Dans notre entourage, nous connaissons tous des losers qui se la racontent. L’amitié, ou la politesse nous obligent parfois au plus grand tact quand ils nous demandent : « Tu me trouves comment ? » Que celui qui n’a jamais menti à un ami tout pourri de peur de le vexer me jette le premier parpaing. Oui, je l’ai fait, en dépit de cette voix infernale qui, plus d’une fois, faillit me faire dire l’irréparable : « Mais qu’est-ce que t’es nul ! »

Quand j’ai écouté, il y a de cela quelques années, la maquette de G., j’étais complètement dépité. Je savais le rap mal en point, mais là, ça dépassait tout entendement. Alors, quand il m’a dit « je suis ouvert à la critique, vas-y », j’ai puisé dans mon for intérieur pour ne pas lui envoyer un « comment as-tu osé ? » Lâchement, j’ai répondu « ça va quand même », conscient, évidemment, de ne pas lui rendre service.

Il y avait ses rimes d’abord. En fait, il n’y avait pas de rimes. D’ailleurs, ses phrases n’avaient aucun sens. Le type baragouinait dans un patois inconnu, et ses mots, mis bout à bout, ressemblaient, à peu de choses près, aux énigmes du Père Fouras. Ce qui ne l’avait pas empêché, à la fin du second couplet, de s’autoproclamer, à seulement 23 ans, « poète de la décennie ». Un de ses acolytes, qui souhaite garder l’anonymat, est unanime : « Si le ministère de la culture avait porté plainte, j’aurais témoigné contre lui. Et tout le monde aurait fait de même. »

Et il y avait son flow. Quelques jours avant de me faire écouter son œuvre, G. me confiait ce qui faisait de lui, à ses yeux, un bon rappeur : « Il ne faut faire qu’un avec ton instru, et moi j’ai ce truc. » Rien que ça. Mehdi, qui fut le premier à découvrir « ce crime contre la musique », se souvient de son malaise comme si c’était hier : « Au début, je pensais que c’était une blague. J’entendais un mec bougonner un tas d’âneries. Là, il me dit que c’est lui. Franchement, il est sympa, mais là non. Dire que c’est de la merde, c’est presque un compliment. » Je me souviens aussi de Mehdi, moins téméraire, un soir où nous étions dans la voiture avec G. : « Franchement, tu as les qualités pour percer. »

A. est aussi, dans son genre, un spécimen. Comme Cristiano Ronaldo, il est portugais. La comparaison s’arrête là, même si, à l’entendre parler, A. est potentiellement un futur Ballon d’or. Pourtant, c’est le genre de mec que personne ne veut dans son équipe, et que le coach laisse s’asseoir sur le banc le dimanche seulement parce qu’il paye sa licence. Il ne joue pas en Liga, mais en district, et, malgré son poste « d’attaquant, voire de neuf et demi », il n’a, de mémoire, jamais eu la joie de faire trembler les filets. A., c’est le gars à glisser sur la balle, ou à tirer sur la barre dans le but vide.

Un après-midi de miséricorde et d’incommensurable bonté, l’entraîneur, au cours d’un match amical, le fait entrer. Regain d’attention et début de fou rire au bord du stade chez les spectateurs qui le connaissent. A. sort la grosse artillerie : passements de jambes à lui-même, contrôles du ménisque et début de chevauchée stoppée de manière méprisante par ses vis-à-vis. A la sortie de la douche, il m’interpelle, alors que j’avais le malheur d’être dans le coin : « J’ai pas assuré, franchement ? » Je vous l’ai dit, je suis un lâche. Je lui réponds alors : « Oué, ça va, t’as fait une bonne entrée. »

Tandis que je tentais discrètement de m’esquiver, il décida de faire un débriefing. Focus sur son match, retour sur les décisions arbitrales et parallèle avec quelques joueurs de Ligue 1. Son téléphone sonne. Sauvé par le gong ? Non. A. se fend d’une dernière tirade dont il a le secret. Il m’avoue regretter d’approcher de la trentaine, et de ne pas avoir été tout le temps sérieux par le passé. Boisson énergisante à la main et sans trembler du bec, il renchérit : « Physiquement, je suis là et techniquement, j’ai le bagage. Il y en a des moins bons que moins qui ont percé. » J’attendais le sourire, qui marquerait la chute de la boutade. Je l’attends toujours.  Il me serra la main, et s’en alla. Fichtre, j’ai oublié de lui demander un autographe.

F., le dernier larron, est paradoxalement bon footballeur, et n’aurait pas pu faire pire que G., un micro à la main. Son problème à lui, c’est les filles. A l’entendre parler, c’est un croisement entre Brad Pitt et James Dean. Toutes les semaines des nouvelles conquêtes, qu’il raconte chaque fois de manière rocambolesque. « C’est moi qui l’ai recalée », « Elle voulait quitter son mec » ou bien « Elle est venue m’accoster mais je l’ai même pas regardée ». Détrompez-vous (et vous l’imaginez bien), F. se prend râteau sur râteau. Quand il voit une fille, ses joues deviennent roses et son sens de l’humour très, très limite.

Dossier exclusif. A part une amourette de lycée, son palmarès est vierge. Au cours d’une soirée entre potes le mois dernier, il décide d’aller de l’avant, et de prendre les choses en mains. Un ami lui présente une fille, plutôt mignonne. C’est la libération. Le courant passe et il l’invite à boire un verre. Dans le pub, c’est la cata. Il fait tout foirer. Vers minuit, quand la jeune fille prétexte une fatigue soudaine, il l’achève : « Garçon, l’addition s’il vous plaît… non, la soustraction. » Il rigole. Elle non, et balance tout à sa copine en rentrant, pas vraiment connue pour sa discrétion. La preuve.

La semaine dernière, en rentrant, je le surprends en bas d’un immeuble à jouer le coach sentimental avec un jeune du quartier, qui, vraisemblablement, n’a pas encore trouvé l’âme sœur. Grand seigneur, F. lui prodigue quelques conseils précieux : « Une femme ça change ta vie mais tu dois garder le contrôle, pas te laisser bouffer. » Le pauvre gamin buvait ses paroles, subjugué par son guide, qui, à 28 ans, s’avère être un charlatan notoire. Dernière sortie en date, dimanche soir. Clope à la bouche près du grec, il m’assure qu’il repart à la chasse après « une quinzaine de jours de trêve ». Pas de danger pour le gibier, il peut dormir tranquille.

Ramsès Kefi

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