Dans le quartier du chemin vert à Bobigny, au cours d’une journée de printemps un peu particulier, des jeunes jouent au football sur la dalle, quelques enfants s’amusent dans le parc, et l’épicerie profite des dernières heures d’ouverture. À quelques mètres pourtant, dans la nuit du 19 au 20 mars, une série de violentes interpellations a eu lieu, et reste encore l’un des sujets de discussions de beaucoup.

Alors qu’ils sont aux abords d’une voiture, un groupe de jeunes se retrouve après l’heure du couvre-feu. Aux alentours de minuit, quatre policiers entament un contrôle d’identité qui va se transformer en confrontation physique. Plusieurs témoins filment la scène et la diffusent sur les réseaux sociaux.

Sur les images plusieurs coups de tasers, sans justifications sont assénés par les policiers sur deux des jeunes présents sur place. On entend aussi des provocations prononcées par l’un des policiers muni à l’origine des impulsions à électriques :  « T’en veux, toi aussi ? ». L’un des jeunes interpellés, victime de coups de taser a été incarcéré, et devait comparaître le 7 avril dernier. L’audience a finalement été reportée au 22 juin prochain.

Présent ce soir-là, Jonathan revient sur ce qui est arrivé : « On était posé dans une voiture, d’un coup on a vu cinq policiers se diriger vers la voiture. Un ami à nous, qui était un peu alcoolisé, était debout à côté de la voiture. Ils sont venus en mode un peu chaud, des 4 côtés du véhicule, ils nous ont entourés. Ça a commencé à parler fort et ça a un peu dégénéré donc tout le monde est sorti de la voiture. »

L’altercation s’envenime entre son ami et les policiers. Un autre tente d’intervenir pour leur dire « de le laisser, qu’il est sous alcool, et leur dire de pas le calculer », nous précise Jonathan. « C’est le moment qu’on voit dans la vidéo, où un policier lui met un coup de taser. On voit bien qu’il était à distance, juste il parlait. Ils ont commencé à le mettre par terre, ça commençait à crier. Quand on s’est écarté, il y a un policier qui nous a lancé une grenade lacrymogène pour nous disperser.»

Des adolescents déjà habitués aux violences policières

C’est sur la dalle de leur quartier, un peu avant l’heure du couvre-feu, sans trop d’émotion apparente, comme effacés, que Sidi, Omar et Demba racontent ce qu’il s’est passé ce soir-là. Une scène, que les trois adolescents, respectivement 16 et 17 ans, ont vu de loin. Après avoir commandé au dernier restaurant encore ouvert, ils se sont approchés : « Les policiers ont jeté des grenades lacrymogènes et ont tiré au flashball sur un groupe qui regardait ce qu’il se passait », confirment Sidi et Omar. « On a eu peur, on a couru se cacher dans un bâtiment » ajoute Demba.

Ils nous ont dit de nous mettre à terre, et il a tiré direct sur ma cuisse avec son flash-ball.

Côté policier, du renfort aurait été appelé et ce sont donc plusieurs équipes qui se sont déployées sur la cité du Chemin Vert, et sur la cité voisine Salvador Allende, celles où les trois jeunes ont été se réfugier. Il est environ 1 heure du matin quand un groupe de policiers entre dans le bâtiment : « Ils nous ont dit de nous mettre à terre, et il a tiré direct sur ma cuisse avec son flash-ball », confie Demba.

Ils sortent du bâtiment menottés et sont emmenés au commissariat. Sidi et Omar sont dans la même voiture, et Demba, blessé à la cuisse, est emmené par d’autres policiers. Ces trois amis ont passé 24 heures en garde à vue, pour violences volontaires, outrages et rebellions. Demba qui a été soigné par un médecin pendant la garde à vue, est accusé d’avoir menacé la police avec une bonbonne, accusation qu’il a nié.

Dans une enquête parue le 7 avril dernier, Mediapart révélait un faux procès verbal utilisé pour justifier l’usage de la force ainsi que celui du pistolet à impulsions électriques. Ahmed, l’une des victimes de coups de taser, a porté plainte pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » et « faux en écriture publique ». Le parquet de Bobigny a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire à l’IGPN.

À Bobigny, quelques jeunes regroupés en attendant l’heure du couvre-feu.

