Quand nous rencontrons Neptune Drama, elle est en pleine préparation pour sa première scène de drag dans sa chambre de Corbeil-Essonnes. Entre le poster de l’iconique drag queen Nicky Doll et une pancarte « black trans made my rights possible » [les trans racisé.e.s m’ont permis d’acquérir mes droits, NDLR], elle se maquille avec précision, chaque détail compte.

Cela fait maintenant un an que Neptune Drama est entrée dans l’univers du drag. Un art de la performance qui ne date pas d’hier. Certain.e.s remontent même ses origines à William Dorsey Swann, un ancien activiste queer esclavagisé, qui se surnommera pour la première fois « la reine du drag » dès les années 1880.

La chambre de Neptune Drama à Corbeil-Essonnes / ©ClémenceSchlider

J’ai commencé à regarder RuPaul dès la 5e. C’est comme ça que j’ai eu le déclic  

Depuis, l’art du drag a été popularisé, notamment grâce à l’émission concours de RuPaul’s Drag Race aux Etats-Unis. Une émission qui a d’ailleurs été adaptée en France et diffusée en juin dernier sur France TV Slash. Ce show qui comptabilise désormais plus de quatorze saisons passionne Neptune Drama : « J’ai commencé à regarder RuPaul dès la 5e. Le midi, je rentrais chez la mère de ma meilleure amie pour regarder l’émission avec elles. C’est comme ça que j’ai eu le déclic ».

L’idée d’être drag a fait son chemin les années suivantes. Accompagnée par sa meilleure amie et la mère de celle-ci, Neptune Drama a commencé par se rendre à des événements queers à Paris. Elle y a rencontré des drags qui lui ont appris à se maquiller, s’est constitué un groupe d’ami.e.s queer via les réseaux sociaux et s’est finalement lancée en 2022.

Neptune Drama se préparant dans sa chambre, sur son fond d’écran de portable Pete Burns / ©ClémenceSchlider

Être drag et habiter en périphérie

Soutenue par une animatrice de la MJC-Centre Social de Corbeil-Essonnes, Neptune Drama réalise sa première performance dans cette structure en janvier 2022. Dans le cadre du festival L’œil urbain, elle se produit devant une cinquantaine de personnes venues assister au vernissage d’une exposition photo. La performance de quelques minutes est suivie par de long applaudissement du public, principalement constitué de jeunes.

L’animatrice, Dianella Pena, se remémore : « J’avais une petite jeune assez renfermée, pas vraiment à l’aise avec son corps, et après le drag, elle s’est illuminée ». Depuis cette première performance, Neptune Drama a participé à un concours sur Instagram, le Mimi’s drag race où elle est arrivée jusqu’en finale.

À Corbeil, il n’y a pas de bars gays ou drag, tu es obligé de faire 30 km pour en trouver un

Pas à pas, Neptune Drama s’introduit dans le monde du drag, malgré la distance géographique qui la sépare des endroits stratégiques. Résidant à Corbeil-Essonnes avec sa mère et sa petite sœur, la jeune drag rêverait d’habiter à Paris. « C’est là où se passent les choses pour le drag. Ici à Corbeil, il n’y a pas de bars gays ou drag, tu es obligé de faire 30 km pour en trouver un ! »

« En plus, les événements ont lieu la nuit, donc ça demande beaucoup d’organisation pour y aller », déplore-t-elle. Pour se rendre au centre LGBTQI+ du 3e arrondissement de Paris où elle performe ce soir, il lui faudra près d’une heure et demie.

Pour rejoindre Paris, Neptune Drama doit emprunter un bus pour rejoindre la gare de Corbeil-Essonnes / ©ClémenceSchlider

Le drag est avant tout politique

Découvrir cet art a été une sorte de révolution dans la vie de Neptune Drama : « Quand tu es drag, tu peux être toi-même, littéralement ». Pour elle, le drag représente un moyen d’exprimer « la part de féminité » qui est en elle. « Quand tu es drag, tu dis aussi des choses que parfois ton toi civil ne pourrait pas forcément dire… »

En dehors du drag, Neptune Drama se définit comme une personne non-binaire [dont l’identité de genre se situe en dehors de la binarité homme/femme, NDLR], elle décrit son look quotidien comme « assez androgyne ».  Entre crop top et talons, son expression de genre varie. Le plus important, selon Neptune, est de suivre ses envies indépendamment des injonctions sociales genrées. « Parfois, je mets des talons de 15 cm dans le bus, les gens s’en foutent donc pourquoi pas pousser un peu plus  ? Je n’ai jamais eu de soucis à Corbeil, les personnes m’appellent “madame”, je suis perçue comme une femme en fait. »

Neptune Drama plaque ses cheveux crépus pour pouvoir mettre sa perruque / ©ClémenceSchlider

Le drag ce n’est pas seulement se maquiller et se faire la belle, c’est aussi défendre des idées 

Avec application, Neptune Drama trace un trait d’eye liner sur ses paupières. « Le drag ce n’est pas seulement se maquiller et se faire la belle, c’est aussi défendre des idées », affirme-t-elle. Le drag, signifiant “Dress as a Girl”, possède une portée politique significative par essence. En se construisant une identité féminine volontairement basée sur les stéréotypes, les normes de genre sont perçues comme une sorte de terrain de jeu. Rien ne va de soi, rien n’est évident, tout est questionné.

