« Je trouve ça très inégalitaire. Dans une licence ou une prépa à Paris, quand on vient d’ici, on sait qu’ils ne vont pas nous prendre », dénonce Tissou*. Dans ce lycée d’un quartier prioritaire du 93*, la douzaine d’élèves assis autour d’une longue table semble partager ce sentiment d’injustice.

Parmi toutes les inquiétudes générées par les démarches de candidatures aux études supérieures via la plateforme Parcoursup, celles liées aux inégalités territoriales semblent particulièrement prégnantes. Un découpage par zones géographiques donne la priorité d’accès aux élèves qui vivent à proximité des universités.

À partir des études supérieures, il faut enlever les secteurs

« Paris Nord c’est encore notre secteur, ça dépend des arrondissements, à l’Ouest ce n’est plus le cas », décrit Aurélie. « Comme par hasard, les beaux quartiers », rigole Ousmane, leur professeur de Sciences économiques et sociales (SES) présent dans la salle. « Je pense qu’à partir des études supérieures, il faut enlever les secteurs, renchérit Aurélie. Il n’y a pas les mêmes écoles selon les secteurs, ça n’a pas de sens. » La lycéenne souhaite intégrer Dauphine, mais a peu d’espoirs d’être acceptée dans cette fac de l’ouest de la capitale.

Pour ces élèves du département le plus pauvre de métropole, la discrimination à la sélection n’est pas le seul frein à l’inscription dans des formations huppées parisiennes. « J’ai entendu de mauvaises choses, enchaîne Tissou. Il y a des gens que je connais qui sont allés là-bas et je pense que pour une Arabe qui vient de banlieue et qui se retrouve dans ce milieu-là, c’est compliqué », explique l’élève de terminale, qui a tout de même mis quelques prépas parisiennes dans ses vœux.

Des taux d’accès aux formations qui découragent les élèves

Pour Guady, l’inscription sur la plateforme « s’est globalement bien passée. » Mais il avoue être inquiet à la vue des taux d’accès de certains cursus. Un indicateur qui prévient les élèves du nombre d’admissions dans les formations par rapport au nombre de postulants. « Quand on voit des taux d’accès à 3 % ou 6 % ça nous met le doute, ça fait peur. » Quand celui-ci indique qu’un élève sur vingt est accepté dans un cursus, ça peut rebuter. « Il y a forcément des formations auxquelles on ne postule pas parce qu’on sait qu’on n’a aucune chance. » 

Et quand le facteur du faible taux d’admission se combine avec le découpage territorial, les élèves jugent leur chance d’accès à la formation quasi-nulle. C’est ce que fait remarquer Tissou à propos des écoles d’architecture : « Le problème, c’est qu’il n’y en a pas partout sur le territoire. En plus, le taux d’accès maximum que j’ai vu en architecture était à 16 %. Donc, on sait que c’est une formation qui n’est pas pour nous. »

Le tetris des spécialités impacte les choix

Pour maximiser leurs chances d’admission aux formations souhaitées, les lycéens sont contraints d’y penser en amont. Le choix des spécialités dès la classe de première peut avoir un impact déterminant. « Dans certaines filières bouchées comme STAPS, ils éliminent d’abord en fonction des spécialités, des matières, et ensuite, ils regardent les notes », explique Ousmane.

Certains lycéens n’ont pas forcément fait les bons choix en première et sont obligés de s’adapter. « J’ai pris maths complémentaires au milieu de l’année, en janvier, parce que je me suis rendu compte que sans ça je ne pourrai pas être prise à Dauphine », confirme Aurélie.

Un calendrier qui pose question

Qu’est-ce que ces élèves souhaiteraient changer sur le fonctionnement de Parcoursup ? « Tout ! », s’exclament-ils à l’unisson. Après quelques éclats de rire, le calme revient dans la salle du premier étage du lycée. « Le calendrier, ça tombe trop mal avec le Bac et les révisions, on n’a pas le temps de tout faire », pointe Lili. Autour de la table, tous acquiescent.

