« Ces politiques européennes ne peuvent être menées en notre nom ! ».  C’est en ces mots, que l’appel au nom de « féministes, habitant∙e∙s de l’Europe », veut mobiliser la population le 5 juin prochain à Nice. La manifestation aurait dû se tenir en octobre 2020, mais elle n’a pas pu avoir lieu, en raison du contexte sanitaire : c’est donc le 5 juin 2021 que se réuniront, à Nice, les collectifs féministes européens à l’initiative de l’action « Toutes aux frontières », ainsi que leurs soutiens.

« Nous nous opposons aux politiques migratoires qui bafouent les droits des individus, et nous refusons le renforcement des contrôles aux frontières, en même temps que les démarches administratives inhumaines et le manque de protection légale, et l’accueil indigne des personnes migrantes », résume Maika, militante niçoise du collectif de Toutes aux frontières.

L’appel qui a été lancé, pour une « action féministe européenne pour une Europe sans muraille » veut alerter les consciences à propos de la politique migratoire européenne. Revendiquer une politique féministe contre les frontières, et le faire à échelle européenne ; c’est là le début d’un nouveau mouvement dont la pétition a été signée par plus de 80 organisations, de collectifs féministes radicaux à la Cimade en passant par des syndicats ou des organisations autonomes.

En 2019, 51% des personnes immigrées qui arrivaient étaient des femmes.

« L’action a commencé à prendre forme en septembre 2019, lors d’une rencontre féministe Genève, autour d’une discussion sur la migration et sur les causes féministes. La volonté est donc née de créer un circuit de contacts entre les différents groupes féministes d’Europe pour mettre en oeuvre une grande action, afin de dire non aux politiques migratoires actuelles », explique Maika.

L’importance pour les féministes de s’emparer de la question des frontières

À cause du premier confinement qui a retardé l’organisation de l’évènement, la marche a été reportée. Et si « Toutes aux frontières » est un appel de féministes européennes contre les politiques migratoires, c’est notamment parce que « en 2019, 51% des personnes immigrées qui arrivaient étaient des femmes. On parle peu des politiques migratoires féminines et même des personnes trans, lesbiennes … Alors qu’elles rencontrent des difficultés particulières sur leurs parcours, liés à la traite dans la prostitution, aux agressions qu’elles peuvent subir … ». 

Maika ajoute : « Il y a, pour les femmes migrantes, une réelle difficulté de reconnaissance des causes spécifiques pour lesquelles elles partent, que ce soit le mariage forcé, ou pour les personnes trans le fait de vouloir faire une transition, ce sont des causes qui sont peu acceptées ici. »

Le féminisme ce n’est pas simplement le droit des femmes. Tous les milieux ont besoin du féminisme. 

Pinar Selek est sociologue. La militante féministe et antimilitariste turque (exilée en France pour des raisons politiques) est elle aussi engagée dans l’action « Toutes aux frontières ». Elle tient à souligner  de l’importance pour les féministes de s’emparer de la question des frontières : « Le féminisme ce n’est pas simplement le droit des femmes. Tous les milieux ont besoin du féminisme, car c’est grâce au féminisme qu’on peut approfondir toutes les critiques antinationalistes, anti-frontières ou antimilitaristes : il n’explique pas seulement les causes, mais aussi comme les pouvoirs publics, le pouvoir politique s’appuie sur le pouvoir social et comment ils s’articulent. Les féministes continuent de critiquer l’ordre masculin et toutes les structures politiques qu’il façonne ; c’est une critique assez générale, alors c’est très important d’introduire le féminisme dans le débat public. »

Un appel international préparé depuis deux ans

C’est aussi l’aspect international de l’appel qui est inédit. Patrizia est militante au sein de l’association « Ni una di meno », un mouvement italien qui lutte contre les violences de genre et qui se définit comme féministe et transféministe. Dans le groupe local « Ni una di meno – Ponente Ligure », les militantes s’organisent pour les préparatifs, et rejoindront le 5 juin la manifestation à Nice. « En Ligurie, le territoire s’étend jusqu’à Vintimille », explique Patrizia. « Tous les jours, des personnes migrantes passent par ici, alors nous sommes directement concernées par le discours sur les frontières. C’est pour cela que, lorsque j’ai rencontré Pinar Selek au cours d’une présentation de livre et qu’elle nous a parlé de cette manifestation nous avons voulu en être », détaille la militante italienne.

« En 2015, des rencontres avaient été organisées à Vintimille entre les personnes migrantes et leurs soutiens, avec toute une série d’actions. Puis en septembre, les bulldozers sont arrivés et ont tout détruit, et c’est alors devenu un marché ouvert pour les trafiquants et les passeurs », se rappelle Patrizia.

Comme un cerf-volant, j’ai besoin de mains pour me tenir, et c’est très important pour moi que ce soient les féministes.

Aussi, le collectif de « Toutes aux frontières » a choisi de faire du cerf-volant son symbole, en invitant chaque praticipant∙e de la manifestation à venir avec le sien. Pinar Selek affirme : « Ce symbole je l’ai adopté très rapidement. Je suis exilée et je ne supporte pas ces politiques. Même si maintenant je suis installée, je ne me sens jamais en sécurité. Comme un cerf-volant, j’ai besoin de mains pour me tenir, et c’est très important pour moi que ce soient les féministes, je compte sur elles et si les féministes sont fortes, alors je me sentirai forte. »

Et elle ajoute : « Nous sommes des êtres humains, avec nos faiblesses, mais notre force, c’est notre volonté de voler, et notre besoin des autres mains : lorsque le cerf-volant danse avec les autres cerfs-volants, il est autonome sans l’être tout à fait. Nous faisons partie de collectivités, de réseaux de solidarité. »

 

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Le déroulé de la journée du 5 juin a été planifiée de longue date par les organisatrices, et Maika détaille :  « Il y aura la manifestation le matin, pour porter nos voix et les revendications que l’on prépare depuis deux ans. Il y aura plusieurs discours, puis dans l’après-midi et dans la soirée on sera au 109, qui est une salle un peu emblématique de Nice et il y aura des concerts, des ateliers, des discussions autour de différents livres, ce sera une journée très riche culturellement. »

Pinar Selek ajoute « Le jour de la manifestation, l’expression ne sera pas qu’en français, elle sera multi-langue. Et la plupart des personnes qui prendront la parole seront des exilées, des Rwandaises, des Irakiennes, des Syriennes, des Arméniennes, des Saoudiennes, des Italiennes, des Colombiennes… Avec nos diversités et un discours revendicatif. »

Pour les militantes, ce 5 juin ne s’agira pas d’une finalité, mais bien du début d’un mouvement politique pour réunir différentes forces, notamment de gauche, sur l’enjeu des politiques migratoires européennes. « C’est le début d’une discussion plus grande », indique Patrizia. « Nous disons que nous sommes là, mais le but ensuite c’est que des positions politiques soient prises pour changer complètement ce qui existe jusqu’ici. Nous ne voulons plus que les choses restent ainsi. »

En la manifestation, une cagnotte a été mise en ligne, pour aider le collectif Toutes aux frontières.

Eva Fontenelle

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