Le car des joueurs arrive, avec une bonne demi-heure de retard. A l’entrée du stade Léo-Lagrange de Bonneuil-sur-Marne, ils sont une petite trentaine de supporters à les accueillir en s’époumonant. A l’intérieur, les joueurs sont debout, chantent et dansent eux aussi. Tout ça sous le regard amusé de leurs entraîneurs. C’est dans cette ambiance que le Noisy-le-Grand Football Club a réalisé le plus grand exploit de son histoire en se qualifiant pour les seizièmes de finale de la Coupe de France.

Traduction pour les non-initiés : parmi les quelque 5000 équipes à avoir participé à la compétition, le Noisy FC fait partie des trente-deux dernières encore en lice. Une véritable prouesse pour un club qui n’évolue qu’en Régional 1, le sixième échelon du football français. Ils ne seront que deux à être aussi “petits” en seizième de finale, avec Viry-Châtillon, autre formation francilienne qui évolue d’ailleurs dans le même championnat.

La performance de Viry, la veille, était d’ailleurs dans toutes les têtes noiséennes au moment d’arriver au stade. Les voisins essoniens ont ainsi éliminé le club professionnel d’Angers, samedi (1-0). Ajoutez à cela d’autres exploits, comme celui des amateurs d’Andrézieux qui éliminent l’Olympique de Marseille au moment même où les Noiséens arrivent au stade. Il n’en fallait pas plus pour doper les coéquipiers d’Aldric Lobé, croisé à la descente du car : “Quand on voit tout ça, ça donne envie d’y croire, bien sûr. Ça va le faire, tu verras !”

Comme les autres, Aldric n’a pas l’air spécialement tendu au moment de fouler la pelouse de Léo-Lagrange pour la traditionnelle “reconnaissance du terrain”. Le défenseur de 25 ans prend même le temps de nous raconter un peu son parcours de footballeur amateur, qui l’a fait bourlinguer d’Epinal à l’Ile-Rousse. Sous le maillot du club corse, Aldric a déjà joué, justement, un 32e de finale de Coupe de France. Alors il prévient : “Le piège, c’est de changer nos habitudes, de ne pas jouer comme en championnat. J’ai confiance dans mon équipe, on va montrer notre vrai visage.” Dans un éclat de rire, il reconnaît : “Bon, j’avoue, j’en ai vu deux ou trois qui étaient un peu tendus ce matin”.

Des bénévoles à pied d’oeuvre pour que la fête soit parfaite

En parlant de visages tendus, on croise le président du club à quelques mètres de là. Nurettin Kalkan. Un sacré personnage. Patron d’une entreprise de BTP florissante, amoureux de football, l’entrepreneur turc s’est lancé il y a un peu plus d’un an dans l’aventure du ballon rond dans sa ville d’adoption. Avec des moyens importants et des objectifs ambitieux : faire du Noisy FC un des meilleurs clubs de la région parisienne et le hisser au moins en National 1, la troisième division. Trop tendu pour dire plus que quelques mots, le président se contente de prendre ses joueurs dans ses bras à leur entrée dans le vestiaire, de leur donner des petites tapes dans le dos pour les encourager.

Dans son sillage, c’est tout un club qui a mis les petits plats dans les grands pour organiser ce match. Il faut les comprendre. Un trente-deuxième de finale pour un club de sixième division, c’est l’effervescence du mariage de l’aîné, une première qu’il ne faut absolument pas louper. Il y a la télévision, les officiels de la fédération, les élus locaux… Tout cela dans un stade qu’on leur prête pour l’occasion, leur fief des Bords de Marne n’étant pas homologué pour un tel événement.

Alors, les bénévoles courent partout. Il y a ceux qui seront en charge de la sécurité, ceux qui déploient les bâches à l’effigie des sponsors de la compétition, ceux que l’on a affectés à la buvette… Une jeune éducatrice a en charge les enfants du club qui auront la chance d’entrer sur le terrain aux côtés des joueurs. Elle a l’air aussi tendue que son président. “Vous retroussez vos chaussettes, ça fait trois fois que je le dis ! Et on fait une queue-leu-leu, vous ne savez pas ce que c’est une queue-leu-leu ?” Noisy veut que sa fête soit parfaite jusque dans les moindres détails.