« Malheureusement ils sont habitués, limite ça ne leur fait plus rien parce qu’ils ont grandi avec ça. Il n’y a pas de conséquences réelles, ils se disent que c’est comme ça, on sait qu’ils sont comme ça, et ce n’est pas autrement. Ils sont résignés, il n’y a pas pire que la résignation », analyse Aboubacar N’diaye, 26 ans, habitant du quartier Chemin Vert, co-fondateur de l’association Nouvel Elan 93, et inquiet des conséquences psychologiques de ces violences sur les mineurs.

Nouvel Elan 93 pour renouer avec le dialogue et la réussite

Son association active sur le quartier, a été l’une des premières à diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux : « Nous on fait le travail sur le terrain, à notre échelle, parler avec les jeunes, parler avec les familles, relayer les informations. On est beaucoup dans le dialogue et la sensibilisation », affirme Aboubacar N’diaye.

Fondée en juin 2020, la jeune association a pour objectif d’accompagner les jeunes sur le plan sportif, culturel, scolaire, comme personnel et de leur « donner des opportunités, de les informer de tout ce qu’ils ont à leur disposition. On est là pour les guider, les conseiller et les faire kiffer », explique le co-fondateur et étudiant en master, Stanley Camille.

À peine la vingtaine, et le jeune homme déplore comme ses aînés le manque de perspectives offertes aux jeunes depuis des années. « Aujourd’hui j’ai 26 ans je ne suis jamais allé à la Tour Eiffel, je n’ai jamais vu une pièce de théâtre, et j’ai eu très peu d’opportunités d’aller au musée. Aujourd’hui grâce à l’association, on a un peu de moyens financiers, pour leur faire découvrir ça et nous les découvrir aussi. » À Bobigny, le chômage touche 22% de la population.

À la base les policiers sont là pour instaurer un climat de protection, de sécurité. Malheureusement quand ils sont ici c’est vraiment le contraire que l’on ressent.

Les mesures sanitaires ont considérablement freiné les actions de l’association, et le confinement est vécu comme une double peine par ces habitant·e·s. « Même les gens de Paris, quand il y a le confinement, la première chose qu’ils ont fait c’est fuir. Un jeune qui vit ici, ce qu’il veut c’est sortir. Les policiers ils les trouvent dehors, et ce qu’ils leur donne au lieu d’être compréhensif, de discuter avec eux, c’est des amendes, ça va changer quoi ? » philosophe avec amertume le cofondateur de l’association.

« En route vers la réussite ». L’association Nouvel Elan 93 continue de proposer du soutien scolaire face à la pandémie.

« A la base les policiers sont là pour instaurer un climat de protection, de sécurité. Malheureusement quand ils sont ici c’est vraiment le contraire que l’on ressent », constatent avec rancoeur les fondateurs de l’association qui souhaitent agir pour faire cesser les violences policières devenues quotidiennes selon Aboubacar N’diaye : « Ça arrive régulièrement, quotidiennement, mais ce n’est pas filmé. Il faut instaurer un dialogue, mais ce dialogue là, essayer de le mettre maintenant c’est limite trop tard parce qu’il y a trop de dégâts qui ont été faits. »

À travers leurs actions de sensibilisation, l’association tente d’éviter au maximum les confrontations entre les jeunes et la police : « Les policiers aujourd’hui il en faut très peu pour qu’ils dérapent. La solution c’est à nous, et à tout un mouvement collectif, que ce soit la municipalité, le département, de faire en sorte que ces choses là ne se reproduisent plus. » 

On entend des chiffres énormes à la télévision pour les investissements, mais on ne voit rien, et c’est dommage car les jeunes en ont besoin.

Pour faire face à la précarité, et au manque de perspectives offertes aux jeunes, dans une ville 36% de la population vit sous le seuil de pauvreté, Stanley Camille et Aboubacar N’diaye se questionnent sur les moyens qui sont alloués aux quartiers populaires. Pour rappel 1% du plan de relance du gouvernement avait été alloué aux quartiers populaires en novembre 2020. Un arbitrage jugé insuffisant par de nombreux observateurs.

De son côté Aboubacar N’diaye, espère, comme beaucoup à Bobigny que la situation change, en attendant lui et les bénévoles de Nouvel Elan 93 font ce qu’ils peuvent. « L’Etat, la municipalité, on voit très peu leurs investissements sur les quartiers. On entend des chiffres énormes à la télévision, mais on ne voit rien, et c’est dommage car les jeunes en ont besoin. L’argent ça ne résout pas tout, mais ça peut le faire pour une grande partie des choses. »

Anissa Rami

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