« Vous trouvez que vous avez assez de temps globalement ? », relance leur professeur. « Non, ça dépend surtout si on est fixé ou pas. » Pour les futurs étudiants déjà sûrs de leur projet, il suffit de se concentrer sur les cursus qui les intéressent et de les classer dans leur liste de vœux. Mais pour ceux qui n’ont pas d’idée précise de leur orientation, le processus peut s’avérer être un véritable casse-tête, très chronophage.

Un manque d’accompagnement et de transparence

« Surtout qu’on ne comprend pas tout sur Parcoursup, ajoute Nora. J’ai renseigné 10 vœux, mais je ne comprends pas ce que c’est les sous-vœux. » Le débat est lancé, qui a compris comment fonctionnent les sous-voeux ? « Si j’ai bien compris, c’est quand tu demandes un BTS, ça te met les BTS qui font la même formation en sous-voeux », tente Ousmane. « Oui, mais des fois ça ne marche pas monsieur ! »,  « Effectivement, ça a l’air un peu aléatoire », concède le prof.

Visiblement la plateforme manque de clarté. Alors les élèves s’entraident et discutent entre eux pour parvenir à renseigner leurs vœux correctement, toujours avec la peur de passer à côté de la formation idéale en cas d’erreur. Certains sont accompagnés par leurs familles. Les professeurs et encadrant du lycée font de leur mieux pour aider, mais tous déplorent un manque d’accompagnement et de formation.

« Ma sœur a fait des études supérieures, pourtant elle n’a pas pu m’aider. Ça n’a plus rien à voir. À l’époque, ce n’était pas un robot. On envoyait des lettres », précise Aurélie. Comme ses camarades, elle déplore qu’une grande partie du processus de sélection soit confié à un algorithme.

Les élèves trouvent des infos… sur TikTok

Le stress et le retard s’accumulent pour certains élèves, qui sont obligés de boucler leurs choix à la va-vite pour la première phase des inscriptions qui s’est terminée le 9 mars. « En tant qu’enseignant, j’ouvrirais Parcoursup dès la première et je ferais des séances avec les élèves pour mûrir le projet, témoigne Ousmane. Ça ferait moins peur une fois en terminale. Et ensuite, il faut former les adultes, les enseignants. On apprend tout sur le tas, on n’a pas d’heure de formation dédiée. »

Et plus surprenant, quand profs et familles sont démunis, les élèves s’en sortent parfois grâce aux réseaux sociaux. « Sur Tiktok, ça parle beaucoup de Parcoursup, même quand on ne cherche pas, on tombe sur des vidéos dessus. Franchement, ça aide pas mal », révèle Lili.

Des projets motivés à rédiger pour le 6 avril

La première phase d’inscription terminée, les élèves doivent maintenant rédiger des projets motivés pour chaque formation accompagnés de lettres de motivations. Une démarche tout sauf évidente pour des lycéens. « On ne se sent pas prêt pour écrire des lettres de motivation en autonomie. Il faut bien écrire. Malheureusement, on ne va pas forcément avoir de séance dédiée. Puis même si on en a une, ça ne suffit pas  », explique Guady.

Dans leurs travaux, les sociologues Marie-Paule Couto et Marion Valarcher mettent en avant les inégalités induites par la rédaction de ces projets motivés. Dans les milieux favorisés, la rédaction des lettres de motivations se fait plus souvent sous le regard attentif des parents. Les élèves de milieux plus populaires se retrouvent pénalisés par moins d’accompagnement et par une moins bonne connaissance des codes.

La rédaction de ces lettres peut s’avérer longue pour certains élèves, et le temps consacré réduit par le calendrier. La réforme Blanquer de 2019 a notamment avancé les épreuves de spécialités du baccalauréat de trois mois. Cette année, elles ont eu lieu du 20 ou 22 mars. « On n’a pas eu le temps de rédiger nos lettres de motivations avant les épreuves, il fallait réviser pour le bac  », rappelle Guady

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Il reste donc deux semaines seulement aux élèves pour rédiger leurs projets après les épreuves. Mais les lettres pourraient ne jamais être lues, dénoncent certains élèves. Pour eux, la plateforme est surtout une loterie de l’orientation.

Naïma Dieunou et Névil Gagnepain

*Tous les prénoms ont été modifiés, la direction du lycée a demandé à ne pas publier le nom de l’établissement.

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