Au milieu de ce remue-ménage, un homme est là, souriant, s’arrêtant toutes les dix secondes pour saluer quelqu’un ou chambrer un autre. Moussa Sidibé est l’entraîneur de Noisy-le-Grand. Un ancien joueur professionnel, passé notamment par le Gazélec Ajaccio, son adversaire du jour. A seulement 36 ans, Moussa a encore des amis au sein du club corse, et il n’a pas eu besoin de beaucoup d’efforts pour préparer son match. “Je les connais par coeur”, souffle-t-il.

Amateurs ou pas, les jeunes de Noisy ont joué sans complexe

S’il a réduit les vacances de ses joueurs pour l’occasion – ils sont au travail depuis le 28 décembre -, l’entraîneur noiséen n’a pas bouleversé leurs habitudes. Au moment de la causerie, il a simplement insisté sur l’histoire d’hommes qui le liait à ses joueurs. Il a rappelé les épreuves qu’a traversées le groupe. Et notamment la dernière en date, le décès du père d’un des joueurs, Patrick, survenu plus tôt dans la semaine. Pour le reste, Moussa a pris soin de dédramatiser l’enjeu. Il a demandé à ses joueurs de rester eux-mêmes. Avec les qualités de leur jeunesse, l’enthousiasme et l’insouciance.

Il faut croire que ses mots ont fait mouche. Il n’a pas fallu plus de cinq minutes aux Noiséens pour ouvrir le score. Un but à zéro, et les près de quatre mille spectateurs présents exultent. Sur le terrain, Noisy brille par son culot. Face aux professionnels d’Ajaccio, les petits amateurs sont loin de baisser les yeux. Ils prennent des risques, vont de l’avant et posent de grandes difficultés à leurs adversaires du jour. Comme s’ils voulaient profiter de “leur” jour, être acteurs de ce grand rendez-vous.

Malgré l’égalisation d’Ajaccio, ils continuent à attaquer. Et, juste avant la fin de la première période, ils reprennent l’avantage et provoquent l’expulsion d’un joueur ajaccien. Le scénario idéal, pour le moment. A la mi-temps, l’ancien joueur du PSG Sammy Traoré, ami d’enfance du coach, vient apporter l’expérience de ses centaines de matches au plus haut-niveau. Il dit quelques mots aux joueurs pour les aider à tenir cet avantage. Le président, lui, fait les cent pas et allume un cigare.

Putain, ils vont le faire, les mecs !

Dans le tunnel, les ramasseurs de balle débriefent ensemble la première période. Ce sont les “U12” du club, les garçons âgés de 11 ans, qui ont été choisis pour ce rôle prestigieux. “On a l’impression que les deux équipes sont professionnelles, s’enthousiasme Baptiste. Personne n’a peur de personne, il y a beaucoup d’intensité.” Son copain Dylan a adoré “l’ambiance du stade. C’est vraiment trop bien ! Mais j’ai failli me prendre un fumigène.”

La deuxième période sera du même acabit que la première. Une équipe noiséenne pleine de vie et d’envie, un public bouillant, rempli de familles venues supporter l’équipe de leur ville… et un chronomètre qui défile, faisant croire de plus en plus fort à l’exploit. Vers l’heure de jeu, un agent de sécurité du club s’approche de ses collègues et s’exclame : “Putain, ils vont le faire, les mecs !” Quelques mètres plus loin, on croise un policier qui se projette déjà au tour suivant. “En seizème de finale, ce qui serait top, c’est qu’ils rencontrent une bonne équipe de Ligue 1, ou un gros de Ligue 2.”