Affronter la violence de la société

Au-delà de jouer avec les normes de genre, être drag, c’est aussi être « la porte-parole de la communauté LGBT+ ». Neptune Drama souhaite défendre « les causes d’aujourd’hui » en luttant contre la sérophobie, le racisme et l’homophobie. Ces discriminations, comme de nombreux.ses personnes queer sortant de la cishétéronomativité [système considérant la cisidentité et l’hétérosexualité comme étant la norme, NDLR], elle les a vécus.

Sur l’application de rencontre Yubo, elle raconte, avec émotions, une agression verbale datant d’il y a quelques années : « C’était au tout début de mon coming out gay, je ne m’assumais pas complètement, je me suis fait lyncher en live devant une trentaine de personnes. »

Elle se souvient de ces insultes lancées par ce groupe « de mecs cis blanc het » [Personnes qui s’identifient au genre assigné à la naissance et étant attirées par des personnes d’un autre genre, NDLR]. Après cela, plus question d’utiliser son prénom sur les applications. Elle choisira alors le prénom de Neptune qu’elle reprendra plus tard pour le drag. « En plus, ce nom n’a pas de genre », ajoute-t-elle.

La solidarité des proches

Face à la violence de cette société, sa petite sœur, sa mère et même sa grand-mère la soutiennent. Même si, au début, cela a été un peu compliqué. « J’ai annoncé à ma mère que j’étais gay entre la 3ème et la seconde, et ça s’est bien passé. Par contre, pour le drag, c’était plus compliqué. » Entre la peur pour la sécurité de son enfant et la méconnaissance du monde drag, sa mère « s’imaginait plein de trucs ». Et puis voir son enfant habillé en robe et maquillé l’a bouleversée.

Ce soir-là, sa mère passe en coup de vent dans la chambre pour l’encourager avant sa performance. Elle lui glisse : « Tu vas tout défoncer », suivi d’un rapide « fais attention dans les transports ». Ses coups de téléphone et messages accompagneront la soirée de Neptune Drama qui assure que sa mère représente un réel pilier depuis qu’elle a appris à connaître ce milieu. « Le plus important pour elle, c’est mon bonheur. Elle ne fait pas forcément ce qu’elle a voulu faire dans la vie, mais elle nous a toujours dit, à moi et à ma sœur, qu’elle nous soutiendrait dans tous nos projets. »  

Le drag, ça coûte très cher

La question du budget revient régulièrement dans le discours de Neptune Drama. « Entre le maquillage, les perruques et les tenues, le drag ça coûte très cher ! » Elle travaille pas et vit encore « chez sa mère qui n’a pas forcément les moyens financiers ». Alors Neptune Drama use de toutes les combines. Articles de seconde main, achats à la ressourcerie de Corbeil-Essonnes et commandes sur Aliexpress, elle dépense environ 50 à 100 euros par mois.

La drag queen Polydoris et le drag king Apollon d’Angelo, les animateur.rice.s de la soirée, avec Neptune Drama à droite / @kalopsi.art

Le monde du drag : performer et faire la révolution

Après plus de trois heures de préparation, Neptune Drama est enfin prête pour son premier show, l’excitation monte. Cette soirée a pour objectif de « promouvoir toutes les sortes d’artistes performant le genre : créatures, drag queen, drag king, drag queer… ».

Perchée sur des hauts talons et vêtue d’un corset noir, devant une centaine de personnes, dont ses ami.e.s, ancien.ne.s professeure.s et une partie de l’équipe de la MJC-Centre Social de Corbeil-Essonnes, Neptune Drama y livrera un lip sync [synchronisation labiale sur une musique utilisée communément dans les shows drag, NDLR].

Ses répétitions, seule dans sa chambre, face à un public imaginaire, portent enfin leurs fruits. Désormais, on peut presque l’entendre nous glisser : « I’m not a bebe drag anymore, now I’m a drag queen ! » [Je ne suis plus un bébé drag, désormais je suis une drag queen ! NDLR].

Clémence Schilder

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