En France, il y aurait environ 17 000 mineurs non accompagnés selon les estimations de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), originaires principalement de la Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire. Mais alors que les associations tentent d’alerter sur leur traitement par les institutions, la représentation nationale semble préférer mettre le projecteur sur certaines violences commises par 2 à 3000 MNA, soit 10 % d’entre eux, « principalement de jeunes hommes originaires du Maghreb, surtout d’Algérie et du Maroc ».

Une minorité délinquante, en marginalité extrême

Le 10 mars dernier, les députés Jean-François Eliaou (LREM) et Antoine Savignat (LR) rendaient les conclusions d’une mission parlementaire chargée d’évaluer l’ampleur des problèmes de délinquance liés aux mineurs non accompagnés (MNA), ainsi que l’efficacité de la réponse pénale et de la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ces conclusions ont été dénoncées par les associations qui viennent en aide à ces mineurs. Elles accusent les parlementaires de vouloir renforcer un arsenal répressif au détriment de moyens d’accueil et de protection de l’enfance.

Une minorité en grande précarité, sous l’emprise d’adultes qui les mènent dans des trafics de drogues, des vols, de la prostitution, au sein de réseaux de traite humaine.

« Ce rapport jette le discrédit sur tous les mineurs non accompagnés, en faisant un lien direct entre délinquance et ces mineurs », regrette Aude Saldana, coordinatrice régionale de Médecins sans Frontières à Bordeaux. Contrairement à la plupart des mineurs non accompagnés (MNA) qui demandent à être accompagnés par les départements, les mineurs visés par le rapport refusent « toute prise en charge, notamment éducative », soulignent les rapporteurs. Ils passent de ce fait entre les mailles de la Protection de l’Enfance, à laquelle ils auraient pourtant droit, et inquiètent les municipalités des grandes villes françaises.

Des jeunes en situation de délinquance exploités par des réseaux de traite humaine

D’abord identifiés au quartier de la Goutte d’Or, à Paris, ils représentent donc une minorité, « en grande précarité, sous l’emprise d’adultes qui les mènent dans des trafics de drogues, des vols, de la prostitution, au sein de réseaux de traite humaine », explique Sonia Ollivier, co-secrétaire du Syndicat national des personnels de l’éducation et du social à la Protection judiciaire de la jeunesse et membre de l’association Hors La Rue à Montreuil.

Désormais, toutes les grandes villes de France se heurtent à la difficile gestion de ces mineurs livrés à eux-mêmes, à l’origine de petits délits ou de violences plus graves. L’enrôlement dans ces réseaux d’exploitation peut impliquer une consommation de psychotropes tels que le Rivotril, au puissant effet désinhibiteur, éclaire Cléo Marmié, doctorante en sociologie à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) sur la protection des jeunes en migration internationale, au Maroc, en Espagne et en France. « Cela explique leurs comportements parfois violents, à la fois envers les autres et contre eux-mêmes ».

Pour endiguer ce phénomène, le rapport parlementaire préconise des mesures qui, pour certaines, sont jugées trop coercitives par les associations : multiplication des contrôles d’évaluation de la minorité des jeunes, accélération des procédures judiciaires à leur encontre, incarcération… Néanmoins, d’autres mesures sont quant à elles jugées bienvenues, comme une prise en charge plus adaptée, et la multiplication de brigades spécialisées comme celle qui existe à Bordeaux depuis deux ans.

Démanteler les réseaux d’exploitation, une priorité déjà mise en place à Bordeaux

Le sociologue Olivier Peyroux, spécialiste des populations migrantes habitant en bidonvilles et en squats, a participé à la création du groupe d’enquête mineurs non accompagnés (MNA) à Bordeaux. « On a compris que sous l’apparence de la délinquance, il y avait des réseaux, et pas juste des mineurs en errance ».