On se balade parmi les supporters et, partout, le même sentiment. Les minutes passent et Noisy croit de plus en plus à l’exploit de ses héros. Lesquels se démultiplient sur le terrain, exemplaires de solidarité, malgré la pression des pros qui veulent égaliser, malgré les crampes, malgré la fatigue. Le public se permet même de chambrer : “C’est nous, les pros ! C’est nous, les pros !” Les dernières minutes sont interminables. L’arbitre en laisse même sept ou huit de temps additionnel. Le président Kalkan ne peut même plus regarder le match.

Et puis, la délivrance. Les trois coups de sifflet synonymes de fin du match. C’est fait. Noisy-le-Grand a éliminé les professionnels du Gazélec Ajaccio. Noisy-le-Grand est en seizième de finale de la Coupe de France. Noisy-le-Grand est le dernier représentant de la Seine-Saint-Denis. Bref, ce soir, Noisy est très, très grand. Les supporters envahissent le terrain. On voit des jeunes courir partout, crier de joie. On voit des mamans en tribunes applaudir à s’en casser les mains. On voit les joueurs se prendre dans les bras, comme sur un nuage. Et cette phrase, partout : “On l’a fait !”.

Et maintenant, Noisy rêve du PSG !

Le président entre dans les vestiaires. C’était son anniversaire, cette semaine, dit-il aux joueurs. Il a les yeux rougis par l’émotion, la voix cassée, il n’a plus de force. Mais il trouve celle de leur dire, en les regardant dans les yeux : 

Le cadeau que vous m’avez fait aujourd’hui, je ne l’oublierai jamais !” Il les aime, de toute évidence. Les enfants du club, les bénévoles, l’éducatrice qui voulait à tout prix que les enfants soient “à la queue-leu-leu”, les amis des joueurs et ceux qui n’ont pas joué : tout le monde est là, à fêter pendant de longues minutes ce succès qui a placé Noisy sur la carte du football français.

On chope Aldric, qui a fait un match impressionnant à son poste de défenseur central. Pas suffisant pour lui faire oublier notre discussion d’avant-match : “Je t’avais dit qu’on allait le faire ! On était fatigués, c’était dur mais on a tenu grâce à notre envie. Le coach nous l’avait dit : on a une tête, deux bras et deux pieds, comme eux. On a joué ce match pour le gagner et notre envie a payé. C’est un vrai bonheur. Je t’avais dit que ce n’était pas le plus gros match de ma carrière. Mais là, je peux te le dire, c’est la plus grosse émotion de ma carrière.”

L’entraîneur adjoint, Jimmy Modeste, n’en dira pas moins. Lui aussi ancien joueur professionnel, il exerce la même fonction d’adjoint à Sannois-Saint-Gratien, un club de National 1. Et, la veille, il a éliminé une autre équipe professionnelle, Montpellier, avec son autre club ! “C’est énorme, ce que je vis ce week-end, s’émerveille-t-il. On a joué avec nos armes habituelles, sans rien lâcher. Le soutien du public nous a portés. Il fait plaisir à voir. Il y a un potentiel énorme dans cette ville, on a envie de l’exploiter.” Porteur d’un projet XXL, le Noisy FC cherchait peut-être encore son moment fondateur. Celui qui allait mettre derrière lui sa ville, faire connaître son nom. Il l’a trouvé ce samedi à Bonneuil-sur-Marne, en direct à la télévision.  

Après la douche et les petits fours, les discussions tournaient évidemment autour… de la suite des événements. Dans deux semaines, le mardi 22 ou le mercredi 23 janvier, Noisy remettra ça, en seizième de finale. Le tirage au sort lui donnera dès lundi soir le nom de son adversaire. Jimmy ne serait pas contre jouer l’autre Petit Poucet de la compétition, Viry-Châtillon. Aldric n’est pas du même avis : “On veut le PSG, nous !” Quand on a soumis l’idée à Baptiste et Dylan, les deux ramasseurs de balles, ils en ont eu des étoiles dans les yeux. “Neymar contre Noisy ? A Bonneuil ? Trop bien !”

Ilyes RAMDANI

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