.

Alors que la cérémonie s’achève, ses camarades se pressent autour d’elle et la félicitent : « Bravo Ouahiba, ne lâche pas ! » À la sortie de la mairie, elle retrouve aussi ses professeurs. Ils lui proposent d’aller boire un café. C’est accompagné de toute cette équipe qu’elle quitte la mairie, soutenue comme toujours dans son nouveau combat.

Aïssata Soumaré

Photos : Thidiane Louisfert 

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