En février 2020, la brigade démantèle six têtes de réseaux de traite humaine. Sur les lieux, 589 boites de médicaments opiacés sont retrouvées, confirmant que ces jeunes agissent sous l’emprise de drogues puissantes. C’est la première fois que des services enquêtent sur des petits délits, comme les vols, cambriolages, et trafic de stupéfiants.

Grâce à ces dispositifs, les policiers peuvent remonter à la source d’une délinquance dont les mineurs non accompagnés ne sont que les victimes. Mais la brigade de Bordeaux est une initiative encore trop rare, pour Olivier Peyroux : « Actuellement, il n’y a presque pas d’enquête, juste une pression sur les auteurs de délinquance ».

L’incarcération, pas une solution en soi

Après avoir lu le rapport parlementaire, Sonia Ollivier, s’inquiète de mesures appelant à « plus de contrôles et de sanctions au lieu d’une protection ». L’incarcération y est en effet présentée comme une « solution aujourd’hui inéluctable (qui) peut, par la contrainte qu’elle représente, paradoxalement assurer une meilleure prise en charge des MNA ».

Les rapporteurs soulignent que la prison est efficace uniquement si elle est accompagnée d’une « prise en charge pénale plus adaptée que celle qui est proposée dans le cadre de l’assistance éducative ». Cependant, sur le terrain, l’incarcération est encore loin d’être un lieu d’accompagnement vers une réinsertion : « A Fleuris Mérogis, il y a un seul psychologue pour un quartier entier de mineurs, et pas d’interprète », s’indigne Sonia Olivier qui a du mal à saisir l’efficacité d’une telle mesure, laquelle « rajoute de la violence à la violence et ne construit rien. » Elle souligne l’absence de perspectives à la sortie de prison, encore plus évidente que pour les autres mineurs.

Des jeunes qui ont besoin d’être accompagnés et protégés

L’abandon de l’hébergement en hôtels des mineurs non accompagnés est une des préconisations du rapport saluée par les associations. A la place, les parlementaires proposent de « créer des hébergements réservés aux MNA délinquants ». Une erreur pour Sonia Ollivier, qui estime que tout enfant sans protection devrait avoir droit à un logement. Pour elle, « entasser ces mineurs » entre eux tend à les stigmatiser plutôt qu’à les intégrer. Elle déplore un manque de moyens alloués à l’accompagnement de ces profils, qui demande beaucoup plus de temps que pour les autres enfants.

Les limites de la protection de l’enfance, qui repose sur une adhésion des jeunes à une prise en charge, et n’a pas pleinement les moyens de protéger les jeunes les plus à la marge.

Au tribunal, après leurs audiences, les jeunes ne sont pas forcément hébergés. Par manque de choix, ils retournent à la rue. Cette situation peut les contraindre à réitérer les mêmes actes de délinquance qu’auparavant :« on sait qu’il est probable qu’ils repartent avec le réseau, parce qu’on n’a pas les moyens de leur proposer une solution d’hébergement », regrette-t-elle. Pour Cléo Marmié, ces jeunes en conflit avec la loi et en situation d’errance révèlent « les limites de la protection de l’enfance, qui repose sur une adhésion des jeunes à une prise en charge, et n’a pas pleinement les moyens de protéger les jeunes les plus à la marge, paradoxalement ceux qui ont le plus besoin de protection ».

A Bordeaux, pour mieux connaitre ces mineurs, un observatoire des jeunes en errance a été créé en mars dernier, précise Harmonie Lecerf, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits et des solidarités. Ailleurs en Europe, certaines initiatives sont présentées comme des modèles pour permettre à ces jeunes de s’émanciper des réseaux d’exploitation.

Le centre Esperanto en Belgique accueille par exemple environ 15 mineurs non accompagnés (MNA). Ils sont suivis jusqu’au bout de leur intégration sociale par une équipe éducative multilingue, une assistante sociale, une criminologue, une psychologue et une psychomotricienne, qui les préparent à envisager un avenir professionnel et à sortir définitivement de la dépendance aux réseaux.

Floriane Padoan

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