« Personne en situation régulière n’accepterait de telles conditions de travail ! ». C’est le cri de plusieurs des travailleurs sans-papiers de Chronopost qui, depuis quatre mois, tiennent le piquet de grève devant leur centre de tri d’Alfortville (Val-de-Marne).

Ces travailleurs font en 15 heures par semaine ce que nous faisions à l’époque en 39 heures.

Originaires du Mali, du Sénégal, de Guinée ou de Mauritanie, ils se sont installés devant les barrières de leur lieu de travail, ont installé des cabanes de fortune faites de palettes et des matériaux de récupération. Depuis le 7 décembre dernier, ces hommes tiennent le pavé, jour et nuit, parfois avec le soutien des associations de proximité. Leurs revendications sont multiples : réclamer des titres de séjour mais aussi dénoncer leurs conditions de travail précaires et l’exploitation à laquelle ils sont soumis.

Comprendre le conflit : Chronopost vs Derichebourg

Chronopost, filiale de la Poste sous-traite l’embauche de sa main-d’œuvre à l’entreprise d’intérim Derichebourg. Généralement embauchés sous une autre identité, compte tenu de leur situation administrative, ces travailleurs acceptent des contrats précaires, souvent d’une semaine, avec des horaires de nuit difficiles et des cadences folles.

C’est hypocrite. Ils savent qu’ils embauchent des sans-papiers.

« Ce système d’exploitation est pensé et réfléchi. Un employé ne peut pas être productif pendant 8 heures d’affilée. Alors on les fait travailler à une cadence infernale pendant 4 heures. On les essore puis quand ils sont cassés, on les remplace. Il faut liquider les coûts et pour ça il faut liquider les bonhommes ! (…) Ce boulot, je l’ai fait il y a de nombreuses années. Ces travailleurs font en 15 heures par semaine ce que nous faisions à l’époque en 39 heures », dénonce Jean Louis Graziani, syndicaliste Solidaire présent sur camp en soutien des grévistes.

Le conflit, amorcé cet hiver, s’inscrit dans la continuité du premier piquet de grève entrepris par les employés de Chronopost en juin 2019 et qui avait perduré jusqu’en janvier 2020. Les revendications de l’époque étaient similaires. Après de longs mois, cette bataille avait permis la régularisation de 27 travailleurs de la filiale de la Poste et de 46 autres sans-papiers les soutenant dans leur lutte et travaillant pour d’autres sociétés.

Mais la crise sanitaire est passée par là. Et ce sont aujourd’hui près de 130 travailleurs en demande de régularisation qui, eux, sont restés sur le bas-côté, malgré les promesses de la Préfecture d’examiner leurs demandes.

Nous, on exige des titres de séjours pour tous, pour lever le piquet ! C’est tout le monde ou rien.

De leur côté, lorsque les travailleurs réclament à leur employeur un document « de concordance » avec leur identité réelle pour leur permettre de demander leur régularisation en préfecture, ces derniers n’obtiennent pas de réponse de Derichebourg. «Pourtant certains travaillent ici depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est hypocrite. Ils savent qu’ils embauchent des sans-papiers. Moi j’ai cumulé plus de 53 contrats chez eux », s’indigne Aboubacar Dembele, porte-parole du mouvement des grévistes, qui a longtemps travaillé sur le site d’Alfortville avant de poursuivre : « Derichebourg propose des Cerfa pour la régularisation à seulement quelques uns d’entres nous.. Nous, on exige des titres de séjours pour tous, pour lever le piquet ! C’est tout le monde ou rien ».

Un élan de solidarité

Le 16 février dernier, six jeunes du foyer de l’Aide sociale à l’enfance de la Courneuve, âgés de 12 à 17 ans, débarquent sur le camp, aux alentours de 20 heures. Ils ont préparé une centaine de repas qu’ils sont venus distribuer aux grévistes. C’est la seconde fois que ces adolescents font le déplacement jusque dans le Val-de-Marne, pour apporter leur soutien aux travailleurs sans papiers en lutte. Parmi ces jeunes, certains sont arrivés sur le territoire en tant que MNA* (mineurs non accompagnés). À l’origine de cette initiative solidaire, Imène, une éducatrice mise en relation par l’association la Goutte du partage.

« Toute la journée les enfants ont préparé les repas, de la cuisine jusqu’au conditionnement et sont venus en soirée depuis la Courneuve pour le distribuer aux grévistes. J’ai l’habitude de les emmener participer à des maraudes pour les sans-abris sur Paris, mais là il y a une lutte sociale et c’est encore une autre dimension », précise l’éducatrice. De leur côté, les enfants sont enthousiastes à l’idée d’apporter leur aide. Ces gamins, originaires du Brésil, de Serbie, d’Egypte, d’Algérie sont ravis de l’initiative et ne cachent pas leur enthousiasme. Un moment de partage apprécié tant par les enfants que par les grévistes, émus par cet élan de solidarité.

Les traces de la crise ukrainienne déjà là

Une délégation de huit personnes avait été reçue une première fois au Ministère de l’Intérieur, le 9 février dernier, lequel devait se pencher sur la situation. Mais au début du mois de mars, la délégation se serait vue répondre qu’avec l’arrivée de réfugiés ukrainiens, leurs demandes de régularisation passaient aujourd’hui au second plan.

Au grand dam d’Aboubacar qui y voit un traitement raciste. « En fait, pour eux, il y a les bons et les mauvais immigrés, ceux qu’ils considèrent comme une immigration de qualité et nous, les Africains. Nous n’avons rien contre les Ukrainiens, c’est normal qu’ils soient accueillis. Mais eux vont arriver, tandis que nous sommes là depuis des années, nous travaillons, nous parlons la langue… », se désole le porte-parole qui voit dans cette réponse, une énième injustice.

Céline Beaury, Anissa Rami

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